L'iJobs

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Participation concours U-chronique "Dans la tête de Steve Jobs"

                                                 L'iJobs

            Être Steve Jobs, c'est avoir du boulot à plein temps. Pour le concepteur du Mac, aucune trêve n'est permise. On se souvient de sa révolution musicale en 2001 avec l'iPod, du tournant téléphonique en 2007 avec l'iPhone et de la simplification du rapport numérique avec l'iPad en 2010. Toute la pensée du gourou d'Apple tendait alors vers l'accessibilité, le rapport intuitif à la technologie et la démocratisation de la culture. Les consommateurs ont depuis toujours répondu présent aux routes expérimentales empruntées par le thaumaturge. Le succès de ce surdoué ne s'est jamais démenti.
          Alors pourquoi ce revirement ? Qu'en est-il de ce changement majeur dans l'orientation de la politique d'Apple ? Le risque fait partie depuis bien longtemps de la philosophie de la firme à la pomme, mais nous avons désormais affaire à un tout nouvel homme, un Steve 2.0... un iJobs !
          Bien sûr, nous nous souvenons de sa proposition de téléviseur intelligent, entièrement relié aux autres produits Apple. Ce téléviseur sans fil se rechargeait sur une base qui constituait son socle, et pouvait être détachable et transportable dans toutes les pièces de la maison, pouvant être accroché au mur par des systèmes ingénieux d'aimants, ou simplement posé sur une surface quelconque par déploiement d'une béquille rétractable. Ce produit a eu beaucoup de succès en 2014, malgré une faible autonomie (corrigée sur les modèles suivants).
          Déjà, la présentation de l'iShoe nous avait éblouis, tant nous ne pouvions croire les promesses proférées par celui que nous pensions être un marchand de sable. Qu'avons-nous ressenti alors, en février 2016, lorsque nous portions le premier modèle de la gamme ? GPS intégré, analyse des sols, mutabilité en patins à roulettes, toucher digital pour changer la forme et la couleur de la chaussure, pointure réglable et ajustable, semelle évolutive pour l'urbain, pour le sport, et les soirées habillées... L'incroyable, l'irréalisable avaient encore une fois été dépassés.
          Il ne s'arrêta pas en si bon chemin. Ce cerveau fécond eut de prodigieuses idées pour modifier notre rapport aux vêtements, développant des habits intelligents. Tout le monde se souvient de l'iCoat, modulable selon la météo (manches rétractables, possibilité d'épaissir ou d'affiner la matière selon la température extérieure, réduction maximale de la densité du tissu permettant de le transformer en parapluie, en écharpe ou en housse pour iPad ou iPhone, rangement moins encombrant...).
          Ces innovations ininterrompues ont donné lieu à bien des railleries. Vous vous souviendrez certainement du mot de ce politicien réactionnaire qui avait dit, à la sortie de l'iShoe : "Ça m'empêchera pas de marcher dans la merde ! Alors qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse de savoir si ma godasse patine dans les excréments d'un bichon maltais de sept ans ou d'un lévrier afghan diabétique ?".
Steve le conquérant a fait fi de ces gauloises plaisanteries, n'étant obsédé que par sa réflexion, par les inventions prodigieuses qu'il pourrait léguer au monde. Néanmoins, il n'a jamais été dépourvu d'humour, puisqu'il a répondu qu'il sortirait en décembre 2016 l'iSock : chaussette aux effluves de pomme, prévenant par là les odeurs nauséabondes. Quel boute-en-train !
          Ce grand maigre aux yeux perçants, au cheveu rare et à la barbe taillée continue de nous émerveiller à chaque discours, nous comble à chaque apparition. Engoncé dans sa vêture noire de prêtre anglican, rien ne dépasse chez lui sinon sa tête pommée... comme s'il tendait au monde ses idées, afin qu'il pût mordre dedans à loisir.
Avec Steve Jobs, nous avions pris l'habitude d'être surpris, certes. Cependant, personne n'a pu voir venir le projet qu'Apple a lancé en ce début du printemps 2024. Jobs le dit lui-même : "Il est vrai que nos nouvelles offres marquent un changement considérable dans les applications technologiques que nous avons pu proposées jusqu'ici. Mais, voyez-vous, ce projet fantastique germait en moi depuis un petit moment déjà", nous confit-il, l'œil malicieux. Il n'y a que le créateur lui-même pour trouver un lien logique entre les développements précédemment réalisés par Apple et les perspectives offertes par leurs récents travaux. Qui aurait pu parier sur l'intérêt de la multinationale pour le bouleversement du savoir et de la pratique médicale ?
"En 2003, on m'a diagnostiqué un cancer du pancréas. Pendant près de dix années, mon quotidien n'a été qu'incessants allers-retours entre mon domicile et l'hôpital, avec des séjours hospitaliers de plus en plus longs. Alité, je réfléchissais souvent sur cet univers. Ma souffrance, intime, personnelle, m'ouvrait à un partage empathique de la souffrance d'autrui. J'ai pu m'en sortir in extremis. Je me suis alors juré de consacrer le reste de ma vie à la science qui rend véritablement l'Homme meilleur : la médecine".
         
En 2011, son cancer en rémission, Jobs débutait des expérimentations pour refonder l'univers hospitalier. Il transforma ses précédents produits pour répondre aux besoins des malades chroniques : l'iPhone mesura les battements cardiaques, prit la tension, la température et toutes les constantes demandées par le corps médical pour veiller à la santé de l'individu ; l'iShoe servit de balance suivant l'évolution du poids de la personne, les calories dépensées dans la journée...
À travers la survenue de ces transformations, c'est le lien médecin / patient qui se trouva modifié. En effet, les médecins traitants eurent directement accès à ces informations envoyées par les supports Apple. Ils eurent donc une coupe continue, dynamique et actualisée, représentative de l'état de santé du patient, prodiguant alors un suivi des plus riches et précis. L'inventeur aurait pu se contenter de cela et s'écrier : "the Jobs done!". Mais on n'arrête pas le progrès. Le magicien n'a pas fait que goûter au fruit de l'arbre de la connaissance : il en a fait des tartes entières et nous convie à ses agapes !
          Au mois de mars 2024, Jobs a annoncé la réalisation d'organes prothétiques dotés d'une technologique miniature de pointe. Ainsi, l'iHeart va être testé durant les prochains mois dans un hôpital de Palo Alto. Il permettrait d'éradiquer toute faiblesse cardiaque sur les sujets à risque. L'iHeart est un petit module très simple à implanter qui renforce le cœur et développe de toutes nouvelles fonctionnalités, car il permet de fins réglages selon l'activité qui est demandée (la relaxation, la course à pied...). Le but de cette manœuvre est de prolonger la qualité de vie des malades en contrôlant au maximum les réactions comportementales induites par un environnement stressant, voire toxique. Le prototype réalisé permettrait de maintenir l'homéostasie de l'organisme, prévenant des complications mettant à terme le sujet en danger (en diffusant un agent éliminant le cholestérol par exemple).
Encore une fois, la moquerie de notre député réactionnaire ne s'est pas fait attendre : "Ce type est complètement fêlé. On ne joue pas impunément avec le corps humain ! Si on le laisse faire, bientôt, nos éternuements joueront la lettre à Élise et on pourra faire du café avec nos rotules. Bientôt, les gens s'embrasseront langoureusement du bout des pieds ! Ce n'est pas sérieux ; il faut raison garder...".
Le patron d'Apple, quant à lui, se réjouit de cette percée médicale et annonce que les poumons, les reins et les yeux suivront prochainement ce schéma d'expérimentation. La finalité de ce processus étant d'arriver à proposer un cortex humain nouveau en intégrant des cartes mères microscopiques dans le tissu cérébral dans la fin de pallier à des zones corticales atrophiées (notamment dans le cas des démences neurodégénératives ). Jobs n'est pas précis sur l'époque à laquelle cette expérimentation sera réalisable sur l'Homme. "Pas avant 2050", dit-il sans plus s'étendre sur le sujet. Il reste discret sur ce dessein, tant il connaît les problèmes philosophiques et moraux posés par cette proposition.
          Et l'opposition est là pour les lui rappeler. Ses détracteurs poussent des cris d'orfraie à la simple évocation d'un tel destin pour l'humanité. En tête, Choam Nomsky, intellectuel de 96 ans, qui regimbe à s'engager dans cette direction : "Jobs pose un voile sur les réels enjeux qui gouvernent ses propos. Vous savez que le développement de la haute technologie dépend du budget militaire. Ainsi, l'entreprise de Monsieur Jobs reçoit de colossales subventions du Pentagone. Ces accointances militaires ne me laissent présager rien de bon. Toute personnalité humaine a le droit à la singularité, à la créativité et à l'autonomie. Quelle éthique s'engagerait sous l'égide d'un cerveau prototypique, réglé sur les mêmes valeurs, d'où émaneraient les mêmes idées ? Personne ne veut être allongé sur un lit de Procuste ! Personne n'a le droit de supprimer l'humanité en l'humain !"  
         
Aux antipodes de ces protestations, un mouvement mystique interlope se développe, prenant pour idole le charismatique leader de la révolution technologique. La secte compte de plus en plus d'adeptes et le champ que prospecte à présent le prodige n'est pas étranger au prosélytisme efficace mené dans ces rassemblements illégaux. La biologie, la science de la vie et de la mort, rapprochent l'homme du divin. Est-on en train d'assister à l'apothéose de Steve Jobs ?
          Par delà ces positions extrêmes, entre paranoïa et adoration dans le culte, le patron d'Apple reste une personnalité emblématique, symbolique d'un monde qui cherche ses valeurs dans son appétit d'évolution. Il n'est pas dit que l'évolution engage l'humanité à garder, dans le cours de ce changement, son essence, sa dignité, ainsi que toutes les composantes qui font de son espèce ce qu'elle est. Pourtant, cet avertissement doit-il être lu comme une exhortation à la fixité, à l'immobilisme et à la stagnation des inégalités entre les Hommes ? Sans se jeter comme les vers sur la première pomme venue, ne devrait-on pas saluer l'orientation morale prise par le géant informatique ? Devrions-nous nous abstenir de féliciter la multinationale de prêter sa puissance à la science médicale ? Devrions-nous nous interdire la joie de ne plus demeurer, comme les plus véhéments le disent, dans le spécieux climat de la consommation, piégeant les individus entre les barreaux du caddie ?
          Les rêves sont le terreau de bien des promesses, et à voir celles de Steve Jobs, on peut deviner que ses rêves sont incommensurables. Dans une époque ayant perdu tout prophète, tout guide, période morne sans figure de proue, sur qui pouvons-nous compter ?
Nous verrons bien si les promesses seront tenues, néanmoins il est important de noter (et c'est là la marque des grands) que Steve Jobs continue à déchaîner les passions. Notre société doit garder la tête froide pour pouvoir juger à l'aune de sa morale et de sa raison les propositions qui sont faites par un être dont l'ambition affichée est celle d'apporter  le progrès et la démocratie dans toutes les circonvolutions de notre civilisation.
Mais personne ne résume mieux cet amalgame d'émotions que notre député réactionnaire : "Steve Jobs ? Je m'en méfie comme de la peste. (bruits d'une sonnerie d'iPhone) Excusez-moi, il faut que je décroche !"
Même les réacs ne sont plus écœurés par la technologie !


 


    


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