L'impasse est au bout de la rue

petisaintleu

Ce matin, j'ai traversé la rue pour vérifier si l'herbe était plus verte ailleurs. Question herbe, j'ai vu dans le caniveau un restant de joint. Il faudra que je pense à interroger les petits jeunes pour savoir s'ils se sont questionnés sur la traçabilité de leur marchandise, qu'ils vérifient qu'elle ne soit pas coupée à la poudre de perlimpinpin voire qu'elle soit garantie 100% bio. C'est important la santé.

Bref, j'ai levé les fesses de mon canapé. Il était temps. Avec la chaleur de ces derniers jours, deux marques oblongues trahissaient mon inertie. Avant qu'une vague culpabilité sudoripare ne vînt me botter le popotin et que le spectre de mon inactivité ne tatouât le cuir du sofa, je suivis les préceptes jupitériens. C'est important de se souvenir des paroles présidentielles.

Trois commerces me faisaient face : un coiffeur, un établissement de restauration rapide à la sauce tourquennoise – vous y trouverez à peu près tout ce que la chimie agroalimentaire a pu inventer en termes de saveurs artificielles, avec des assaisonnements qui vous feront faire le tour du monde en 80 secondes, de l'Algérie à Hawaï – et une Maison de la presse, hantée par des retraités dont l'urgence consiste à raconter leur vie ou à gratter des tickets perdants de la Française des jeux.

Armé jusqu'aux dents de mon CV, je me présentai chez le figaro. Il n'y alla pas par quatre chemins, bien que son échoppe se trouvât au carrefour qui mène au lycée professionnel, au quartier squatté par les dealers, vers les friches de l'ancienne grandeur textile de la cité et à l'Eldorado des baraques à frites, la Belgique, point de ralliement des Sans dents obèses (c'est assez logique dans la mesure où nous sommes à un jet de pierres de la Hollande). Occupé à couper les cheveux en quatre de Kevin, à la mode Kassovitz dans La Haine, je compris vite que je le barbais. Me menaçant de son coupe-choux, je n'eus guère le choix que de raser les murs qui n'en demandaient pas tant, coiffés de chiures de mouches et de posters à la gloire de Kérastase.

Rincé par ce premier refus et par le gris du ciel du plat pays qui est le mien, j'entrai en apnée dans le restaurant. Les effluves de graillon suffirent à faire monter mon taux de cholestérol à un niveau létal. Dans ce Tchernobyl de la malbouffe où les lipides ont remplacé le césium, je fus accueilli tel un héros soviétique. L'ambiance n'était cependant pas à la fête du 1er mai. Côté cuisines, c'était plutôt Marioupol, faute de combattants. Le patron, d'origine afghane, en avait vu pourtant d'autres aux côtés du commandant Massoud face aux forces d'occupation dans le Panchir. Je fus donc embauché sur le champ. Ça tombait à point : il était midi et la bataille allait commencer. Je fus vite bombardé de commandes qui pleuvaient telles la puissance de feu d'un orgue de Staline. La spécialité n'était toutefois pas la poutine mais le khebab. Les effluves du gaz de moutarde eurent bientôt raison de ma santé. Des cloques vinrent jouer aux francs-tireurs sur ma peau de bébé. Je désertai en rampant parmi les cadavres d'épluchures et les moignons sanguinolents de steaks halals, théâtre miniature de la bataille de Raqqa.

Pour ne pas terminer sur une voie de garage, je me dirigeai vers le marchand de journaux, persuadé que mes références littéraires seraient un atout pour devenir vendeur de la Voix du Nord. Nous étions dans un havre de paix. Il y avait peu de chance que Guerre de Céline passât les portes de la boutique. Les linéaires donnaient la part belle à Notre temps, celui qui était mieux avant. On y trouvait une kyrielle de revues de mots fléchés qui balisent l'ambiance du quartier, remplir des cases pour tuer l'ennui ou des formulaires pour toucher les aides des services sociaux. Je n'ai pas fait l'affaire. Les nouvelles vont vite. Je pense que le figaro et que le marmiton m'avaient précédé pour cracher leur fiel. Les temps ont bien changé dans les quartiers populaires. L'humanité les a désertés.

J'ai donc repris le passage clouté après l'amer constat que l'autre côté n'était pas pavé de bonnes intentions. J'ai rallumé ma télé et je suis allé sur Youtube. J'adore regarder des vidéos d'animaux. Leur cruauté n'est pas habitée par la méchanceté. Demain, dans un dernier élan de survie, j'irai rendre visite à un toiletteur pour chien et à un vétérinaire. Des fois que le contact avec nos amis les bêtes les rendent moins carnassiers.

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