Les Mots de Marie (Paris)

Colette Bonnet Seigue

 

Dix huit ans ! Après un parcourt chaotique au lycée,  Marie part rejoindre Jeanne pour faire ses études à Paris. Enfin la cage s'ouvre. L'oiseau lisse ses plumes pour essayer ses ailes. La vie familiale devient insupportable. Anémone voit partir sa fille le cœur plein de mots, de nœuds de mots jamais dits, impossibles à dire.

- Marie fait bien attention à toi ! Surtout écris-nous.

Anémone ravale ses larmes. Enfin le train s'ébranle. Le cœur de Marie bat si fort au destin inconnu. Dans le balancement des rames, elle regarde le paysage qui défile à la vitesse d'un passé déjà lointain. C'est vrai qu'elle a grandi, corps et cœur à l'assaut d'un chemin de vie,  traces du passé voilé, mis en besace, pour les méandres vierges de l'avenir vainqueur. 

- Montparnasse ! Tous les voyageurs s’agglutinent vers la sortie.

La cohue urbaine affole Marie. Le quai, dans son rugissement de faune humaine l'étourdit. Jeanne impatiente se précipite à sa rencontre.

- Bonjour petite sœur, te voilà enfin !

- Bonjour Jeanne, bonjour Paris, bonjour ma vie !

Marie découvre sa chambre, sous les toits. «  Manette comme il est loin ton pré aux escapades à l’odeur de foin coupé ! »  Son nid est modeste. La  fenêtre étroite s'ouvre sur un horizon de tuiles enchevêtrées. Chapeaux de gendarmes au crépuscule pourpre, interdits d'azur,  prisonniers   époumonés, embrumés d'air vicié.

- Allo  Maman ! Tout va bien. C’est grand Paris. Je m'y habituerai. Ne t'inquiètes pas, Jeanne est là ! Demain c’est ma rentrée. Je t’appellerai.

Les yeux  brillants de larmes retenues, Marie se ressaisit, ouvre sa valise qui sent si fort la forêt natale.

Paris- lumière, Paris-peur, Paris-espoir, la ville s'endort, Marie veille. Adieu saisons aux odeurs familières. Grandir ! Ce n'est pas si facile quand le passé s'accroche si fort à la terre de l'enfance.

Les rames s'époumonent sous les tunnels voilés d'heures de pointe. Les rythmes s'euphorisent et crachent l'amertume des souvenirs : La campagne sucrée, les bois de bruyère et de mousse de ma province trop lointaine. Le Luxembourg s'enracine au jardin des poètes. On moissonne aux Champs-Elysées. Ma chambre a l'œil sur le toit comme chaumière au bois. Un oiseau piaille des pâquerettes et mes rêves grimacent au sous-bois de Paris…

La valise…

 

Pleine à craquer de tendresses manquées, de caresses oubliées…

 

Pleine à craquer de rires qui grincent, de romances sans note, de soirs

 

d'orage, de photos voilées, d'heures courtes, de repas sans convives, de festins sans roi !  

 

Pleine à craquer d'enfance hirsute aux parties de billes, aux poupées figées, aux chemins de traverse.

 

Vois, j'ai fait ma valise elle est pleine de toi, je ne peux la fermer…

 

                                     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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