Les petits vieux se ramassent à la pelle ( 2)
Corinne Champougny
Le bruit s'est arrêté un instant et instinctivement André a suspendu son souffle. Mais la machine a vite repris son halètement poussif, passant d'un programme à un autre, par la magie de la mécanique. André change de position, s'installant en chien de fusil, l'oreiller bien calé sous l'oreille gauche. Le sommeil semble couler dans ses veines, de la pointe des pieds au thorax qui se détend, se soulève de plus en plus régulièrement, entraînant le septuagénaire dans une paisible sieste. Il choisit toujours cette heure-là pour faire une machine. Le bruit de la technique a un effet à la fois euphorisant et calmant. L'instrument travaille pour lui et il saisit pleinement pendant ces instants magiques ce que signifie le progrès, dans ses aspects les plus positifs bien sûr. Tout à l'heure, le linge sera propre et lui reposé. Un léger sourire détend son visage ridé par l'âge et le soleil. Toute une vie à travailler pour les espaces verts de la Ville de Brive, et puis il a posé ses outils, sans trop de regrets. Maintenant il critique le travail des jeunes, leurs idées loufoques pour embellir le pont Cardinal ou la platitude de leurs compositions aux abords du théâtre de la Guierle. Tous les matins, il passe par l'avenue de Paris, surveille mine de rien l'arrosage des géraniums, longe les quais de la Corrèze et rentre par la passerelle, ce qui lui permet de traverser les jardins de la Guierle et d'apprécier le balayage des allées ou la tonte de la pelouse. Il ne peut pas s'en empêcher. Au fond, c'est presque une mission, peut-être ridicule, mais inoffensive en tout cas. A cette heure-ci, André rêve peut-être à ses plants de tomates, les nouveaux, qu'il a plantés il y a seulement trois semaines. Des Marmande, parce qu'on a beau dire, mais rien ne vaut les pulpeuses Marmande à la saveur sucrée. N'en déplaise à tous les sorciers qui inventent des plants hybrides sans goût et sans âme. Il bouge légèrement la main gauche. La machine passe en mode essorage. Sans doute l'homme a t-il profité du bruit pour forcer la porte. Sans doute a t-il souri en entendant la vieille machine vibrer désespérément en tressautant sur elle-même. Mais peut-être que cet homme ne sourit pas, jamais. En tout cas quand il étrangle un petit vieux. Allez savoir.
'Tout à l'heure, le linge sera propre et lui reposé' : Quelle ironie ! Encore bravo !
· Il y a plus de 12 ans ·Chris Toffans
après la pelle c'est l'essorage!!!
· Il y a plus de 12 ans ·franek
C'est bien écrit! Et cette dernière phrase à laquelle on ne s'attend pas du tout et qui vous glace ....
· Il y a plus de 12 ans ·Muriel Monnier