Les mots en trop

loinducoeur

Si tu sais, et que je sais que tu sais, alors c'est bien non ?...

Il fallait bien que ce message arrive sur mon écran tactile. Un jour. Tu n'as pas trouvé d'autre moyen de renoncer, d'autre sortie honorable, d'autre issue de secours. Le silence digital qui les a suivis me laisse sans imagination. Je me sens brutalement inutile, incapable de trouver quoi que ce soit à répondre. Muet ! 

C'est peut-être un remède efficace contre la mélancolie qui m'inonde le cerveau tout à coup. Ne plus relire tes mots. Ne plus les recevoir non plus, mais simplement les envisager comme autant d'impossibles lendemains. Un peu comme quand tu regardes par la fenêtre de ce TGV qui file dans la campagne mouillée et grise, sans savoir si cette vitesse est aussi celle à laquelle meurt les amours. Enfin, ton amour pour moi. 

Parce que le mien, je t'assure qu'il ne meurt pas. Je le sens qui ruissèle sur mes joues tendues par la tristesse. Même dans le noir de cette salle de cinéma où je croyais me réfugier, je n'ai pu stopper la remontée à la surface de ces pensées obsédantes qui s'habillent de toi. Ton visage souriant de tendresse quand je pose ma tête sur ce sein que tu trouves trop petit et que j'ai découvert si sensible. Ton regard vers l'ailleurs quand tu m'embrasses follement et qui me rend si fragile. Ta main qui glisse dans mes cheveux avec une douceur infinie, si doucement qu'elle semble vouloir y rester pour la journée. Oui tout cela revient chaque minute, chaque heure, me hanter sans aucune pitié, tu sais.

J'ai voulu te l'écrire, pensant sans doute que tu pourrais taire mes angoisses au moins pour quelques temps. Etais-je à ce point épris de cette idée d'une histoire à vivre, que je n'ai vu dans tes messages insipides le signal annonciateur de la chute ? Un peu comme l'enfant qui continue de pédaler sur son vélo en sachant qu'il finira bien par tomber, j'ai remis de l'énergie là où tous auraient certainement sauté avant de percuter le mur du désespoir. Je voulais tant ce bonheur à notre portée, tellement te dire combien j'aurai fait n'importe quoi pour toi. J'ai continué à y croire même lorsqu'il était devenu clair que tu n'en pouvais plus, que tes peurs l'avaient emporté sur ta foi en l'amour pur. 

Cet échec me fait un mal de chien, je te le dis sans honte. Je n'imagine pas que tu ne le saches pas, peut-être même en prends-tu ta part. Alors je ne distingue plus l'eau qui semble brouiller le paysage dehors de celle qui attend fébrilement de jaillir de mes yeux éteints. Alors je remplis cette page de mon écran comme s'il suffisait de mots pour évacuer ma peine, comme si les écrire pouvaient me rendre l'illusion que le temps pourrait bien nous rapprocher, que rien n'est jamais perdu. Alors je laisse filer ce train vers les montagnes où je rêvais de t'emmener. Alors je pense à toi collée sur ma poitrine, respirant cette force que nous avions en nous dans ces moments là. 

Et pourtant ces mots qui chahutent mon voyage ne suffiront pas. Sont-ils témoins de mon incapacité à te rassurer, à te guider vers le paradis ? Sont-ils si fades que te les envoyer ne changera qu'en pire le cours de notre histoire, si elle respire encore ? Je ne saurai le dire. C'est une épreuve immense et je ne suis qu'un enfant au bord de la falaise, hésitant à sauter vers les rochers que l'écume lèche avec envie. Je ne suis pas prêt pour ça. Les mots me semblent futiles et moqueurs. Ils jouent avec moi comme quand tu me les envoyais au compte goutte. Ils sont cruels non ?

Tu t'es cachée derrière des mots quand j'aurai voulu que ton âme me parle. Tu n'as pas eu ce courage de lire dans mes yeux la crainte irréelle de cet abandon inévitable. Les mots sont faits pour ça, me dis-tu. Non, je ne le pense pas. Ils sont d'une lâcheté sans égal, en définitive. Ils n'expriment que la sécheresse et le vide sentimental qui nous ont engloutis.

Ces mots-là sont de trop. 

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