L'étiquette et la blanquette ma biquette!

L'art de la table française s'organise autour de véritables rites et règles de bienséance qu'il faut savoir respecter scrupuleusement pour éviter, de temps à autres, de donner crises cardiaques et tachycardie aux maitresses de maison ou simples convives.

J'aime retourner les situations.

Et si ces règles de l'art avaient été instaurées pour faire oublier le côté bestial de l'homme et un peu l'ordonner et surtout cacher le coté totalement absurde de se retrouver pour mâcher, avaler et déglutir ? Finalement un repas est une grande danse du ventre ou œsophage, salive et intestins ne cessent de travailler (eux ont rarement des syndicats, ou si, peut-être en cas de jeûne), il doit y avoir du bruit là-dedans et surtout un concert d'entrechoquements de dents, de bruits de gorges et glouglous gastriques. Et bien voyez-vous l'homme a été capable de mettre en ordre tout cela et de cacher cette misère ! Petit à petit, ces réunions purement alimentaires ou la musicalité des bruits de bouche rythmait les repas, ont fait place à un grand raffinement  et l'absurdité de ces réunions, j'entends se retrouver pour remplir nos panses, est devenue une tradition avec un savoir-faire à respecter scrupuleusement; de siècles en siècles l'art français de se tenir à table est passé d'une cuisse de chevreuil à dévorer à la main à des livres entiers de manuels de tenue.

Étudions quelques unes de ces tenues correctes. Il est amusantes de noter qu'en plus de ces règles de base, certaines familles ont aussi instaurées leurs propres règles et jurent à qui veut entendre qu'elles figurent dans la tradition française.

-Lorsqu'on est invité à un déjeuner ou à un diner, j'aime la tradition: le quart d'heure de politesse. Je suis attendrie car il va tellement avec notre culture et notre façon d'être ! On y a mis le mot politesse et il est devenu un des points de l'éducation. Or finalement il est juste un bon moyen de se rafistoler plus longuement la figure pour les dames invitées ou d'enlever à la dernière minute le vernis rouge qui a bavé sur les doigts, pour l'homme invité de lire plus longuement tranquillement son journal (sans que sa douce lui casse les pieds puisqu'elle est affairée a se pouponner) et pour l'hôte de se dire heureusement il me reste encore un peu de temps pour recommencer ma Nième mousse au chocolat ratée, pourvu qu'ils arrivent en retard !

-Attendre, avant de toucher à son assiette,  que la maitresse de maison commence elle-même à toucher la sienne, ce qui est une invitation à commencer. Sauf que la plus part du temps la maitresse de maison est une sacrée piplette : elle parle et elle parle et les convives affamés lorgnent son assiette toujours intacte. A chaque fois sa fourchette descend, on entend presque un soupir de soulagement chez les convives, quand soudain elle trouve un nouveau sujet et les dents se relèvent. La maitresse de maison, sentant un coup de pied sous la table, son mari qui en gros veut dire « t'es bien gentille avec tes cancans mais on a faim », s'interrompt et là on entend un « bah quoi chéri pourquoi tu me donne un coup de pied ? » puis « ahah oui que je suis bête, vous pouvez commencer » !

-Les coudes sur la table. Combien de coups de couteau me suis-je pris enfant, d'ailleurs les paternels seraient capables de répéter le sempiternel “tes coudes” jusqu'à leurs 90 ans tant cela leur hérisse le poil. Ah si, une exception : les femmes mariées ont le privilège, quant à elles, de mettre les coudes sur la table puis elles prendront soin de joindre leurs deux mains.  Je me suis toujours interrogée là-dessus : sans doute parce que leurs bagouzes aux énormes pierres précieuses sont trop lourdes et il leur faut se reposer un peu  des bras? Ou doivent-elles faire une sorte de prier pour que le repas ne les engraisse pas trop ? Mystère pas encore résolu !

-Couteau et salade. Non, non, non ! On ne coupe pas sa salade avec un couteau ! Mais d'où venez-vous galopin pour oser enfreindre cette règle ? Ce que j'aime, c'est que dans cette tradition, comme la plus part des traditions, il y a une véritable explication qui d'ailleurs n'a plus lieu d'être! Il y a encore une cinquantaine d'années on recevait ses convives avec du métal argenté ou du massif. Et bien la vinaigrette de la salade oxydait la lame d'acier des couverts en argent et altéraient les couteaux et, ne pas couper la salade, était un réel geste de politesse et de respect du métal. C'est ainsi devenu une coutume ! Alors quand on vous sert de la salade avec des couverts en argent récent, lame d'acier inoxydable car inox, si on ose vous regarder avec de gros yeux découper votre salade à vous de minauder : oh pardon je ne pensais pas manquer de respect à vos lame en inox!

-Les mains posées sur la table et non sous la table comme nos “amis” anglais (je mets le mot amis entre guillemet, il y a encore les rancœurs de la guerre de cent ans dans certaines familles, ou bien la 20 fois arrière grand-mère qui aurait été assassinée par Henri VIII, toujours être nuancé dans ses propos). En France, c'est ce qui montrera le plus si vous avez un tantinet d'éducation ou pas: les mains sur la table s'il-vous plait; en Angleterre, la main non utilisée va sous la table. En réalité je pense surtout que nous ,en tant que bons français toujours sur nos gardes, ne pouvions imaginer laisser quelques mains pendant les banquets trainer sous la table. Un fieffé larron aurait pu y sortir une arme en douce, ou je ne sais quelle fiole de poison! Les anglais, eux, avec leur flegme habituel ont toujours été un peu moins parano, cependant ne leur envoyons pas de fleurs car “l' Angleterre n'est qu'une colonie française qui a mal tournée” nous dit Clémenceau alors voyons cela comme le geste de rébellion d'une ancienne colonie envers les français :)

Allons bon, à prendre ou à laisser la mastication et la digestion ont un super alibi: l'étiquette à table leur sauve la mise!