Lever le voile

petisaintleu

Un soleil franc vient caresser Aïcha, la Maghrébine.

Hier soir, elle pleurait devant les photos jaunies de sa maman posant fièrement en maillot de bain sur la plage. C'était il y a quarante ans. Il y a à peine cinq ans, avant ses premières menstrues, Aïcha pouvait encore se promener en jupe. Sans que l'on n'y voie rien à redire, sur la tête de sa mère.

La vie était belle, même dans le quartier nord à cette époque. La grisaille des faciès, l'ébène des visages, la kipa ou le keffieh n'avaient pas encore étaient lessivés par Sabra et Chatila, par les Twin towers ou par les regs sahéliens.

Le danger vient toujours de là où on l'attend le moins. Le pas touche aux potes avait muté et s'était transformé en triste clone communautariste.

Le soleil putassier la provoque. Il lui irradie le visage. Il s'insinue par touches dans les tissus de l'hidjab plus réfractaire, par tradition.

Elle pousse un soupir. Elle imagine des doigts plasmatiques qui honorent l'humanité de sa féminité.

Elle jalouse le chat qui se darde, étendu sur le rebord d'une fenêtre, vautré en une pause lascive. Elle qui voudrait sortir les griffes serre les dents.

L'ondée viendra la rafraîchir entre ses cuistres bouts de chair où le feu couve.

Du sol monteront les vibrations de Gaïa, matrice d'Osiris, des Lybiques et de Baal. Mais un grain de sable est venu perturber la mécanique tectonique. Par son égoïsme, le Dieu de Moïse et d'Abraham a semé la division des peuples et des sexes, la castrant du plaisir se son libre arbitre.

Elle se dit qu'elle n'est que l'ombre d'elle-même, obsédée par l'obscur désir de se dévoiler.

Elle n'y tient plus. Cachée derrière une palissade, elle se déshabille pour sentir le souffle du vent qui s'époumone à lui redonner une bouffée d'existence.

Elle ferme les yeux pour s'offrir en houri à tous les poings cardinaux qui, une fois qui l'auront trouvée, la traîneront dans la cave du bâtiment F. Elle les sent s'approcher, ces ḥašašyīn au regard globuleux, fiers de se sentir forts quand ils se retrouvent ensemble pour déraper sur du Jay-Z et caillasser les premiers faibles rencontrés.

 Une fois recousue – qu'importe son séant défloré – les fatmas se réuniront dans leur antre, la cuisine, pour lui trouver un mari au pays. Une lointaine parenté a entendu dire qu'un cousin indigent et crétin, se contentera de cette salope.

Elle qui rêvait d'être anthropologue découvrira les mœurs oubliées quand elle promenait son sourire innocent avec Clémentine, Zoé et Christine. Ses bonnes notes, les félicitations de ses profs qui lui promettaient un brillant avenir lui avaient presque fait oublier qu'au royaume des bledards, les femmes ne sont rien.

En rentrant chez elle, elle a comme une envie de cracher au visage de son frère, histoire de lui rafraîchir les idées. Depuis deux mois, il ne se fait plus prier pour rire à la barbe des mécréants et les menacer de se faire sauter.

Elle court s'enfermer dans sa chambre, cellule de liberté.

  • Quelle magnifique ode à la féminité et à la liberté des femmes !!
    Honnis soient ceux qui veulent les soumettre et usent d'un bout de tissu pour le faire.
    La liberté ne se musèle pas, comme vous l'écrivez si bien Christophe, elle se cache dans ces petits instants volés.

    · Il y a presque 3 ans ·
    20180820 215246

    caza

  • Un très joli texte , hélas très représentatif !

    · Il y a presque 3 ans ·
    W

    marielesmots

    • Il ne faut pas y voir une accusation our une stigmatisation envers une population. J'aurais pu développer mon texte sur des cathos intégristes. Il est important pour moi, sans rentrer dans des détails qui me sont personnels, de le préciser.

      · Il y a presque 3 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

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