Les mots du corps

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Comment comprendre cette langue étrangère qu’il parle, langue du corps aux lourds accents de gêne, de douleurs, dialecte rugueux qu’on voudrait faire taire à coups de gélules et de sirops, d’élixirs et de tisanes ?

Depuis le temps qu’il radote, crie, murmure, qu’il hurle, à droite, à gauche, en haut, en bas, sans logique particulière, au gré des jours et des lieux, au milieu des uns ou des autres.

Elancements, inflammations, sécrétions, excrétions, contractures et ceci et cela, tout un alphabet ponctué d’exclamations, d’interrogations, formant des mots difficiles à lire même si parfois on croit en percevoir le sens. Long roman de nos jours, de notre vie, de nos vies, et de tout, et de tous ceux qui ne sont plus, ou qui sont encore mais dont, chair de leur chair, on véhicule des maux communs. Langue vernaculaire, ancestrale, qu’on parlait déjà sans la comprendre en naissant et que, corps grandissant, on a développée en dépit de tous nos sens. Langage universel de la Babel humaine ne tenant aucunement compte des races, sexes ou âges, démocratie parfaite où le corps du riche comme du pauvre, du beau comme du laid, balbutie ou gueule, ennuie ou étrangle, mais jamais ne se tait complètement.

Que voulez-vous dire, mots de ces maux aux voyelles acérées et consonnes tranchantes, mots blessants, parfois tuant ? Mots de nos pères et mères, qui s’accrochent à nous comme un placenta, mots de nos peurs, de nos désamours, de nos haines, de nos lâchetés. Mots de misère mais mots de vie qui traduisent tout ce qu’on sent, aime ou rejette, désire ou craint. Mots qu’il nous faut apprendre à traduire après les avoir lus, écoutés, épelés. Reprendre le chemin de l’école, anonner le b.o.bo du bobo. Décortiquer ces signes kabbalistiques avant de les assembler en un texte qu’on voudrait cohérent. Découvrir que douleur et maladie font partie du Verbe et que nous même, enfants du Verbe, recréons et entretenons le message. Quel message ? Même si nous le devinons parfois au fil de l’histoire, nous ne le saurons qu’à la fin du livre.

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