L'incident de minuit

José Seriki

 

                                                            SYNOPSIS

 

Encore un jour, et ce sera la fin, la fin du monde, la fin de l’existence, la fin de cette belle époque où le jeune homme était un être beau, loyal et sans aucune tâche sur le cœur ou sur l’âme ou n’importe où sur le corps. Mais, voilà donc ! Pour lui, demain, c’est aujourd’hui. Demain ou aujourd’hui, il n’y a plus tellement de différence. Tous les jours à venir seront ainsi : pénibles, affreux et impassibles. Et dire que de si beaux jours finissent sur une nuit aussi noire que terrifiante et tragique, le jeune homme n’en croit pas ses yeux et ne trouve mieux à faire que de regretter son existence si vaine et banale. De la vengeance à l’autodestruction, le chemin fut court, très court, aussi court que la vie d’une mouche.

 


 

                                        L’INCIDENT DE MINUIT

L’alarme de minuit avait déjà sonné ; la trotteuse, alors seule source de bruit dans la maison, tournait toujours et craquait encore. Solitaire, taciturne et attentif à tout ce qui se passait autour de lui, le jeune célibataire écrivait je ne sais quoi sur un bout de papier. Sa main qu’il bougeait sur la feuille ne faisait pas un bruit. De son petit bureau non loin de la porte de sortie du salon, il pouvait entendre des pas bruire sur le sol du dehors. A cette heure de la nuit, le quartier est muet, et les voisins et les colocataires endormis. Alors qu’il se levait pour aller prendre une bonne douche, comme il transpirait de nervosité et puait la rage, il entendit un bruit bizarre et continu derrière la porte. « Très bien ! Voyons ! Il est revenu se livrer ; et je le prends tel. » Fit-il en fermant les poings. En effet, un gros chat noir, tout noir, avait dévoré, la nuit d’avant, un agouti grillé que le jeune homme avait caché dans sa cuisine. L’animal avait pu, comme la porte d’accès avait une tôle vieillie et des clous défaits par les violents vents des pluies d’août, s’infiltrer dans les locaux pour dérober. Il avait tout mangé, lui et sa femelle. En se querellant, les deux félidés se mirent à faire de grands bruits et le propriétaire, pauvre dormeur, se réveilla tardivement. Avant qu’il eût le temps de se saisir d’eux, les deux voleurs partirent en courant.

Il retint l’image du mâle, noir de la tête jusqu’aux griffes, et de ses grosses couilles qui l’avaient distrait pendant que, lampe-torche à la main gauche et sa petite hache de chasse rigidement tenue par l’autre main, il courait désespérément derrière l’animal agile et rapide. Le chat escalada les murs et disparut dans les ténèbres. Toute la journée, il ne pensait qu’à cela et à tous les désagréments que l’animal a dû lui causer. Tout d’abord, la viande ne lui appartenait pas. Le voisin de la troisième porte avec qui il tissait des relations amicales depuis naguère, lui avait demandé de mettre sur son grillage plat l’agouti qu’il avait acheté au marché, puisque le célibataire avait de la braise rougeoyante dans son foyer. L’affaire éclata au petit matin quand le père de famille venait chercher sa viande qu’il comptait remettre à son épouse pour préparer la sauce afin que la petite famille mange, pour la première fois depuis février, la bonne viande d’agouti. Alice, sa fifille de trois ans en raffole, et depuis longtemps elle attendait cela, bouche et gorge pleine d’eau. Le père de famille, la trentaine, ne voulut rien savoir ; son épouse non plus. « Si un monstre ou un animal fétiche avait dévoré mon agouti, et que tu l’avais surpris sur le fait, comme tu le dis, pourquoi donc, n’es-tu pas venu me réveiller pour que je constate par moi-même les dégâts ? » Criait-il sur le jeune étudiant exaspéré et pris d’une violente colère. Par suite, le jeune homme alla au marché pour acheter un agouti grillé plus gros que celui dont la perte lui gâchait la journée, afin de réparer sa faute et taire la fureur de son voisin. Mais celui-ci le gronda une fois encore et toute la famille le hua méchamment. Depuis dix heures du matin que cela s’était produit, plus aucun voisin ne lui adressa la parole, jusqu’à ce que tout le monde se couchât et dormît.

La viande qu’il a lui-même achetée et qui lui a été refusée par le destinataire, séjournait encore au même endroit que celle d’hier. Et le voleur serait revenu sur ses traces pour savourer les mêmes délices. Godin, le jeune en question, marcha sur la pointe des pieds et s’approcha discrètement de la porte. Il coupa presque le souffle et respirait silencieusement, évitant de heurter quelque objet que ce fût ou de faire bruire ses pas sur la terrasse recouverte par endroits de feuilles de papiers qu’il déchirait naguère et jetait sans compter. La hachette en l’air par-dessus la tête, il s’ajusta et affûta son arme, ouvrit brusquement la porte et fit quelques deux pas dans l’obscurité puis assomma de deux coups de suite l’auteur de ce bruit qui l’embêtait au cœur de la nuit. Ne voilà-t-il pas que le jeune célibataire venait de commettre un meurtre ! Deux coups de hachette sur la tête, Alice s’écroula par terre et expira soudainement. Le père jaillit du seuil de la porte où il se tenait debout pour regarder sa fillette pisser sur la feuille de tôle que les pieds avaient écrasée devant la porte de la cuisine du jeune célibataire. Il se rue sur le jeune homme qui, pour mieux voir ce qu’il venait de faire, accourut au salon pour actionner l’interrupteur et allumer la lampe du dehors. Le père d’Alice s’écria, et tout le monde se réveilla et se déversa dans la concession. La lampe clignota deux, trois, quatre fois puis s’alluma ; la cour fut éclairée et tous les voisins s’attrapent la tête et trépignent en décriant l’animalité et la sauvagerie extrêmes de Godin, pourtant réputé, maintenant à tort, simple, doux de caractère, sympa et honnête. La petite fille n’eût point le temps de crier encore moins de se défendre avant de rendre l’âme. Là voilà, nue comme un ver, dans un lac de son sang, yeux et bouche béants.

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