L'instant présent

Christian Ghio

Bonjour. Je m’adresse à vous par corde temporelle. Je viens de m’inscrire. Elle me permet ce rétromessage adapté en votre langue. En ce qu’est la nôtre devenue, il serait beaucoup plus court (750 de vos caractères). Je sais votre préoccupation obsessionnelle pour le futur. Je vais essayer de vous rassurer. Sachez tout d’abord que dans le futur, le futur n’existe plus. Pas plus que le passé. Ces concepts, notre évolution chaotique progressive, nous a permis de les ôter des sensations humaines. Ce n’était que sensations non essentielles. Nous ne vivons que par, pour et dans le présent. Nous sommes ainsi débarrassés d’attitudes aussi stériles et maladives que le regret (même le souvenir, nostalgique) et la peur (l’angoisse panique du lendemain in-connu). Nous ne sommes pas des animaux pour autant. Ni des machines. Nous sommes des Hommes qui vivons bien. Enfin des hommes, soyons précis. Chacun est un mix d’homme et de femme, de machine et d’humain. Nous ne sommes plus des esprits animaux comme vous. Pas des anges non plus ! Nous ne nous en portons que mieux. Nous sommes très loin de votre boue originelle. Nous avons multiplié à l’infini ou presque les styles ; et de cette multiplicité est née notre huma-unité. Le présent dans lequel nous baignons, seul nous anime. Je sais que vous allez trouver ça réducteur. Pourtant vous n’imaginez pas à quel point nous nous trouvons débarrassés de cette impression de magma corrosif dans lequel vous vivez avec vos analyses émerveillées ou critiques des hommes du passé (de quel enseignement vous sont-ils vraiment ?) et de vos inquiétudes pseudo-maternelles pour les générations futures : dites-vous qu’elles s’en tireront très bien sans vous. Par principe, puisque vous ne serez plus là. C’est nous qui y sommes désormais. Très heureux. Faites ainsi. Maintenant. Innovez, créez, jouissez dans l’instant. Sans péché, ni mauvaise conscience. Mettez-y au contraire de la bonne conscience, fraiche et disponible. Cela nous a enfin donné une âme honnête, sans état d’âme. Une science précautionneuse, sans entrave. Nous n’anticipons pas, ne faisons pas de stratégie. Les experts se trompent autant que les acteurs. Mais avant ou après coup. Pendant, on a autant de raisons d’avoir raison que tort. L’autre jour j’ai aperçu… (précision : ce n’est pas un souvenir, mais une archive outilmémoire)… Kandid, un ami que je n’avais pas vu depuis 20 ans. Il revenait de mission sur Biogée (votre Terre). Nous nous sommes réjouis du seul plaisir de nous revoir en cet instant. Nous n’avons parlé ni d’hier, ni de demain. Nous nous sommes séparés quelques secondes après. Nous nous sommes oubliés. Heureux ensuite chacun de son côté de l’instant suivant. Pardon, présent. Je sais que vous trouvez ça triste. Moi c’est mon bonheur. C’est ce qui fait la différence entre nous. Bon-jour. On ne dit pas bonhier ou bondemain : ce n’est pas un hasard. Je ne vous ai pas convaincu. Mais je vous ai questionné. C’est déjà pas mal. Fin réseau. Je quitte et oublie.

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