LES MOUTONS

Isabelle Revenu

Toute petite déjà, je regardais sous mon lit pour m'assurer que le Grand Cric-me-Croque ne dormait pas dessous. 

J'y allais à pas de loup, à pas peureux.

Je me cramponnais aux draps et à genoux comme en supplique, je me penchais lentement en priant tous les dieux du ciel d'avoir la force d'ouvrir les yeux.

Quand enfin j'estimais que mon champ de vision allait être balayé en une fraction de seconde, les paupières contractées et dans un effort surhumain, j'écarquillais les pupilles vite fait.

Rien ....

Rien hier non plus. Peut-être que demain il n' y aura rien non plus.

Et je sautais les jambes repliées, tremblantes sur mes couvertures de laine. 

Il n'était pas rare que je doive me relever ensuite, en pleine nuit. Boire au robinet de la salle de bain ou chercher mon nounours sur l'étagère. Pisser aussi, puisque j'avais bu.

Et en regagnant ma chambre, le même rituel pénible recommençait.

M'agenouiller, fermer yeux, pencher tête, ouvrir yeux ....

Rien non plus.

Et un beau jour, enfin, une belle nuit au halo d'un clair de lune, j'avais bien regardé, un peu plus courageusement que d'habitude. Rien, il n'y avait rien.

Mes draps relevés jusqu'au nez et mon oreiller sur les yeux pour ne laisser de moi presque rien d'apparent, j'ai "senti" qu'on m'observait.

Ma peau s'est couverte de frissons.

J'ai lentement fait glisser mon oreiller sur le côté. Ca m'a pris cinq bonnes minutes.

Puis d'un coup d'un seul, j'ai vu une grosse tête au plafond, juste une tête ébouriffée qui sortait du mur. Les yeux en panique, la bouche grand ouverte comme un cul de four.

J'ai hurlé, d'un cri strident qui a réveillé mon père.

Le plafonnier s'est allumé et il m'a demandé :

Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu as fait un cauchemar ?

Je lui ai raconté ce que j'avais vu, chaque phrase entrecoupée de sanglots épais.

Ah, je comprends maintenant. Alors, n'aie plus peur du dessous de ton lit. Celui que tu as vu au plafond, c'est le Grand-Cric-me-Croque. Il vérifie le dessous de son lit. En vérité, c'est lui qui a la trouille. Il s'est penché cette nuit, comme il se penche sans doute chaque soir, mais tu ne pouvais pas le savoir puisque tu dors planquée sous tes draps et ton oreiller cache tes yeux.

Maintenant qu'il sait qu'un p'tit monstre se cache sous son lit, il ne reviendra pas.

C'est ainsi que désormais, je ne vois plus que des moutons sous mon lit. Ils y font un de ces baroufs...

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