L'incident
Marie Messager
Le monde entier était en émoi. La presse, qu’on avait gardé l’habitude d’appeler ainsi malgré la disparition déjà lointaine du papier, en faisait ses gros titres et aussi les plus petits, au point d’éluder la mort du grand Jiang Li Maboussa, dont les fans inconsolables cessèrent aussitôt de pleurer la disparition.
Les gouvernements, qui avaient essayé tant bien que mal de cacher l’événement au public, peinaient maintenant à contrôler la diffusion de l’information. La fuite avait été inévitable et, malgré l’absence d’éléments précis sur ce qu’il venait de se produire, la fulgurance de sa propagation les avait pris de cours. En une poignée de secondes, le monde entier était au courant.
Les plus grands scientifiques de la planète faisaient le déplacement des quatre coins du globe pour voir le phénomène. En quelques minutes, ce que le corps des sciences comptait de plus brillant, de plus récompensé et de plus curieux se trouvait réuni dans la grande salle de conférence que la Confédération des États avait mise à leur disposition en catastrophe. Ces messieurs s’impatientaient. Malgré la tradition qui voulait qu’aucune femme ne soit admise dans les cercles scientifiques, sa capacité cérébrale ayant été depuis longtemps reconnue comme inférieure à celle de l’homme, certains chercheurs avaient manqué à la règle et fait le voyage avec leurs épouses.
L’incident était trop exceptionnel pour souscrire aux conventions. Parce qu’on ne pouvait parler que d’incident. Comment une telle aberration était-elle possible ? Quel miracle avait pu l’engendrer ? Quel démon était intervenu pour donner naissance à cette créature ? Rien de pareil n’était plus possible. Aujourd’hui, on ne voyait ça que dans les livres d’Histoire, à côté des dinosaures et des Indiens d’Amérique.
– Voyez-vous Da Costa, ceci est typiquement une erreur de la nature, de l’ordre de celles que la science nous permet d’éviter, Dieu merci, depuis près de deux cents ans, telles les maladies et autres malformations.
– Croyez-vous Thompson ? Est-ce que ça ne serait pas plutôt le signe que le monde scientifique devrait remettre en question sa théorie de la génétique et réorienter ses recherches ?
– Mais enfin, c’est tout bonnement impossible ! Ça n’existe plus ces choses-là ! Regardez simplement autour de vous les effets entérinés du métis…
Couvrant le brouhaha des spéculations scientifiques, une voix métallique annonça : « Aucune visite n’est autorisée pour le moment. Nous allons vous mettre en rapport avec l’hôpital Saint-Luc dans 5, 4, 3… »
La salle retient son souffle. Plus un bruit, plus un cillement parmi les cerveaux. Sur l’écran géant, un bébé bave. Sur sa tête, trop pâle pour qu’on puisse augurer de sa bonne santé, quelques cheveux blonds cherchent à remettre en question trois cents ans de génétique. Quand il ouvre enfin les yeux, plusieurs scientifiques poussent des cris effarés, une femme s’évanouit. Ils sont bleus.
C'est une nouvelle très agréable à lire. Cette construction, cette chute me rappelle un peu certaines nouvelles de Phillip K. Dick. ^^
· Il y a environ 13 ans ·La fin donne également une réelle dose d'humour à mon sens, d'autant plus qu'elle s'inscrit dans une descendance d'expérience génétiques de toute sortes. On voit bien que le bizarre sert d'attraction, peut-être que trop d'expériences et trop de recherches dénaturent l'être humain... En tout cas, cela donne des interprétations intéressantes et un sourire en fin de lecture :)
thehalchemist