Les nuits acides
tomb
Note d’intention : les nuits acides.
La pièce raconte quelques jours dans la vie d’un couple d’amants enfermés dans une cave. Depuis plusieurs mois, des pluies acides ravagent le paysage et chaque sortie est un risque à prendre. Enfermés dans cette cave, la relation entre les deux hommes va progressivement se tendre et aboutir à la mort de l’un des deux conjoints.
Les thèmes abordés par la pièce sont multiples. Le premier est d’abord la difficulté de l’établissement d’une relation homosexuelle pour les deux protagonistes. Pour chacun d’eux, l’expérience est nouvelle et au fond d’eux-mêmes (sure ce point les deux personnages divergent), ils la rejettent. Comment faire alors pour vivre cette relation en partie contrainte? La haine de soi dans ces conditions d’enfermement rejaillit sur l’autre et mène à la violence. C’est Franck qui subit le plus fortement cette aversion pour leur relation. Chaque concession de Tom, chaque geste d’amour est vécu à la fois comme une frustration et une provocation. Pourtant l’amour de Franck est sincère mais lui-même est incapable de l’accepter.
Y aurait-il dans ces conditions une autre résolution possible que la mort ou la fuite d’un des protagonistes? La barrière à laquelle Franck est confrontée est du type à ne pouvoir être supprimée sans l’intervention d’un élément extérieur et les pluies acides qui sévissent suppriment justement tous ces éléments extérieurs. L’amour de Tom est aussi sincère que celui de Franck mais plus débonnaire. Il se donne entièrement à Franck et vit en grande partie au travers de l’image que Franck lui renvoi, jusqu’à ce que le mépris perpétuel qu’il subit devienne insupportable et l’amène à une forme de suicide lent.
Direction d’acteur. Le personnage de Franck est très cynique ce qui lui permet de se protéger des sentiments qui s’impose à lui. On ne sait pas très bien si l’écriture qu’il revendique comme son art est sincère ou si c’est un prétexte. Une forme de langueur s’est emparée de lui qui se retrouve dans tous ses actes. Excepté pour ses excès de violence ces actes sont lents et ponctués de bâillement. Tom est doux et aimant. Toujours affairé à améliorer ce qui leur sert de foyer, il a beaucoup de mal à encaisser les vexations continuelles que lui fait subir Franck. En même temps, il développe une forme de masochisme qui lui permet un bénéfice inverse.
Scénographie. La saleté prédomine dans ce lieu qui ressemble plus à une cave qu’à un appartement. Il n’y a à proprement parler aucun ameublement. Tout est construit de bric et de broc et de préférence avec des objets métalliques.
Les nuits acides.
Scène 1 : un homme ivre
Ambiance de pluie acide. Un homme rentre en chantant un petit navire. Il s’assoit. Tiens Il trouve par terre un mot Putain de pluie acide. Il lit. C’est par respect pour lui que j’ai voulu écrire son histoire, graver dans le marbre ces mots. Cet homme qui m’a tant aimé. Nous avons beaucoup souffert tous deux mais lui plus que tout autre. La vie continue pour nous, racailles de l’existence assis dans nos fauteuils de tissus dorés, mais pour lui elle s’est fini, là, juste au coin de la rue, sous ce tunnel sombre, par sa propre volonté. Je n’ai rien fait pour l’aider. Pourtant je peux affirmer, jugé par l’œil aiguisé de la postérité, que je l’aimais comme un fou. Comme je pourrais aussi bien dire le contraire sans que personne ne me contredise. Qui sait encore ce qu’est l’amour? J’ai eu de la tendresse pour lui, il a eu de l’affection pour moi. Ici plusieurs lignes sont barrées. J’en ai fini d’écrire ces mots inaudibles. Que celui qui les trouve les brûle avant que n’en soit fait un mauvais usage. Je n’ai pas la force de les jeter. Il est mal de parler aux morts. Je t’aime Tom, adieu.
Scène 2 : Tom, Franck
Je ne comprends pas pourquoi je me suis impliqué dans un tel projet. Tu aurais du m’en dissuader quand il était encore temps. Qu’est-ce que je fais là? Qu’est-ce qui me pousse à agir de cette manière insensé? Je ne veux plus écrire ce fichu livre. J’ai froid, j’ai peur, je ne sais pas où je vais. Vivre ici, dans cette grotte de misère avec toi. Il faudrait que je sorte que j’aille prendre l’air. Je n’ai plus envie de rien. Je vais m’allonger.
Ça suffit. Arrête. je ne peux plus t’entendre gémir et geindre. Ressaisis-toi. Combien de fois je t’ai entendu dire que tu n’y arriverais pas et combien de fois tu t’es remis au travail avec la même volonté. À force de ruminer tes idées contradictoires, tu ne sais plus ce que tu veux ni qui tu es. Si j’étais toi, je m’assiérai devant cette table, je me prendrai en main et je finirai ce foutu travail qui nous pourrit la vie. Tu veux que je te rappelle tout ce qu’on a sacrifié pour que tu puisses écrire ton livre.
J’ai juste envie de me reposer un peu. Qu’est-ce que ça peux te faire?
Alors qu’il y a tellement à réparer encore. Il faut ranger la maison, plier le linge, nettoyer les portes, et changer cette putain d’ampoule. Toi tu restes allonger là comme un légume. Allez, viens, suis-moi. Assieds-toi là et mets-toi au travail. Franck s’assied et se met à compter le nombre de mots qu’il a écrit sur sa feuille. Tom se met au travail de manière frénétique mais inefficace. Franck hausse les épaules. Tom le voit, il s’assoit. Tu as raison va, comme tu voudras, il ne faut pas se faire violence. On a qu’a rester ici à rien faire, après tout on est bien dans le noir. Silence. De quoi tu veux qu’on parle?
Je te laisse choisir le sujet.
Si on remplaçait cette putain d’ampoule? Tu ne veux pas m’aider au moins pour ça?
Non.
Encore non! Et si je n’ai pas envie de parler?
Tant mieux, ça me fera des vacances.
Silence
Tu es sûr que tu ne veux pas m’aider? Il le regarde avec un regard noir. Pardon je n’ai rien dit. Je vais faire un tour.
Tu me ramènes de quoi manger?
Qu’est-ce que tu veux que j’achète? Du pain? C’est tout ce qui nous reste.
Du pain c’est très bien. C’est vrai qu’il fait noir dans cette piaule. C’est pour ça que je n’arrive pas à écrire. Je n’ai pas envie de m’occuper de ça pour le moment, j’ai d’autres choses en tête, il faut que je réfléchisse. Je vais faire un tour. Je vais faire un tour, tu n’as que ces mots à la bouche. On n’est pas bien là dans le noir? On peut s’allonger tous les deux si on veut. Qu’est-ce que tu veux de plus? Qu’est-ce qu’il y a tellement à faire dehors? Tu penses à m’acheter du pain? Tu ne voudrais pas aussi me prendre de la moutarde et du jambon. Ça fait longtemps que je n’en ai pas mangé. À bouffer du pain toute la journée, je ne trouve plus d’inspiration. Viens t’allonger, on est bien dans le noir.
Où est-ce que tu as mis le parapluie? On n’y voit rien. Aïe. Je peux bien sortir un peu. J’ai envie de sortir, ça te pose un problème.
Je vois pas bien ce que tu pourrais me proposer de mieux.
Tu m’emmerdes. Laisse-moi tranquille. Où est-ce que tu as mis le parapluie?
Je n’ai pas touché au parapluie. Qu’est-ce que tu veux que je fasse de ton putain de parapluie?
Tu veux m’empêcher de sortir?
Mais non. Qu’est-ce que tu racontes?
Arrête de me chercher. et donne-moi le parapluie.
Viens t’asseoir.
Tu m’emmerdes avec tes conneries. Je n’en peux plus d’être enfermé. J’ai besoin de sortir, prendre l’air, tu comprends?
Oui bien sûr.
Non, ne dis pas oui bien sûr comme si tu le pensais, comme si c’était vrai. Tu ne comprends rien de ce que je dis, rien de ce que je veux. Tu ne fais rien d’autre toute la journée que compter tes putains de mots.
De quoi tu parles? Tu perds la boule mon chéri.
Tes mots là, que tu as écris sur ta feuille de merde. Ne fais pas semblant de ne pas comprendre ce que je dis. Tu en as écris dix sur ta pauvre feuille et tu ne fais que les compter en boucle. Même quand je ne te vois pas j’entends le bruissement de ta voix qui m’obsède. Au lieu de travailler, tu passes toute la journée à compter tes putains de mots assis sur ta chaise. Et à chaque fois tu te rends compte que tu n’as pas écris plus de dix putain de mots sur ta feuille. Tom se met à chercher frénétiquement la feuille autour de Franck et en le chatouillant.
D’accord calme-toi, arrête, je ne jouerai plus avec mes mots. Regarde. Est-ce que tu voix une quelque part ici?
Tu l’avais encore dans la main il y a cinq minutes. Pourquoi tu joues avec ces putains de mots?
Je ne les ai pas bouffés. Ça m’occupe. C’est un meilleur divertissement que de m’engueler avec toi mon amour.
Tu te l’es mise dans le cul alors? Qu’est-ce que ça peut me foutre? Je prends ta veste, je sors, j’espère qu’elle me protègera, ça te pose un problème?
Aucun. N’oublie pas le pain.
Noir
Scène 3 : Tom, Franck
Alors?
La boulangerie était fermée, il n’y avait plus de pain et ta veste est détruite, tu n’as plus qu’à t’en racheter une autre. Si tu m’avais laissé le parapluie.
Tu ne vas pas recommencer.
C’est bon, j’arrête, je vais m’asseoir un pou. Tu as réparé la lampe? C’est super.
Ah, non pas là.
Pourquoi pas là?
Parce que je suis en train de la peindre.
Où est-ce que je dois m’asseoir alors?
Toutes les chaises ici sont en réfection.
Je ne savais pas qu’on avait e la peinture encore, ça ne sent même pas.
Ne touche pas aux chaises.
Bon très bien. Je vais m’asseoir là.
Tu as pensé à m’acheter le journal?
Tu ne m’as pas demandé le journal et je t’ai dis que tout fermé.
Je t’ai dit expressément : « Tom, si tu sors, tu n’oublieras pas de prendre du pain et de m’acheter le journal comme je te le demande tous les matins. tu as surement du oublier comme à chaque fois. Ce n’est pas avec toi qu’on va se cultiver. Il y a tellement de choses qui se passent dans le monde et nous on reste enfermés là dans cette petite chambre à contempler notre trou du cul. J’ai lu six fois tous les livres qui nous restent. Si tu ne vas pas m’acheter le journal de temps en temps je meurs moi, je me décrépis à petit feux. Je deviens comme ces phoques qui acquiescent de la tête à tous ce qu’on leur dit et qui n’ont plus la force de migrer vers des terres plus accueillantes. Il faut que tu m’aides à garder la tête hors de l’eau, moi aussi j’étouffe ici. Tu n’es pas le seul à subir le manque d’air dans ce petite espace et cette pluie qui nous ronge les os comme la rouille ronge la cuillère. C’est assez.
Tu veux vraiment ton journal? À quoi ça te sert de te tenir au courant de toutes ces actualités. Tu n’y comprends rien. La plupart du temps tu ne le lis même pas. Tu l’accroche aux fenêtres et tu le contemples comme si tu avais en face de toi de merveilleux tableaux.
Ça ne te regarde pas ce que je fais avec mon journal, c’est un moyen de libre expression. .
Tu me désespères mon petit Franck. Ça m’intéresse de comprendre justement ce qui te rends si intelligent, si supérieur.
J’aime bien me tenir au courant de ce qui se passe dans le monde, ce n’est pas un drame.
Ça ne sert à rien de jouer au philanthrope.
Il rit. Philanthrope, ça doit être ça.
Tu m’as très bien compris.
Non je ne t’ai pas compris, toi-même tu ne te comprends pas. Regarde au moins dans le dictionnaire ce que ça veut dire avant de prononcer des mots que tu ne comprends pas.
On en à un à la maison je crois.
Tu le vois quelque part?
Non, je crois que tu l’as jeté aussi.
C’est possible, j’en ai eu marre de tous ces bouquins qui nous encombre toi et moi. On passe tous notre temps à lire et on ne fait plus rien d’autre, j’ai besoin de te sentir près de moi. Je n’aime pas que tu lises quand je suis là.
C’est pour ça que tu passes tout ton temps à créer tes œuvres?
Je n’ai plus travaillé depuis que tu m’as quitté/ de toute manière je n’ai plus de quoi.
Depuis que je t’ai quoi? Tu peux me rappeler quand ça c’est passé. Je ne crois pas être parti une seule fois, alors que toi?
Tu m’as intérieurement blessé. Tu passes ton temps à rêver d’ailleurs, à rêver que la pluie cesse.
Ne me racontes pas ces histoires-là, tu es aussi sensible qu’un cheval.
J’ai besoin de te toucher c’est tout, ça te va. Je ne suis qu’un gros porc qui rêve de te toucher. Laisse-moi.
Où veux-tu que j’aille, je suis interdit de sortie.
Je n’ai pas touché à ton putain de parapluie.
Si tu le dis.
Attends que l’orage passe et va faire un tour.
Ils ont prévu de la pluie pour huit jours encore. Silence. Je n’en peux.
Tu veux qu’on sorte ce soir?
Tu dis ça sérieusement.
On pourrait aller au restaurant?
Au restaurant?
Oui si tu veux.
Oui, c’est sérieux? Avec plaisir.
Viens m’embrasser
Tu ne veux pas aller te laver d’abord?
Viens-là. Embrasse-moi. Ils s’embrassent, commencent à s’enlacer, puis les intentions de Franck deviennent de plus en plus sexuelles et violentes.
Arrête, tu m’étouffes.
Non, c’est très bien, c’est très bien. Encore un peu.
Arrête.
Allez. Tom se dégage.
Mais t’es complètement malade.
Tu pourrais te sacrifier pour moi un peu.
Je fais de mon mieux. Il lui crache au visage. Tu me fatigues, je n’en peux plus.
Et bien casse-toi, la porte est ouverte.
Mais il pleut.
Noir.
Scène 4 : Tom, Franck
Fais attention de bien te tenir.
Où est-ce que tu m’as encore emmené? Ce n’est pas un restaurant ici. Il n’y a même pas de serveur. Il n’y a pas de bruit.
Attends, soit un peu patient, laisse-moi au moins t’enlever ton bandeau.
C’est laid, c’est ça ton restaurant? Il n’y a même pas de décoration. Tu ne m’as quand même pas fait tout ce cirque pour nous laisser chez nous?
Attends, attends, tu n’as pas vu le plus beau. Assieds-toi.
Quand je vais au restaurant d’habitude j’ai une serviette, parfois on passe une petite musique, je choisis ce que mange sur un menu.
Je n’avais pas d’argent pour ça, mais attend tu vas voir tu ne vas pas être déçu du voyage.
Du jambon et un cornichon.
Du jambon et un cornichon bio. Directement de chez l’agriculteur.
Visiblement ému, mais ne veux pas le montrer. Tu as du en parcourir des kilomètres pour le trouver celui-là.
J’ai mes petites entrées. Et le jambon, en chiffonnade, plié à l’ancienne, avec les quatre coins relevés. Alors avoue que tu n’es pas déçu.
Ravi. J’aurai quand même aimé au moins un serveur qui nous apporte une bouteille d’eau
Allez viens dans mes bras. Tu vois que la vie peut être belle dans ce taudis.
Ne recommence pas tes grands discours.
Tu as raison va, profitons. Allez mets-toi à table.
Ils s’assoient. Il s’apprête à commencer à manger. Et toi tu n’as rien?
Je ne voulais pas abuser. Il faut quand même tenir notre budget.
Je peux partager.
Non, non tout est pour toi. C’est quand même ton anniversaire.
C’est vrai? Je ne m’en rappelais même pas. On est le 12 aujourd’hui?
Je ne sais pas. On peut le décréter?
Petit choux.
Allez mange, ça va refroidir. Ils rient.
Tu es sûr que tu ne veux pas un petit bout de cornichon?
Un petit bout alors. Et un peu de jambon pour aller avec.
Bien sûr.
Tu n’as pas soif, je vais chercher de l’eau?
Non, non reste. C’est très bon.
Merci.
Tu es sur que tu n’en veux pas plus?
Non, merci ça va.
(Silence. Ils mangent).
Ça va? Tu fais une drôle de tête?
Non, ça va.
Allez dis-moi.
Je suis contrarié.
Pourquoi?
Je pensais que ça te ferait plus plaisir que ça.
Mais je suis très content.
Tu ne le montres pas
Comment je peux te le prouver?
En m’embrassant?
Ah, non, ne recommence pas. J’ai compris la leçon. Si c’est ça le prix à payer pour aller au restaurant, je préfère rester à la maison.
Mais on est à la maison.
Ne dis pas n’importe quoi!
Je te rends un service et toi tu n’as aucune gratitude pour moi.
Je ne t’ai rien demandé.
Ne me mens pas!
Comme tu peux être méchant. J’ai envie de te claquer la porte au nez.
Il rit. Comme c’est puéril. Ironiquement. T’es méchant je vais te claquer la porte au nez.
Tu ne comprends vraiment rien?
Oh, arrête avec ton charabia sentimental. Je t’ai bien nourri non, ce n’est déjà pas mal?
Tu me tortures. Il lui met une claque.
Il rit. Tu te sens soulagé?
Un peu. Et toi tu n’as pas envie de me frapper?
Quoi?
Frappe-moi.
Ça ne va pas bien. Il se met à débarrasser la table. Allez, tu as assez mangé pour aujourd’hui, je garde le reste pour demain.
Allez frappe-moi. T’as peur ou quoi? T’as peur de quoi? T’as peur de moi?
Il lui colle une droite. T’es content, t’as eu ce que tu voulais?
Merci.
T’En veux une autre? Il se met à le tabasser. Et une autre? Tu te sens mieux?
Arrête, je n’en peux plus.
T’es satisfait? J’arrête.
Oui, c’est bon.
Bien. Il va s’asseoir.
Noir.
Scène 5 : Tom, Franck
Je te demande pardon pour la dernière fois.
Ne me parle plus de ça. Je ne veux plus me souvenir de cette affreuse histoire. C’est quand même étrange, non? Que tu arrives à me pousser à bout comme ça, alors qu’avant j’étais si calme. Jamais personne avant toi ne m’a fait un reproche à part d’être trop calme.
Mais…
Attends, laisse-moi finir. Ça y est je ne sais plus ce que je voulais dire. La dernière fois qu’on s’est vu s’était quand? Non, pardon, je m’embrouille, tout ce que je dis n’a aucun sens. Tu ne devrais pas me laisser faire des trop longs discours. J’en perds la tête. Je veux te dire quelque chose d’important et puis voilà que je suis incapable de m’en rappeler maintenant. Qu’est-ce qui est important après tout? Ça ne devait pas être si important que ça.
Tu voulais peut-être me dire que tu m’aimais.
Surement pas. Non, ce n’est pas le moment. Ça doit être autre chose. On investit tellement dans ses enfants aujourd’hui. Qu’est-ce que je raconte? Tu n’as jamais eu d’enfants toi?
Bien sur que non.
Non moi non plus. Je me demande comment ça fait de se dévouer comme ça pour quelqu’un, de lui consacrer tout son être. Mais au final ce n’est même pas vrai. On passe la plupart de son existence à travailler. Ses enfants on ne les voit pas passer.
Tu voudrais un enfant?
Ne dis pas des choses idiotes. Un enfant c’est bon pour les souris et pour les loirs mais pour des humains, comme nous. Tu t’imagines, qu’est-ce qu’on en ferait?
Cela me plairait bien de m’en occuper.
Tu as toujours été si maternel. Même avec moi.
C’est vrai. Mais maintenant c’est trop tard. Tu aurais du y penser plus tôt. On n’a pas les moyens de nourrir un enfant. En chantant. Allons enfant de la patrie, le jour de gloire est arrivé. Tu veux vraiment qu’il devienne comme eux? Voilà ton problème. Tu ne sais pas les éduquer. Tu veux toujours de nouveaux enfants et après tu les laisses à l’abandon comme de vulgaires pavés.
Mais…
Laisse-moi pavé. Dans ce microcosme qui est notre univers, je décrète une nouvelle loi qui ne peut qu’aboutir sur une meilleure société. On a le droit d’élever des enfants que si on s’en sent capable. Ça te va?
Oui, bien sûr. Ça me paraît logique. En même temps…
Le temps n’est pas venu pour tes questions. Va te coucher, je ne veux plus discuter avec toi.
Laisse-moi rester encore un peu. Je ne parle pas, je ne fais que t’écouter parler.
Tu as raison, tu as encore bien des choses à apprendre. Qu’est-ce que tu veux savoir? De toute manière, ça fait trop longtemps que je ne t’ai pas fait la leçon.
Enseigne-moi les choses du monde. Tu l’as tellement plus parcouru que moi.
Qu’est-ce que tu veux savoir?
Eh bien…
Sache que la première chose qu’il faut savoir, est de savoir ce qu’on veut dans la vie. Tu traines là comme un colimaçon, incapable de me poser la moindre question. Tu es vraiment pitoyable.
Ne me manque pas de respect.
Je n’ai pas mes raisons?
Si bien sûr que tu as raison.
Pour ton information, j’avais envie de t’aimer moi, mais tu ne me l’a pas permis. C’est toi qui t’es enfui avec une autre.
Mais je t’aimais plus que tout.
Et alors ça ne prouve rien, tu m’as trahie, tu as dorénavant et pour tout le reste de l’éternité que nous allons passer ensemble des devoirs envers moi.
Tu abuses de mon honnêteté.
Je n’abuse que d’une seule chose, de ton penchant pour le pêché. Sers-moi à boire.
Il n’y a plus rien à boire. Tu as fini la dernière bouteille de rhum hier soir et tant que tu ne m’auras pas rendu mon parapluie je ne pourrais pas aller faire des courses.
Puisque je te dis que je ne l’ai pas.
Tu ne l’as pas jeté tout de même.
Il prenait beaucoup de place et je ne pouvais plus m’asseoir.
Mais comment allons-nous faire. Tu sais bien que cela fait douze jours qu’il ne cesse de pleuvoir et ils n’ont pas prévu que cela s’arrête.
Et bien nous resterons ici. J’ai encore tant de chose à te montrer.
Si c’est pour me montrer ton/ cul.
Tais-toi.
J’en ai marre de ces discussions, je vais me coucher.
Tu n’as pas le droit, cet espace est à moi. Je ne veux pas que tu te couches.
Essayes donc de m’en empêcher.
Je peux te frapper encore.
Et bien frappe-moi. Silence. Tu n’en as pas le cran.
Tu ne l’as pas encore mérité. Silence. Je fatigue moi-aussi. Tu veux dormir auprès de moi.
Voilà que le petit colifichet veut se coucher et qu’il a besoin de tout plein d’affection et qu’il redevient doux comme de la crème pour pouvoir me saisir dans ses bras
Tu sais que je t’ai toujours aimé.
Moi aussi je t’ai toujours aimé.
Alors prends-moi dans tes bras.
Alors prends-moi dans tes bras.
Noir.
Scène 6 : Tom, Franck
Une éternité de jours que nous sommes ici. Je ne vois toujours pas l’ombre de la sortie d’un tunnel.
Reviens te coucher.
Je n’ai plus sommeil.
Et ma petite turlutte.
Tu es un porc.
Tu prépares le café?
Il n’y a plus de café.
Tu m’amènes des croissants au lit.
Est-ce que tu as vu quelque part l’ombre d’un croissant?
Ne sois pas pessimiste. Reviens près de moi. Je trouverai bien de quoi croquer.
Je m’en passerai. Il va vers un broc d’eau sale pour se laver la figure avec un gant. Il n’y a plus d’eau propre pour se laver. Il n’y a plus de savon. Même ce gant sent la moisissure. Des champignons ont poussés dessus. Qu’est-ce qu’on va devenir?
De quoi tu parles?
Tu sais qu’on en a plus que pour quelques jours de provisions.
On trouvera bien des moyens de substitutions. Il pleut toujours dehors?
Plus que jamais. Si tu n’avais pas jeté ce foutu parapluie.
Tu n’as qu’à sortir comme ça.
J’y perdrai un bras.
Et bien reste avec moi, viens t’allonger.
Je n’ai pas sommeil! Dis, tu l’as jeté intentionnellement ce parapluie. Tu ne voulais pas que je ressorte? Tu avais peur que je m’en aille.
Ne dis pas n’importe quoi.
Je te hais.
Oui, tu n’as pas d’autre choix. C’est un bon moyen de me supporter. Mais avoue que c’est quand même moi qui t’ai procuré le plus de plaisir pendant toutes ces années. Je suis sûr que tu n’as pas regretté une seule nuit que nous avons passé tous les deux au coin de feu. Je me sens lubrique ce matin. Je me ferai un âne. J’aime trop sentir ta peau douce pour que je puisse te laisser partir. Et puis de toute façon où est-ce que tu serais allé dans ce grand monde qui te faisait si peur quand tu m’as connu? Il ne faut pas rejeter toute la faute sur moi. Je suis ton amant bien, qu’est-ce que ça change? Tu en as connu d’autres avant moi. Ils t’ont aimé aussi et depuis est-ce que tu te sens plus heureux? Tu es toujours le même, tu n’as pas changé d’un poil à part les quelques poils qui sont apparus sur ton cul. Ne m’en veux pas si je te parle aussi vulgairement, c’est par amour pour toi. Pour tout le bien que ça te fait d’entendre ces quelques vérités. Ressaisis-toi. Il ne pleut pas dehors. Tout ça n’est qu’un rêve. C’est toi qui refuse de sortir.
Mais qu’est-ce que tu racontes, tu vois bien qu’il pleut.
Mais quelle fenêtre me montres-tu?
Et bien celle-ci.
Elle est bouchée.
Ça devait être celle-là. De toute manière tu entends bien la pluie tomber sur le toit.
Je t’ai dis que tu ferais mieux de te recoucher. Dors petit, dors.
Mais dis-moi que toi aussi tu entends bien la pluie. Il faut que j’aille dehors et me faire couper un bras pour te le prouver.
Si tu veux.
Arrête, ne me provoque pas.
Allez ce n’est qu’un jeu arrête.
Ça ne me fait pas rire.
À toi de voir.
Je veux du café. Je veux sentir la pluie sur mon visage. Je veux rire encore. Qu’est-ce que m’en empêche, c’est toi qui m’en empêche ou c’est un mur à l’intérieur de moi? Tu me fais devenir fou, je sais très bien qui tu es, qui je suis, qui nous sommes, comment nous en sommes arrivés là. Ne me fais pas croire ce qui n’est pas.
Je ne te fais croire rien du tout mon ange. Je t’écoute, je suis là pour toi, qu’est-ce qui ne va pas?
Je deviens fou. Tu vas réussir à me faire devenir fou. Je ne veux pas de toi, je ne veux pas de tes mensonges, de tes salades. Je vais aller dehors, je vais bien voir ce qui est vrai.
Va te faire foutre. Il sort.
Noir.
Je suis dehors et tuméfié. Mes membres me font mal. Mais je refuse de retourner voir ce monstre. Il m’a défiguré, il m’a trahi, il m’a enseveli. Depuis que je le connais je ne suis plus personne. Je ne suis plus rien, je subis la vie. Je n’ai plus de conquête, je n’ai plus d’espoir et lui il s’en régale. Je suis sur qu’il est parti me rechercher à l’heure qu’il est, il ne peut pas se passer de moi.
On entend au loin. Tom.
Le voilà, je l’entends, mais cette fois-ci, il ne me retrouvera pas. Il peut bien tuméfier mon visage, mais il ne peut pas apprivoiser mon âme. Il ne me retrouvera pas.
Tom!
Va-t-en Franck. Cache-toi. Tu ne me mérites pas. Si je reviens chez lui, je suis mort ou tout comme. Je n’ai que faire de cette vie. Et en même temps, ou aller? Il à raison, je n’arrive pas à me passer de lui. Il est comme mon maître et je suis comme un chien. Si seulement j’avais plus de ressources. Je m’en irai ailleurs, chez quelqu’un d’autre. Mais pas lui. Non, pas chez lui.
Tom tu es là? Dieu soit loué, je t’ai cherché partout. Regarde j’ai retrouvé ton parapluie on va pouvoir aller faire des courses.
Je ne viens pas avec toi.
Mais qu’est-ce que tu racontes. Qu’est-ce que tu vas faire ici, assis, tout seul, dans le froid?
Je trouverai un autre moyen. Je trouverai quelqu’un d’autre.
Allez ne dis pas n’importe quoi.
Je ne veux pas venir.
Bon reste-là, je reviendrai te chercher plus tard.
Ne reviens pas me chercher. Il n’y aura pas de plus tard, c’est fini je n’en veux plus.
Mais je ne peux tout de même pas t’abandonner.
Fais ce que tu veux de moi, je ne viendrai pas.
Alors c’est comme ça que tout se finit. Ici, sous la pluie avec tes membres brûlés.
Il faut croire qu’il n’y avait pas d’autres solutions pour que je parte. J’en ai assez de toi et toutes tes histoires.
C’est bon, je comprends, je te laisse-là. Mais ne reviens pas me chercher. Je serai sûrement parti, ailleurs avec quelqu’un d’autre.
Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse?
Je te dis juste ça pour te prévenir. Dors-là si tu veux, je ne t’amènerai pas de couverture.
Je n’en ai pas besoin, je veux mourir.
Et bien meurt que veux-tu que je te dise. Ainsi tout se fini?
Ainsi tout se fini.
Noir.