Les mémoires plus ou moins vrais de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 15eme Partie

Remi Campana

15. LA PENSEE (4)

 

Une  vie à deux; un rêve qui devient vite une réalité, et qui ne se termine que par des regrets.

Il suffit de regarder votre moitié : au début, comme toujours, vous êtes interpellé par sa beauté, son petit nez retroussé, ses jolis yeux perlés, ses dents d’ivoire, sans oublier sa grâce naturelle, une vraie image de carte postale. Mais quelques mois plus tard, la beauté romantique se transforme en  vision de cauchemar. Bien vite, sur son mufle, vous ne voyez que des horribles comédons qui la défigurent, ses yeux magnifiques vous semblent vitreux et jaunâtres et ne vous apportent que dégoût, quand vous ne trouvez pas qu’elle louche. Sans oublier ses dents couleur citrine qui semblent inégales… Et je ne vous parle même pas des déformations dues aux moutards ! En résumé, une godiche qui vous fait perdre votre jeunesse, votre temps, votre argent et vous empêche d’évoluer.

J’avais très vite compris cette philosophie bien utile quand je m’étais débarrassé de ma douce Lada. Mon âme charitable avait encore tenu à l’aider mais, comme toute bonne sangsue, au lieu de l’avoir comme avant dans mes bras, je l’avais maintenant sur le dos, et ma vie allait radicalement changer à cause de mon manque de fermeté.

Pour comprendre la suite de mes aventures, ami lecteur, je suis donc dans l’obligation de débrailler mon histoire, tout en faisant une petite marche arrière, pour vous déballer de mon coffre personnel quelques souvenirs peu glorieux.

Après avoir sorti ma belle Russe des griffes de l’ignoble Mourad Ben-Sala, je l’avais laissée papillonner à travers champs avec qui elle l’entendait. Grossièrement, je n’avais pas compté qu’elle irait marivauder du seul coté qui lui était interdit, celui de mon mauvais génie Dupa Grave. Mon ami avait fait de moi un monstre d’égoïsme et d’égocentrisme et, comme tout être créé artificiellement, j’avais appris à grandir et aujourd’hui j’étais désireux d’obtenir mon indépendance.

Après mon périple parisien et mon médiocre retour avec ce dernier, j’avais trouvé à cette aventure quelques chose de louche. Une brève enquête avait confirmé mes doutes : je  compris que mon « ami », comme à son habitude, avait orchestré mon retour. L’amour artificiel de la belle Louison n’était pas étranger à ses attentes. Berné, j’avais tout perdu et repris ma vie d’antan, faite de turpitudes et de mensonges. Devenu méfiant et indépendant, j’avais commencé à me mettre petit à petit a mon compte. Dupa, bien sûr, ne l’entendait pas de cette oreille, ne pouvant admettre que l’élève dépasse le maitre et, malgré mon nom, le vieux lion désirait garder la première marche.

A l’époque, par son intermédiaire, j’avais connu André Piqueboufigue dit « La Gaudelette » (en argot de ma ville, la Gaudelette veut dire le bien chanceux), un margoulin retraité et déchu, qui avait fait les belles heures de la fourberie il y a déjà fort longtemps. C’était lui qui avait découvert ce petit garçon qui venait de s’évader d’une maison de correction ; il ne sut jamais son vrai nom et l’appela Dupa Grave. Comme il ne pouvait le mettre à l’école, il l’éduqua à la profession. Le mutin apprit vite, trop vite pourrait-on dire. Jugeant l’ancêtre indigne de durer plus longtemps, il le trahit en prenant sa place, chose normale dans la vie de tout homme. Malgré cette débandade, Piqueboufigue restait, je vous le dis, un véritable orfèvre en la matière.

Bien sûr, il avait la dent pointue contre son ancien élève et, pour ravaler sa bile, se laissait aller à quelques vices secrets bien personnels dont je tairai ici le contenu par esprit de décence, mais toujours utiles à connaitre.

Dans le fond, je l’aimais bien ce petit vieux et le taquinais souvent. De plus, il  arrondissait sa maigre pitance en veillant pour moi sur Lada, me prévenant des dérapages de la rouquine. N’étant jamais à court d’argument dans ce domaine, je rattrapais régulièrement ses facéties et, malgré mes colères, je n’arrivais pas à me résoudre à avoir du bon sens devant une telle situation et à l’abandonner à son sort. Pourtant, le patriarche allait me faire redescendre sur Terre, bien plus vite que j’étais monté au ciel… J’appris de sa bouche l’une des pires trahisons qu’on puisse faire à un homme : Dupa allait lui rendre les hommages sans ma permission ! Bien sûr, officiellement, je n’étais plus avec elle ; mais malgré tout, il avait rompu par cet acte la plus basique des règles d’honneurs, car on ne vole pas, entre gens de même race, une femme qui avait appartenu à celui qu’on caractérise du nom d’ami. Bon gré mal gré, si je n’avais pas cette impression désagréable de lui être redevable, ça se serait terminé au couteau. Non pas pour les cuissardes de la demoiselle : quelques billets sortis de ma poche et des garages à plaisir, plus frais et plus jeune que ma Russe, s’ouvrent à foison. Le problème était tout autre. Malgré tout, il était comme un père pour moi ; trop lâche, j’avais laissé ma fierté de coté, mais dorénavant, le verre qui nous liait était trop ébréché pour le rafistoler. Tous deux l’avions compris ; d’un commun accord, jamais nous n’avons parlé de cette histoire. Avec le recul, je pense que ce fut un tort, il n’est jamais bon de se mentir.

Dupa ne s’inquiétait nullement de son infidélité, mais plutôt de la perte d’un aussi bon cheval que votre narrateur : je lui rapportais quelques jolie rente dans le mois, et les perdre l’inquiétait bien plus que l’individu. Bien que nous ne parlions très peu d’elle, je décidai de les oublier en prenant de la distance par la fuite, après l’histoire de la vielle anglaise. Tout allait être remis en question quand Dupa me fit savoir que Lada avait reprit le chemin du tapin, je devais donc remettre à demain ce que je m’apprêtais à faire aujourd’hui.

Vous vous souvenez de son souteneur ? Cette vermine n’avait pas tenu sa promesse, chose impensable entre hommes de peu de foi. Pourtant, il n’avait plus besoin de cela vu son ascension sociale (je reviendrai sur ce point dans les pages qui suivront). Vous saisissez, je pense, ma délicate posture : si je ne faisais rien, je m’affaiblissais et perdais la face. Pour l’occasion, Dupa se rallia a mes idées, en me promettant sans compensation une aide. Je fis donc envoyer à Mourad une missive avec l’ordre de  me  rendre cette femme. 

Sa réaction fut digne du bonhomme : il fit mettre ma tête à prix ! Je devais faire vite pour mettre en application ma vengeance et retrouver mon honneur avant de décamper.

Pour finir cette première partie bien morose de ma vie et clôturer le chapitre, laissez-moi terminer sur une note positive en vous contant avec malice une petite duperie bien rigolote dont j’ai si gentiment le secret et à laquelle je fis allusion tout à l’heure, à la fin de l’aventure du grand Momo et de la vielle folle. Si vous vous souvenez, je parlais de faux papiers, et vous devez vous demandez comment je me les étais procurés.

Rien de plus simple, car les miens étaient vrais ! Retournons légèrement en arrière, au tout début de ma rencontre avec ce scélérat de Dupa, car ici même, je vais vous dévoiler une astuce pour voyager en toute quiétude et en parfaite légalité. Bien sûr, après lecture, je ne suis pas certain qu’on vous laissera réaliser cette petite blague avec une aussi grande commodité qu’à l’époque où je la produisais.

Comme souvent, Scarabée organisait ses rencontres à la terrasse d’un café sur le grand port où Dupa Grave le rejoignait. On y rigolait bien à faire des blagues, leur préférée consistait en un acharnement bien primaire à la vue des estivants, surtout ceux venus du grand nord, qui n’arrivaient pas à comprendre que le soleil est d’une grande traîtrise dans la région. C’est bien simple, pour repérer leur future brebis, ils prospectaient du regard le benêt qui ne savait pas ce que marcher à l’ombre voulait dire. Comme, en général, ces zouaves s’ennuyaient à peine sortis de leur maison, ils visaient la compagnie d’autochtones qui voulaient bien les écouter, en bons Samaritains à l’oreille large, Nos deux amis se complaisaient dans cette récréation. En plus de les flatter, ils les soulageaient de quelques billets, en les niasquant au plus vite, pour leur plus grand plaisir.  

Avec tristesse, ils durent arrêter cette petite distraction un brin marginale, je vous l’accorde, le jour ou l’un de ces corniauds tomba dans la rade – non pas que cela aurait dérangé Scarabée si il s’y noyait, bien au contraire, car il s’en moquait. Ne sachant pas nager, ce n’est pas lui qui aurait sauté à l’eau pour le sauver ! Mais Dupa, avec son cœur d’ange avait plongé pour le repêcher. Le contrecoup fut des plus navrants,  il n’avait pas apprécié. Le cœur serré depuis ce jour-là, ils se limitèrent à des jeux plus prosaïques, l’anisette d’une main et les dominos de l’autre, des heures entières ils faisaient bataille pour savoir à qui incomberait la dette de payer les verres ; pour terminer la soirée avant de partir, ils créaient toujours des paris idiots à celui des deux qui entourlouperait le mieux son camarade.

Ce jour la, Scarabée décidait de lancer les hostilités ; il avait remarqué depuis quelque temps un disfonctionnement dans le système administratif, il avait donc parié avec Dupa de lui voler son identité dans les trente jours qui suivraient. Vantard comme une mouche en vol, son ami se voyait déjà gagner le trésor. Au plus profond de lui, Maître souriait, car il était beaucoup moins sûr de sa réussite. S’il avait raison, Dupa pâtirait de ses excès de vanité. Pour mettre son hypothèse en pratique, le moment tombait à pic car il était désireux de se déloger de ses habitudes par quelques jours de vacuité. Tout en réchauffant sa carcasse aux quatre vents, il fignolait son plan, car avant de le mettre en application, Scarabée se devait de bien doser l’astuce. Les bases de son idée ne lui donnaient pas le droit à l’erreur, surtout à l’endroit où il devait se produire.

Le dernier jour de vacances arrivait ; s’habillant exprès en juillettiste (c'est-à-dire en  gueux), il se rendit dans le commissariat le plus proche, sûr que sa trombine ne pouvait rien leur dire. Avec les mimiques d’un gars échappé de l’asile, il devenait un parfait benêt, se lamentant à qui voulait bien l’entendre de tous les maux dont souffrait cette planète ; et pour ce rôle, sans lui jeter des fleurs,  il était des plus crédibles.  Paisiblement assis dans le coin, il attendit qu’on l’appelle. Après plus de trois heures, on daigna un peu s’occuper de lui, un gros paresseux, dégoulinant d’une condensation acidulée et nauséabonde, le fit entrer dans son bureau.

Pleurant, s’arrachant les cheveux, il criait son désespoir : après tout il n’était qu’un malchanceux à qui on avait tout volé, papiers, argent et bagages, il ne lui restait plus que les yeux pour pleurer et son honneur pour prouver son identité. Le bonhomme ricanait de ces jérémiades, il avait l’habitude d’en entendre ; son manque de vigilance pour la situation servait les intérêts de Scarabée. Signant une déclaration de perte « sur l’honneur », il retrouvait un nom, prénom et adresse. Vous vous en doutez, pour l’occasion, il en choisit des nouveaux; à partir de ce moment, en toute légalité,  il pouvait assurer son retour.

Comme vous pouvez le constater, son astuce était des plus simples ; juste un peu d’audace et de logique pour se munir d’un nouveau patronyme, car n’oubliez pas que sur le sol des droits de l’homme, vous êtes dans la plus parfaite des illégalités si vous ne pouvez justifier de votre identité. Alors comment faire ? Elémentaire mon cher Watson!  En lisant ces quelques lignes, je pense que vous avez compris. Lui qui n’aimait pas prendre un service public dans l’illégalité fut servi. Racontant avec tristesse sa mésaventure au contrôleur du train, il conta comment il s’était fait bastonner et délester de tous ses biens  par une bande de romanichels agressifs et voleurs. Ayant déjà eu fort à faire dans le passé avec des énergumènes de cette espèce, le contrôleur ne remit même pas en cause la véracité de ses dires, et fut au contraire des plus clément pour sa personne. Au lieu de lui mettre un procès-verbal  de Lille à chez lui, il eut droit à un petit rabotage sur le prix.  C’était toujours cela de gagné surtout qu’il ne payait pas.

Le reste de la balade se passa sans encombre et il arriva détendu pour la seconde partie de son plan.

Ici, tout se complique : un simple papier pour se balader est chose commune au plus imbécile d’entre nous ; avoir une nouvelle identité, voila rend l’exploit plus difficile. Sans rien dire à son complice de son retour, Scarabée se présenta à pas de velours à son domicile. Muni d’un crochet, il dévalisa son courrier pour se procurer les seuls documents manquant à sa réussite : des factures impayées, celles-ci faisant le citoyen. Avec ces nouvelles preuves de son identité, il se rendit dans un premier temps au commissariat pour reproduire le même cinéma. A peine sorti s’ensuivit une visite dans une annexe de la mairie (un conseil, toujours éviter la principale, car le petit personnel est très souvent sur les nerfs) ; quelques flagorneries à la plus moche de ces dames pour lui détourner l’attention et voici comment il eut officiellement son nouvel acte de naissance. Continuant son circuit, avec deux photos et un timbre fiscal, il se fit faire ce qu’il attendait : une belle carte toute neuve.

Le mois arrivant à terme, il s’était donc rappelé au bon souvenir de son ami, à l’endroit habituel de leurs rendez-vous. Extrapolant comme à son habitude,  Dupa Grave  vantait ses sornettes. Bien que Scarabée ne lui accordât aucun crédit, il l’écoutait en silence. Dupa n’était pas marseillais mais, comme menteur, il les valait par centaines. A la fin, d’un air gêné, Maître lui rappela leur gageure (et je dois dire qu’il n’attendait que cela). Le vieux brigand commençait a saliver, persuadé d’avoir gagné quand, de manière royale, Scarabée lui jeta sur la table sa nouvelle identité : il était Dupa Grave.

Le vrai Dupa n’en croyait pas ses yeux, bredouillant et cherchant des prétextes pour ne pas admettre l’avantage de son ami. Mais, ne trouvant aucune parade, il s’exécuta mollement et se déchargea d’une petite somme d’argent. De bien méchante humeur, très vite, il se ressaisit et admit l’intérêt et les bénéfices qu’on pouvait tirer d’une telle lacune publique.

Par la suite, lui et moi avons bien ri avec cet illogisme de la république, nous appelant à tour de rôle d’une garnison de noms plus exotiques les uns que les autres.

Voilà donc mon histoire, que vous pourrez reproduire s’il n’est pas déjà trop tard ?

Les textes de loi comportant de telles aberrations ne sont pas rares, et je suis sûr que vous en trouverez plus d’une en grattant un peu. Présentement, je vous laisse vous reposer avant de reprendre la lecture de mes aventures,  car celles qui vous attendent dans les pages qui suivent ne sont pas des plus brillantes.

 (A suivre)

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