Mr. Jobs

Carole H.

Personne ne veut vieillir. Nous le savons, dans le monde actuel, la vieillesse est synonyme de faiblesse. Et Steve Jobs n'échappe pas à la règle...

Personne ne veut vieillir. Nous le savons, dans le monde actuel, la vieillesse est synonyme de faiblesse. Alors que l'on nous promettait la vie éternelle il y a quelques années de cela, notre espérance de vie est en fait de plus en plus courte et nos corps s'affaiblissent de plus en plus vite. Et Steve Jobs n'échappe pas à la règle. A bientôt 70 ans, celui qui avait révolutionné les années 80, 90 et 2000 a présenté hier sa dernière innovation. Devant une salle comble qui attendait avidement le retour du célèbre gourou, Jobs est arrivé affaibli, ralenti, en un mot : vieilli. Il faut dire que cela faisait plus de 2 ans qu'il n'était pas apparu en public et au lieu de nous donner à voir un déclin lent et presque invisible, il nous a confronté à la violence de la décrépitude. Les mêmes journalistes qui l'écoutaient avec respect et admiration lorsqu'il interrompait ses congés maladie pour donner des conférences de presse lors de son cancer ne l'ont regardé hier qu'avec mépris et pitié. La vieillesse n'est pas une maladie. Personne ne fait preuve de courage en vieillissant, et pire que tout, personne n'en guérit.

Le silence a donc mis du temps à se faire lorsque Jobs nous a accueilli, non pas à cause des acclamations de la foule, mais simplement des bavardages des journalistes. Celui que l'on appelait « Steve » était devenu « Mr Jobs » et sa voix tremblait lorsqu'il nous a souhaité la bienvenue. A ce moment-là j'ai cru voir de la tristesse dans ses yeux mais j'ai réalisé plus tard que c'était en fait un mélange de tendresse et compassion. La compassion d'un homme qui a compris et qui sait que nous-aussi nous comprendrons lorsqu'il sera trop tard. Personne n'avait encore remarqué que la salle était trop lumineuse pour une projection et que même les nouveaux systèmes optiques ne pourraient pas produire d'images nettes. Apres avoir énoncé les politesses de base et les formalités légales, Jobs s'est tu. Assis dans son fauteuil, celui qui avait toujours misé sur son bagout et sa loquacité, nous a juste regardés fixement. Nous avons alors compris qu'il se passait une chose importante, une chose qui, si elle ne marquait pas le quotidien de milliards d'êtres humains, influencerait probablement nos modes de vie à nous, spectateurs médusés de cet homme que l'on avait cru endormi ou sénile durant les premières secondes de silence. Certains, plus rapides que d'autres, ont commencé à faire le lien avec l'absence de réseau dans la salle de conférence. Aucune barre n'apparaissait sur nos téléphones et aucune caméra n'était visible autour de nous. La conférence n'allait pas être retransmise. La conférence n'allait pas être une conférence.

« Il faut que je vous dise quelque chose… Je vais mourir… Enfin nous allons tous mourir en fait… Mais pas maintenant je vous rassure ! Je n'ai pas organisé un génocide pour notre dernière réunion… Bien que certains appelleront surement ça comme ça.
Je me suis souvent targué d'avoir permis la production de nombreux produits révolutionnaires. En 1984, le Macintosh a changé le monde de l'ordinateur. En 2001, l'Ipod a changé le monde de la musique. Puis en 2007, l'Iphone a changé le monde de la téléphonie et en 2010, l'Ipad a changé le monde d'internet. En 2011 finalement, l'Icloud a changé le monde tout court. Tout est maintenant relié, tout est facile et surtout tout est accessible. Mon but a toujours été de vous rendre les choses plus aisées et de vous faciliter la vie. Mais il y a quelque chose que je n'avais jamais pris en compte dans cette expression. Faciliter la vie… La vie… Vivre…
Aujourd'hui, je vais une nouvelle fois vous faciliter la vie.
Aujourd'hui, je vais vous rendre vos vies.
Aujourd'hui, Vendredi 29 Mars 2024, à 10h36 heure de New-York, je vous annonce officiellement que toutes les données présentes sur le Icloud et sur tous dispositifs Apple ont été définitivement supprimées…
Et Boom. »

Un long silence a suivi sa célèbre onomatopée. L'information était difficile à digérer, voire même impossible à comprendre. Jobs est sorti avant que les premiers journalistes n'aient même pensé à contester. Malgré son âge et ses difficultés à se déplacer, il devait être déjà hors du bâtiment lorsque la salle au grand complet s'est mise à hurler. Nous avions tout perdu en une seconde : nos souvenirs, nos amis et même parfois nos emplois et nos familles. Ce vieux fou que l'on pensait faible et impuissant nous avait détruits. Nous avions été battus par celui que l'on n'avait même pas pensé à craindre. Nous avons directement imaginé qu'il s'agissait d'une revanche qu'il prenait sur nous et nous nous en sommes pris à ceux dont les railleries avaient été les plus violentes en début de conférence. Cela devait être de leur faute si Jobs s'était énervé et avait supprimé nos vies.

Nous avons attendus sur place. Longtemps. Il nous était impossible de sortir. Impossible d'affronter le monde. Nous étions actuellement les seuls à savoir. A l'extérieur, tout le monde devait penser à une courte panne comme il en arrive parfois lorsque les serveurs sont saturés. Nous n'avions aucun moyen d'informer qui que ce soit. Nous ne savions même pas comment faire sans internet et sans téléphone. Steve Jobs venait de nous présenter la vie réelle et il allait maintenant falloir la vivre…

Et boom.

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