Lettre à Philippe Djian

poulpita

Cher Philippe, très cher Philippe,

je t'écoutais récemment dans le sombre d'une nuit jetlaggée, sous la lune californienne - vive le podcast. Tu discutais pour France Culture (*), tu racontais ta vie, avec des mots simples, des anecdotes, et une décontraction, qui me touchaient. Je retrouvais un peu de tes mots dans tes histoires. Philippe, peut être l'auras-tu déjà deviné, j'aime beaucoup ce que tu écris, et lorsque j'ai moins aimé tes ouvrages, j'ai aimé les risques que tu prenais. Récemment j'ai poussé des cris de joie en découvrant les liberté que tu prenais avec la ponctuation et la langue française, ainsi que ton talent à manier le non-dit. Bref, tu fais partie de la liste très privée de auteurs qui me touchent, me renversent, me font me découvrir.

Et dans cette interview, Philippe, tu disais que la politique ne t'intéressait pas. Que la politique n'était pas du domaine de ton écriture, que tu ne voulais pas avoir pour mission d'expliquer aux gens comment vivre, s'organiser... Je pausais un instant le podcast. Oui, c'est vrai. Tes ouvrages sont au dessus de la société, souvent dans des villes inconnues, tes personnages sont des humains en mouvements dans la société, mais ils ne prennent pas parti, ils ne votent pas, ne se battent pas, ne dissertent pas des heures, ne parlent pas des 35 heures, n'évoquent pas les pistes vers une société parfaite. Certes.

Ici, un chiffonnement. J'aime en général les auteurs engagés. J'aime Philippe Djian. Et il confesse un manque flagrant d'engagement. Je pèse. Je balance. Politique. Engagement. Leur rapport. Et puis il m'apparaît clairement qu'un argument pourra me réconcilier, m'expliquer pourquoi nous avons des vues différentes ici. L'argument que tout est politique. Nos choix sont politiques (pour faire court). Ils nous positionnent dans la société - à l'opposé du mollusque. Et par cette magie. Ton écriture est politique, Philippe, bien que tu t'en défendes. Décrire la vie de personnages, libres, qui se foutent des normes, qui font des choses hautement bizarres, qui sont à la limite du socialement correct. Disséquer les névroses humaines, actuelles, pour mettre à jour nos faiblesses, les ressorts qui nous poussent à perdre la tête, les mécaniques de la domination, les limites de nos humanités. Dénouer les fils machiavéliques des filiations, des familles et des héritages lourds, c'est un engagement. Bref(**). Tout ceci, Philippe, m'apparaît à moi hautement engagé. Une parole crue, sensible, intelligible et intelligente. Voici un engagement qui est souvent rare dans notre paysage littéraire(***). Ton écriture, racontais-tu était perçue comme ne ressemblant à rien de ce qui se pratiquait dans les années 70.  Et tu as gardé ta ligne. Elle s'est même radicalisée ces derniers temps. C'est un engagement. Tu animes des ateliers d'écriture, tu accompagnes des talents naissant, et tu leur dit de bosser leur écriture, de bosser et bosser. C'est un engagement. Tu multiplies les supports d'écritures, les formes (paroles de musique, albums illustrés, ...). Tu parles de toi simplement, de manière accessible, sans aucune trace d'élitisme dans ton attitude. C'est un engagement.

Mais il est tard, ici en Californie. Me voici réconciliée avec moi-même, Philippe. Et j'ai enfin pu te dire tout le bien que je pensais de toi.

Merci.

(*) Émission A Voix Nue sur France Culture :  http://www.philippedjian.com/a-reecouter-a-voix-nue-france-culture-4-8-janvier-2016/

(**) Je laisse ici le lecteur relire toute la bibliographie de Philippe, magnifique presque du début à la fin, oui je suis une fan inconditionnelle.

(***) Lecteur, je suis preneuse de toute suggestion d'auteurs provenant de ta propre liste d'auteurs préférés.


  • je suis fan depuis près de 30 ans! Genre inconditionnel! ses mots sont devenus les miens et font partie de ma vie! J'ai connu ça avec 4 autres écrivains personnellement même si ça jamais été aussi intense qu'avec Djian (Vincent Ravalec, Olivier Adam, Philippe Labro et Yves Simon)! En tout cas très très joli ton texte!

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Default user

    Fred Teper

    • Merci Fred pour ton commentaire bienveillant. Je note ta top liste d'auteurs. Ravalec, Labro, Simon, je connaissais, Adam, non, je pars à la découverte :)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      La libertad   schiele

      poulpita

  • Je ne connais pas Philippe. Mais ton texte montre ton amour. Cependant je ne pense pas qu'un auteur puisse être rattaché à quelconque mouvement simplement parce qu'il a des idées. C'est ce que les partis obscures cherchent à faire, ils grappillent des phrases pour se les approprier. Ne tombons pas dans ce piège. Une idée appartient à celui qui l'a eu, et non à un courant qui tend dans ce sens à un moment donné.

    Mais encore, je ne connais pas Philippe Djian.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Jom3

    jom

    • Merci jom pour ton passage, ma définition d'être politique ne veut pas dire être encarté, mais plutôt d'avoir un projet, une vision de société et la partager. Je ne vais pas te dire que tu devrais lire Djian, ce serait un peu redondant avec l'objet de ma lettre :)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      La libertad   schiele

      poulpita

    • Non mais ce texte m'a donné envie d'approfondir du coup :-)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Jom3

      jom

  • Je suis fan aussi. Depuis. ..pffff...20 ans. ..ouh la la !! ;) merci pour le lien.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Ananas

    carouille

    • Émissions à écouter, très bien...
      Merci pour ta lecture !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      La libertad   schiele

      poulpita

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