Les mots

Claire Arbogast

Les mots.

On dit souvent qu'ils sont de trop, qu'un geste en vaut mille, qu'on se perd à bavasser. On pense qu'il suffit d'un regard, que l'évidence achèvera de faire comprendre à quiconque ce que l'on tait.


Il y a cet homme qui ne dit pas à son fils combien il l'aime car les hommes ne parlent pas de ces choses-là.

Et puis cette fille qui croit que sa vie ne vaut rien et qui pense à en finir parce que personne ne lui dit qu'elle ne restera pas ce vilain petit canard et qu'elle ne sera pas toujours la paria de l'école.

Cette femme qui ne dit pas à son amant qu'il ne doit rien espérer de plus, parce qu'il est si bon d'être aimé, même quand le prix est d'abîmer un cœur.

Il y a ces deux-là qui ne savent pas se parler d'amour de peur d'être le perdant du jeu, celui qui en attend trop, celui qui aime le plus, celui qu'on laisse tomber.

Cet enfant qui a grandi et qui ne dit pas à sa mère pourquoi il lui en veut encore pour ne pas lui faire de peine et qui lui en fait chaque jour davantage.

Ce père de famille qui garde sa rancœur coincée dans la gorge, qui marmonne dans sa barbe qu'un jour il quittera sa harpie, qu'il vivra enfin pour lui, quand les enfants seront grands, un jour c'est sûr.

Ce jeune homme qui s'éloigne de sa famille parce qu'on ne lui dit pas que oui on l'aimera toujours même s'il n'est pas un fils modèle, même s'il a des amours différents, même s'il ne fait rien de prestigieux, même s'il n'est pas aussi sportif que son papa, même s'il est un peu peureux, un peu gauche. Personne ne lui dit que ce n'est pas grave et qu'il peut quand même être heureux.

Tout ces mots qu'on ne dit pas.

Encore un tout petit peu de temps.

Oui oui on les dira.

Bientôt.

Peut-être demain.

Ou un autre jour.

Et une vie passe.


Claire Arbogast

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