Les risques du métier

ttr-telling

Cela faisait déjà deux ans que j'écumais les mers sur le Jolly Roger, et je n'avais pas encore eu l'occasion de me battre une seule fois. L'équipage me refusait encore la participation aux abordages, malgré les leçons hebdomadaires avec Coudeur pour apprendre l'escrime et le tir au pistolet. Il me félicitait pourtant régulièrement sur mes progrès, en particulier au combat rapproché. Mais il me répétait sans cesse que j'étais encore trop frêle pour participer à un vrai combat.

Pourtant, lorsque je les écoutais raconter leurs anecdotes de pillages ou quand je parvenais à épier discrètement l'abordage d'un bateau marchand, le danger semblait faible. La seule vision du pavillon noir arborant un crâne moustachu suffisait généralement à inciter les cibles des pirates à se soumettre sans résistance. Les rares fois où un équipage un peu plus farouche tentait de se rebiffer, leur combativité était rapidement mise à mal par la précision du capitaine, qui parvenait à repérer et plomber d'entrée de jeu les gradés. Sans parler de l'allure féroce et colossale de Coudeur, qui se jetait, lame au clair, au milieu de leur pont en riant comme un dément. J'avais entendu Souris dire qu'il avait déjà tranché un homme en deux d'un seul coup de lame, aussi facilement qu'il aurait éventré un poisson. Et honnêtement, je n'ai jamais douté de la véracité de cette histoire.


Mais le jour où Coudeur a été ramené sur notre pont, soutenu par Souris et Arnaud, je pris enfin la mesure de ce que signifiait vraiment un abordage, et les risques que l'équipage prenait à chaque fois.


Il soufflait comme un boeuf à travers ses dents serrées sur le manche en cuir de son couteau, alors que Souris et Arnaud le laissaient glisser doucement sur les planches du navire. Je restais figé face au colosse que je pensais invincible, alors qu'il serrait sa ceinture juste au-dessus du genou gauche, sous lequel son puissant mollet avait laissé la place à un vide sanguinolant. Je mis cinq bonnes secondes à réagir, paralysé par la scène, alors que Souris me hurlait d'aller chercher le Second.

"Peter ! PETER ! Bouge ton cul putain de merde ! Vas chercher Mouche ! GROUILLE !"

Je me défigeais enfin et me précipitais vers l'écoutille pour aller chercher Mouche. Je fini par tomber sur le Second qui remontait de la réserve, attiré par les cris de l'équipage.

"Mouche ! Depêchez vous ! C'est Coudeur ! Il s'est pris un sale coup ! Ils lui ont fauché sa jambe ! Y'a du sang partout sur le pont ! Il faut que vous veniez !" J'avais parlé trop vite, en mâchant a moitié mes mots, la voix rendue suraiguë par la panique. Mais Mouche, qui n'avait pas été choisi comme second par le Capitaine par hasard, compris immédiatement la situation et la pris en main aussitôt.

"C'est bon Pet', calme toi, respire un grand coup, je vais m'occuper de lui. Vas me chercher des draps propres, un seau d'eau claire, une paire de ciseaux et demande à Cramé sa lame la plus fine et la plus aiguisée. Et RESPIRE !". Alors que lui-même détalait en direction du pont, je pris une grande inspiration avant d'aller attraper des draps dans la réserve pour ensuite me diriger droit vers les cuisines.

Cramé était en train de préparer le bouillon pour le dîner alors que j'entrais en trombe dans son domaine. Le coq leva des sourcils épais et broussailleux.
-"C'est quoi ce raffut? On a un blessé?" Demanda-t-il en faisant frémir sa grosse moustache poivre et sel.
- "C'est Coudeur ! Mouche a besoin de ciseaux, d'un seau d'eau propre et de ton meilleur couteau!" fis-je, hors d'haleine.

Son regard se durci, et à peine quinze secondes plus tard, il me tendit un seau d'eau fumante, dans lequel trempaient des ciseaux brillants et une lame affutée comme un rasoir. Lorsque j'arrivais finalement sur le pont, les bras chargés du nécessaire demandé par Mouche, je vis le chapeau rouge orné d'une plume de paon. Le Capitaine se tenait aux côtés de Coudeur qui était devenu blanc comme un noyé, l'aidant à boire de la gnôle sortie tout droit de sa réserve personnelle, pendant que Mouche resserrait le garrot de fortune autour de la cuisse du blessé.


TTR.

  • Quel récit, à la fois terrible et palpitant.
    Bravo, je pense que c'est un extrait de roman, ou une sacré bonne idée pour l'écrire.

    · Il y a plus d'un an ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

    • Merci ! en effet j'ai l'intention d'étoffer un peu l'histoire de ces personnages au fur et à mesure dans différents textes, et qui sait, peut être en faire un vrai roman à la fin :)

      · Il y a plus d'un an ·
      Tree paper

      ttr-telling

    • De tout cœur avec ce projet!

      · Il y a plus d'un an ·
      Lwlavatar

      Christophe Hulé

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