Autarcie du coeur

mary-j-anna

Synopsis : C'est quelque chose d'entêtant, qui te détruit doucement. C'est ces pleurs sans cause, cette honte qui te serre les entrailles. C'est la première cause de suicide. C'est une prison qui n'existe que dans ta tête, un cercle vicieux infernal dont tu ne t'échappes pas. C'est une tare, une douleur, un quelque chose qu'on essaye de cacher. C'est une maladie, une maladie qui brise tout ceux qu'elle touche et dont personne n'est à l'abri.

Autarcie du coeur

Comme un enfant terrifié il pleure au milieu de ses jouets cassés. Il se retient, juste un peu, juste assez pour pouvoir dire qu'il a essayé. Ses mains s'agrippent à son corps. Il sent ses ongles s'enfoncer dans son pull, jusqu'à sa chair, jusqu'à ses côtes, jusqu'à son cœur. Il se sait différent, il ne sait pas pourquoi mais il sait l'être. Alors il reste dans cette pièce, dans ce lieu de transition.

"Je sortirais un jour, hein ? Je reverrais les arbres, n'est ce pas ?"

Des questions, toujours des questions, qu'il murmure de ses lèvres asséchées. Des débris de conversation dans le silence de son existence. Mais il n'y a personne pour lui répondre, personne pour lui dire que tout ira bien. Alors il finit par se taire, se faire à l'absence de son, de vie, de couleur. Où est-il ? Il l'ignore mais il est quelque part. N'est ce pas l'essentiel ?

Il vit dans une sorte de brouillard artificiel, dans un lieu sans pareil. C'est une brume qui obscurcit ses sens, son esprit, ses pensées. Il se berce doucement, en tremblant, comme pour se rassurer parce qu'il entend le loup rôder près de lui. Il tente de se rassurer de la façon la plus pathétique qu'il soit. De quoi a-t-il peur ? De rien, c'est justement là le problème. Alors il chante d'une voix faible et éteinte.

Elle te murmurera des promesses intenables

Des petits riens d'histoire inoubliables

Elle écrira sur ta peau nue et glaciale

Des lettres, un mot, quelque chose d'indéniable

Il pleure plus fort maintenant parce que ça éveille des choses en lui, des choses qui lui sont insupportables. Il a fermé les yeux, il n'arrive plus à soutenir la vision de ces murs. Il ferme les yeux aussi forts qu'il le peut, comme si cela pouvait changer quelque chose, comme si demain pouvait être différent.

Ses doigts se crispent contre sa peau, il a envie d'hurler mais rien ne vient, rien ne sort, ça reste en lui. Enfermé dans le creux de sa gorge, il y a une éternité de cris jamais exprimé. Il y a un souffle de rébellion qui grandi pour s'effondrer sans jamais se concrétiser. Il vit au royaume de la résignation, dans un monde éphémère où le silence fait loi et sentence.

"C'est ce qu'il y a de mieux pour toi, c'est pour ton bien."

Ce sont les derniers mots qu'il a entendu, les dernières perles de sons qu'ont enregistré ses oreilles. C'est l'explication de sa présence ici, la bénédiction qui l'a envoyé se perdre dans le vide. Alors il se balance plus fort, d'avant en arrière, un geste répétitif, rassurant, inutile. Il se dit qu'il sortira bientôt, qu'il ne peut pas rester ici éternellement. On viendra forcément le chercher. Elle viendra. N'est ce pas ?

Et quand mille heures se seront écoulées

Elle partira loin, dans les bars, se saouler

Elle quittera ta cage sans remord

Et tu sentiras cette odeur, ce refrain de mort

Il sent une boule remonter dans sa gorge, lui lacérer l'œsophage. Dans un spasme de douleur et de soulagement, il crache les quelques nutriments qui lui permettent de vivre. Il remonte ses genoux contre sa poitrine, il les serre avec ce désespoir qui l'a conduit ici. Cette conviction que ça ne s'arrêtera jamais. Sa tête pend mollement du côté droit, comme s'il n'avait plus la force de la soutenir.

Ses yeux s'ouvrent dans un geste brusque et saccadé. Il a des cernes violets qui s'étalent sur ces joues, dernier ornement de couleur sur sa peau pâle, malade. Ses yeux étaient d'argents, désormais ils sont gris, de ce gris qu'ont les cendres. La couleur a été délavée par les larmes qui ruissellent sur ses joues creuses, l'éclat s'est fané avec sa vitalité.

"Je ne te laisserais pas, jamais, tu m'entends ? Jamais !"

Des promesses, toujours des promesses. Un sacré tas de mensonges. Il y croit toujours, il s'illusionne de ces promesses pour tenir. Il se refuse à croire qu'on a pu lui mentir. Qu'elle a pu le trahir. Lentement, par étape, il s'enfonce un peu plus dans la maladie, dans les méandres de ses propres pensées. Il pleure et il attend que ça aille mieux, qu'il puisse sortir et rêver dans la réalité.

Il se perd, se retrouve, désespère. Il lui semble que cela fait une éternité qu'il n'a pas senti le soleil sur sa peau. Ses jambes sont ankylosées, ses muscles paralysés par le manque d'exercice. Même s'il voulait s'enfuir son corps ne lui permettrait pas. Il ne dort plus, ne mange plus, ne boit plus, il se laisse aller. Il n'a plus envie de rien. Plus envie de vivre et c'est là la cause de son enfermement.

Tu te tairas à nouveau ce jour

Ce n'était juste plus ton tour

Hier n'existe plus tu sais

Ainsi que toutes ces choses qui te blessaient

Dépression, ça en cache des mystères et des interrogations. Pourquoi ? Comment ce simple mot a-t-il pu le conduire ici ? Pourquoi s'est-il laissé enterrer vivant dans ce tombeau sans même faire un geste ? Parce qu'il n'a plus la force, il n'a plus l'envie, ni la foi. Il se traîne à peine, c'est tout juste s'il respire encore. Il est juste tellement fatigué de vivre. Tellement épuisé de se battre contre lui-même.

Il ne sait pas pourquoi. Il ne sait pas quand tout lui est apparu inutile, vain, quand tout lui est devenu indifférent. Il rêve de liberté mais qu'en fera-t-il ? Il se jettera d'un pont ou d'une falaise, il se tailladera les veines et prendra des cachets. Il hurlera sur celle qu'il aime, la repoussera. Il n'arrivera pas être heureux, il n'y arrive plus. Alors il reste dans cette pièce où on l'a enfermé pour qu'il continue à vivre.

"Et demain ? Demain est-ce que tu seras encore là ?"

On le force à vivre parce que sinon lui se laisserais mourir. Voilà ce que cache le mot dépression, voilà ce qui se cache derrière les portes d'un asile psychiatrique. Il n'y a pas que les fous, il y a aussi les autres, ceux qui vont trop mal pour rester parmi les autres, ceux qu'on doit protéger sans cesse contre eux-mêmes. Alors il reste en attendant qu'un jour quelqu'un, elle, le sorte de son autarcie.

Il l'attend elle, l’héroïne aux yeux clairs qui lui avait promis la vie. Il attend son amour désenchanté qui lui murmurait ces promesses intenables. Celle qui l'a vu lentement sombrer dans la folie sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Il se dit qu'elle viendra demain, qu'elle est juste un peu en retard. Il ne sait pas que de l'autre côté des grilles, elle rôde et s'agite comme enfermé dans le reste du monde, que le monde n'est qu'une cage si elle ne peut pas le voir.

Ne vois-tu pas son amour

Ces choses qu'elle cache pour toujours

Elle t'attend quelque part

En quête d'un nouveau départ

Ce n'est pas de sa faute, c'est juste que la vie le tue. C'est juste la maladie qui progresse en lui, les insomnies, les idées morbides, sa colère, ses pleurs, toutes ces choses qui l'entraînent vers l'oubli. Ce cercle vicieux trop ancré pour être brisé. Alors oui, il vit, mais au nom de quoi ? Au nom de la volonté de vivre de tant d'autres qui ne l'anime pas, lui. Tant pis s'il se croit en enfer tant qu'on le maintient en vie.

Tant pis si ce n'est pas ce qu'il veut, on doit vivre et on n'a pas le choix. Tant pis si sa dépression ronge peu à peu sa lucidité pour le rendre amorphe. Tant pis s'il en meurt lentement, si les traitements ne marchent plus. Il vit et quelque part, juste derrière les grilles quelqu'un, elle, l'attend et c'est tout ce qui importe au monde entier. Alors il se berce et murmure cette chanson sans arrêt, comme un appel à l'aide.

Et ça repartira, encore et encore

Jusqu'à ce que tu en meurs

Et tu l'aimeras dans ta folie

Mais tu sais c'est un délit

De l'aimer à lui en crever le cœur. 

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