Les mémoires plus ou moins vrais de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 20eme partie

Remi Campana

   -19 (A suite) ANGOULEME.

Ah le populeux, comme je le déteste, l’associant pour le peu au mot crapuleux. En revanche j’admire le populaire et souvent son esprit simple, plein de malice et de bon sens, me rappelle ce que j’ai égaré avec les années. Ce maudit cadavre exquis était une manière très personnelle de leur rendre hommage et retrouver ainsi une partie du paradis perdu. 

 

Enfin, je vous dis cela mais dans le fond j’étais surtout attristé et confus. Chez moi, l’orgueil à l’autosuffisance prédomine, voyez-vous il est de mauvaise augure de perdre son honneur pour se faire horreur. Combien de fois me suis-je  maudit d’avoir la langue trop bien pendue ! Aujourd’hui encore l’histoire se devine et se répète, refusant d’être à mon avantage.  Je dois le reconnaître, le plumitif invétéré que j’étais avait platement raté son entreprise. Non sans mal, des cent promis, seuls quatre-vingt-dix furent dépassés : un honnête homme a un prix et  se doit de tenir parole. Vous imaginez  à partir de cette conclusion ma déception !    

 

De toute manière, le travail de nos « enfants de giberne » semblait plaire à mon associé et l’assortiment plus ou moins cohérent donner une jolie vue d’ensemble. Bien que Ratichon ait promis de financer le projet dans son intégralité, en bon Normand mâtiné de Breton,  il tira la langue. Scarabée en peintre vernisseur, orphelin de bonne heure paya donc à moitié la version  papier.  

 

La besogne ainsi accomplie, il pouvait dorénavant se consacrer à l’usufruit de son travail  « la Réclame ». Pour commencer la levée des torchons, pourquoi  devrait-il  faire simple quand on peut faire compliqué. Après s’être enorgueilli de ces bonnes paroles,  notre ami contacta directement la ville du 9ème art et son festival.  Une élégante, responsable en communication, fut emballée par le projet. C’est une  réaction habituelle dans le métier de la part de nos bernés, j’en tiens pour  preuve la proposition indélicate qu’allait lui faire cette demoiselle. De son propre chef, elle décida qu’on ne pouvait fêter le retour du grand  Dupa sans un pèlerinage dans sa capitale d’Angoulême.  

Une avant-première, Maître n’y avait pas pensé cinq minutes ! La blague pouvait en être cent fois plus belle qu’avec sa conception d’origine. Bête comme le bout de son nez, imaginez que notre ouistiti avait comme seul ambition une simple demande d’encart publicitaire dans les calandres de leur presse,  alors que maintenant on proposé sur un plateau d’or de voir « GRAND ». L’animal aurait eu tort de s’en priver. Malgré tout, ne perdant pas le sens des affaires,  il argua qu’il lui était impossible de descendre jouer la sérénade, un stand coûtant une fortune dans ce temple du business (pour un simple canular il ne pouvait en mettre plus).  Elle n’était pas inquiète, lui transmettant quelques adresses avec lesquelles solutionner le problème. Le combinard, vous vous en doutez (en ma personne) fut réjoui de l’aubaine et accepta sans le moindre remord.  

 

Dès le surlendemain, comme promis, Scarabée appela la pierre angulaire de sa manœuvre, le directeur du musée  de la Bande Dessinée. Chose amusante pour une fois il ne croyait pas du tout en ce qu’il faisait, la situation étant tellement gargantuesque que jamais un « poisson » de haut-niveau ne tomberait dans ce basique attrape-nigauds. Comme quoi, il ne faut jamais se fier aux idées reçues : le conservateur fort courtois rajouta qu’il était « hors de question » de présenter l’album en dehors des festivités. Lui qui adorait le travail de Strepponi, déplorait déjà de ne pas avoir une œuvre du maître fondateur dans ses collections. Scarabée, non sans malice fit savoir qu’il lui trouverait bien un Busseti dans son grenier, dès qu’il aurait du temps libre.

Maintenant qu’il avait dans sa poche l’aval du plus grand, il pouvait rejoindre cette smala de joyeux drilles sans sourciller, le reste suivrait facilement.

 

Le premier de sa liste pour trouver un emplacement rêvé, fut un grand journal parisien spécialiste en rock-in-roll « les Incorruptibles » le nom faisant bien rire. Notre « ferlampier », avec le nombre d’appels passés, était rodé sur ce qu’il devait dire et à peine lui eut-on transmis un « pontif » maniéré et efféminé que celui-ci l’arrêta « Comment, dix-huit-cent-quarante, mais Dupa Grave n’est pas si vieux !» (Il faut dire que l’incisif le connaissait aussi…) Pas en reste, Maitre rajouta « Vous devez confondre avec  « la période Floriane » restée célèbre dans les mémoires de nos parents et grands-parents ». « Oui, ça doit être ça » répondit-il … !!!  Bien entendu quand Scarabée aborda la question qui fait souffrir, l’amour de l’art devint comme toute chose insignifiante et se transforma en catin qu’on prostitue au plus offrant. Ici se trouvent les limites aux maroquins de ceux qui sponsorisent ; le trésor refusa de les avoir à charge sur son futur lieu de travail, prétextant  que le beau support publicitaire de « son » journal n’apprécierait guère cette concurrence déloyale. La liste étant longue et la chose pas si grave, sous le nom de « Campana » il continuerait dans sa lancée l’un deux glisserait bien un « oui» de complaisance. La « Charente Prisonnière », quotidien régional du district fut celui-ci : le responsable du service commercial, un certain  Christopher Gaudriole  s’avéra d’une gentillesse évidente ; sans la moindre malice avec un plaisir de novice, il accepta de partager de moitié leur agora.

 

Faire l’idiot est une chose dont notre héros avait le secret. D’une immaturité fracassante, il s’amusait de pas grand-chose. Les bonne mœurs de son portefeuille quant à elles n’appréciaient que moyennement cette hémorragie gratuite et firent comprendre qu’elles s’éventaient bien plus vite qu’elles n’avaient tendance à s’épanouir. 

 

Pris au piège dans une perspective droit au mur, notre besogneux fit d’urgence quelques trésors au fusain pour des margoulins d’antiquaires peu scrupuleux sur la provenance de ces « romagnols », ce qui l’aida à se remettre à flot. Ne ronchonnez pas aussi vite à ces traitrises, ça le rend nerveux. Voyez- vous, il ne lésinait en rien pour vous plaire et se devait de payer ses divagations. Plus ça coûtait et plus il en rajoutait, preuve d’un délire obsessionnel à ses caprices. On ne s’imagine pas les sacrifices qu’il en coûta: le graphiste pour finaliser l’ensemble, l’imprimeur, le transport, l’envoi des albums, le lieu d’hébergement, les auteurs invités pour dédicacer, sans oublier ses faux frais qui au final en sont de vrais, tout cela parachevait d’assécher sa faible santé.

 

Sur ce dernier point, les chapitres qui suivront vous en diront plus long. Pour le moment il avait mieux sur la route que de s’inquiéter d’un détail sans importance, son hypocondrie attendrait. Après tout, il n’était  pas encore mort. Une seule chose pressait, terminer la réalisation des trois tirages de l’album. Ne pensez pas qu’une fois l’acte fait, cet imbécile allait s’enrichir. Il avait décidé de faire « chic ». Comme toujours, ce chiadeur pinailleur rajoutait détails sur détails dans son fignolage. Un premier tirage était réservé aux auteurs, la version sans doute la plus luxueuse en forme de portfolio pour  remercier ses camarades d’avoir rejoint la bataille, avec un échange de planches originales par tirage au sort (chacun ou presque de ces messieurs avaient offert la sienne au projet). Ensuite on faisait un banal tirage de tête et pour finir, l’ordinaire, tout aussi joli que les deux précédents mais bien moins cher. Cet anormal de « cloche-art » poussa le vice en allant voir plus loin, par la réalisation de différentes maquettes pour sa couverture. Il aurait peut-être dû s’arrêter là, et bien NON, il rajouta pour faire rire une dizaine de gadgets supplémentaires pour les versions de prestige. La liste serait trop longue : voyez juste ci-dessous quelques exemples : boîte de suppositoires pour le mal de tête occasionné à la lecture de l’ouvrage, carte d’identité mais aussi certificat d’authenticité avec un morceau de sainte relique venu de la veste de Dupa et j’en passe…. !!! Cerise sur la pomme d’Adam, pour conclure, orgueil suprême, il dédicaça la totalité des livres d’un dessin au nom de feu Dupa-Grave.

À une époque où tout le monde a le bon goût de vouloir gagner plus, il décidait de gagner moins… !!!  Les «graffiteurs » ayant bourlingué gracieusement, il aurait été malhonnête de les cravacher en prenant des deniers sur leurs caouanes. Démocratique, voila sa conception bien qu’il détestât ce mot, il alla dans ce sens en calculant son prix global et le divisant en parts égales sur le prix de chaque album. C’est une vision un brin marginale je vous l’accorde, mais à ses yeux la plus logique, elle fut adopté  à l’unanimité (facile nous étions que deux, mon camarade et moi). De toute manière, fermons cette parenthèse, ces détails n’étant pas intéressants  n’attachons pas plus d’importance à ces vulgaires choses. L’ordre administratif Ratichon était là pour ça.

 

Pour la suite de notre récit, avançons dans le temps pour arriver au moment où Maître était enfin prêt. La voiture chargée, il retrouvait sa liberté, trop heureux d’abandonner la Normandie, ses gens, ses odeurs et toute sa perversion. Durant le trajet, il pleuvait un pipi d’anges et ce voyage en compagnie de son acolyte sembla bien court en pareille circonstance, se demandant jusqu’où irait son canular, et surtout combien de jours il  faudrait à ces malins pour  le démasquer ?  (A suivre) 

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