Les œufs à la Coffe

Michel Chansiaux

Une recette fictive en hommage à Jean-Pierre Coffe

Et bien mes chéris, si j'ai choisi d'écrire cette fiction sur Jean-Pierre Coffe à l'occasion de sa sortie de cuisine définitive, c'est pour vous révéler une recette qu'il tenait d'un prêtre, son professeur de latin du collège, membre actif de l'Anus Dei. Inspirée d'un rituel satanique que pratique cette société secrète de l'Eglise, cette tambouille est censée vous rapprocher de l'immoralité absolue. Ignorée de Monseigneur Barbarin, Primat des Gaules, la primauté de la gaule est le ciment de ce groupuscule hanté par le péché de chair, ce saut d'homme dans le trou de l'inconnu. Jean-Pierre avait subit bien d'autres influences dans son enfance, d'où ses goûts vestimentaires déroutants. Ses chemises fripées comme des oeillets, ses vestes larges comme des habits sacerdotaux et ses lunettes puériles en forme de double fion trahissent sa complexité et sa volonté de différenciation. Jean-Pierre est mort juste après Pâques. Il redoutait aussi à juste titre, cette foutue semaine comportant un jour de jeûne et un jour où on risque de finir en Cendres, sans compter son apothéose dominicale, le traditionnel gigot « en furonculose », un cuissot à gerber, criblé d'éclats d'ail par nos mamans bienveillantes mais méritant une fatwa devant un tel sacrilège culinaire.

Pour en finir avec cette course à l'échalote avec les Pères verts, revenons aux œufs à la Coffe. D'une part, ils respectent son souhait de la crémation de son corps. Ils ne requièrent ni four, ni brasier. Ce ne sont donc pas des « prépuces à la Bavaroise » désignant des petites meringues au paprika d'origine yidiche ou des brochettes West Point, des boules de jaunes empalées sur une demie tige de bambou, cuites au napalm. La cuisson des œufs à la Coffe, se fait au bain-marie, dans de l'eau vierge de toutes traces de résidus de contraceptifs, ce qui n'est pas aisé à trouver aujourd'hui, même dans le Jourdain.

Les œufs à la Coffe ne sont pas plus des astuces de cuistres trop prompts à fouetter ou en faire baver l'homolette, calembour foireux par lequel ils désignent leurs collègues cuisiniers gays. Ce ne sont pas non plus les œufs pochés dans la béchamel, plat emblématique de la mâle bouffe de la restauration scolaire tant décriée par notre chroniqueur gastronomique. Ce n'est pas non plus une querelle d'auteur lancée par Pierre-Emmanuel Schmitt, invité par Laurent Ruquier à débattre avec Stéphane Berne sur les paramètres érotiques optimaux de la mouillette : longueur, diamètre, rigidité, avec ou sans croûte. Pour toutes questions sur les petites bites, adressez-vous aux « Grosses têtes », recommandait Jean-Pierre. « Mais mes "oeufs à la Coffe", c'est tout de même une histoire de cul des plus salaces que je connaisse » prévenait-il. Il précisait dans la foulée : « Pour une fois, je vais vous conseiller d'acheter de la crotte ».

En effet, dans les œufs à la Coffe, la réussite réside dans l'origine des produits. Il faut se procurer des œufs de ferme pondus de la vieille par une poule qui se tape des coqs dans le pré. Pas des pontes aseptisées de pucelles de batteries qui se lavent le cloaque à l'eau de Javel tous les matins dans leurs poulailler climatisé. Les traces de fiente fraîches témoignent de l'origine des œufs. Il n'y a pas de possibilité de triche de la part de la filière aviaire. Ce n'est pas rentable de barbouiller les œufs de Roumanie avec du guano du Chili, il y a trop de casse.

Jean-Pierre n' a rendue publique sa recette qu'une seule fois dans sa carrière, elle est passée inaperçue. C'était à l'époque où il officiait sur une chaine de télévision filiale de Fabergé. Ses patrons avaient cru trouver en lui « la poule aux œufs d'or » mais Jean-Pierre n'était pas homme à se laisser mener par le bout du nez par les annonceurs. Ceux-ci voulait promouvoir une cuisine de « mec », comme la purée « CAC 40 » de Maïté « dans quarante grammes de patates cuites sur du miel, versez une bouteille de cognac, un grand pot de crème et un bloc de foie-gras». Fidèle à ses options sexuelles, il ressuscita donc cette préparation oubliée, d'une frugalité de chamelier, à la mode de « la Mecque ». Un modèle de développement du râble post-pétrolier. Malheureusement, vous connaissez la faconde de notre regretté ami, sa recette largement argumentée d'un point de vue ethno-historique, fait huit pages, un travers de pigiste payé à la ligne.

Je me résigne donc à vous livrer la version lapidaire mais exacte d'un Malinois, ancien Katanguais engagé dans la Légion et fidèle protecteur de la cuisine nationale malgré ses faiblesses pour le coucous, le canard laqué ou le stoemp bruxellois. Je cite : « Prendre un œuf « trash déjection » d'un volatile culard bleu blanc rouge qui n'a jamais becqueté à Molenbeek. Faites cuire trois minutes à l'eau bouillante. Vous mangerez l'intérieur et garderez la coquille pour vos enfants et votre moukère, s'ils lui en laissent. Tandis que les gosses se lavent les mais, la fatma vous prépare le thé à la menthe qui accompagne le plat. L'infusion est faite avec l'eau de cuisson de l'oeuf. C'est le secret du goût inimitable de cette boisson préparée selon les rites ancestraux, arraché à la gégène par mes soins à une Kabylle qui piquait des Gauloises au mess des sous-off».

« C'est bon comme là-bas » gueulait Jean-Pierre à l'antenne avec un accent à égorger au rasoir lorsqu'on lui en servait une authentique. Mais il ne supportait pas la formule populaire conditionnée dans des petits sachets en forme de chaussette que les Pieds Noirs avaient rapatriée en France. « C'est de la merde » criait-il à tue-tête. Jean-Pierre c'était autant une fine qu'une grande gueule. Vous avez du mal à me croire. Ce n'est pas crédible, cette histoire d'eau souillée. Jamais Jean-Pierre n'aurait bu ce purin. Exact mais, vendredi ce sera le 1er Avril. Encore un jour dévolu au poisson mais sur le ton de la blague. « Et dans le thon tout est bon, comme dans le cochon, aurait conclu Jean-Pierre en se fendant la poire ». Maintenant qu'il est froid comme un mojito, nous n'avons que lisier pour pleurer.

Signaler ce texte