Les rêves de voyages

Will Van Gulik

Regardons autour de nous.

On se croirait sur les bords du Yang Tse Kiang, évoqué par un Gabin
aviné.
La grandeur de ces espaces, et le manque de verdure nous fait
réaliser où nous sommes réellement, et que nous sommes de fait, aussi avinés.

Il en faut, pour confondre un fleuve mythique et une avenue qui ne l'est
pas moins, j'ai nommé cette grande allée illuminée nous portant de
l'arc du triomphe à la tour Eiffel.                                                         

Partant dans les rues parallèles, nous plongeant plus loin dans les plus
petites rues, on y découvre une autre vie, et le vrai Paris, vivant et
passionné.

Celui qui, inondé de pluie, laisse les rues pleines de flaques, de
petits ruisseaux ponctuels qui auront disparu aussi rapidement
qu'ils ont vu le jour, avec l'aide de l’arrêt du déluge entre temps.
On espère ne pas être dans ces petites rues, si elles étaient arpentées
par quelques véhicules motorisés et peu compatissants, de peur d'y
finir aussi trempé que les pavés que l'on foule avec la fascination
de ces espaces environnants.

La photo touristique devant le Louvre en devient une mission ludique,
et soulèvera avec le temps, l'interloquée réplique des observateurs
du cliché qui s'étonneront des parapluies aux alentours,
alors que les sujets principaux présentent une tenue plutôt estivale.
Oui, c'est bien une épopée sous la pluie que l'on vit, le voyage n’amène
pas nécessairement le ciel bleu.

Mais on voyage en transformant la vision commune d'une ville.
Si l'on prend le temps et que nous nous laissons assumer nos caractères
et nous immerger dans ce nouveau monde, nous sublimerons ces espaces.

En racontant cette ville avec nos mots, en la vivant avec notre folie,
elle se transforme et nous manipule à notre insu. Ainsi, des
trentenaires redeviennent des adolescents, se cachant dans les toilettes
d'un bar à la mode pour assouvir leurs désirs et accomplir leur petit
larcin à l'insu de la bienséance locale.

De plus réels adolescents se retrouvent à faire les vieux touristes,
associant leur image à celle de cette dame métallique.

Ils ont imaginé qu'elle pouvait spontanément avoir l'envie de partir,
gambadant vers d'autres horizons, probablement vendue à de riches et
naïfs investisseurs étrangers et manipulés. Ils n'imaginent pas encore
qu'ils pourront facilement la recroiser, elle n'est pas loin, quelques
heures de transports modernes, et tout ce beau monde serait de nouveau
réuni.

En plus de l'endroit et de sa folie, l'instant nous manipule. On se
retrouve pendant la fête nationale, et parlons bien de celle de la ville,
pas ce celle que pourraient amener ces biens fourbes voyageurs d'autres
contrées.

Un instant où tous les citoyens se retrouvent à être eux-même en voyage
dans leur propre ville, les rues bloquées pour voir ce cortège et ces
discours, ces concerts gigantesques sous les pieds de la dame de fer,
toute ces choses bien peu fréquentes malgré leur régularité, du moins
annuelle.
Jetez un vrai visiteur au milieu de cette situation, et vous
verrez sa surprise une fois que les autochtones lui demanderont des
informations sur les événements à venir.

Perdu dans ses pensées, il ne sera pas d'un grand secours à ses
interlocuteurs. Se rappelant qu'après l'averse plutôt copieuse,
il avait pu profiter de la vue fascinante de cette ville, de nuit,
depuis les hauts de Montmartre au milieu de ses comparses qui
s'agitaient copieusement.

Le voyage réel de ces agités, malgré le lieu nouveau qu'ils occupaient,
avait depuis longtemps quitté leur conscience. L'euphorie et le voyage
spirituel avait pris le dessus, l'alcool et ses compagnons avaient
emporté tout ce beau monde vers des cieux encore plus élevés, plus haut
que la proche tombe d'Adèle de Savoie. L’insouciance leur avait fait
oublier que la dame de fer les regardait, illuminée au lointain.

Ils avaient transporté leur corps dans ce voyage, la ville avait
transporté leurs esprits. Les rêves avaient fait le reste,
l'euphorie était envoûtante de les avoir vu se réaliser.

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