L'incontinent perdu

petisaintleu

Je pense que le jour d'après ne sera plus jamais comme avant. Il suffit d'échanger sur les réseaux sociaux pour s'en convaincre. L'immense majorité des gens est prête à enfin considérer que, finalement, nous avons vécu durant des lustres dans l'illusion du matérialisme et qu'il faut désormais donner le temps au temps, prendre plaisir à se poser et à scruter le monde avec des regards d'enfants retrouvés.

Ce matin, je n'ai pas pu y couper. Cela faisait trois semaines que je louvoyais pour échapper à la corvée de nettoyage des toilettes. Mais les marmots n'avaient pas oublié qu'ils étaient en vacances et ils refusèrent de toucher à tout travail scolaire, ce qui me laissât beaucoup de temps libre. Fort heureusement, mon épouse avait confectionné des masques avec mon vieux stock de slips kangourou dont elle se servait habituellement pour le dépoussiérage ce qui me permit de limiter mes haut-le-cœur quand je pénétrai au petit coin.

J'ai réalisé au combien je l'avais négligée, qu'avec le temps elle faisait partie des meubles. Il faut pourtant bien admettre que sans elle, je me serais retrouvé plus d'une fois dans le caca. Elle, sans un mot, sans rechigner, elle s'est toujours montrée ardue à la tâche. Elle n'a jamais omis de récurer le moindre centimètre carré de la cuvette malgré les projections d'eau de javel qui la submergeaient à chaque intervention.

Pour mettre un terme à son supplice, j'avais plus d'une fois tenté de trouver une parade. J'avais investi dans les gels liquides qui promettaient un résultat en profondeur et hygiénique, dans les nettoyants surpuissants avec le col en bec de cygne  et dans les blocs WC qui vous annonçaient un océan de fraîcheur pour finalement se retrouver au bout de deux jours dans un état assez semblable au sixième continent de plastique.

Il n'y a guère que lorsque, l'esprit perdu dans mes pensées, je me négligeais au point de déverser quelques gouttes orphelines aux effluves ammoniaquées sur le carrelage ou sur le cadeau d'anniversaire de ma mère, un magnifique tapis de contour rose saumon, qu'elle jetait l'éponge et qu'elle me laissait me débrouiller seul. Fort hypocritement, depuis deux ans j'ai trouvé la parade en accusant mon fils, ce qui m'a permis de souffler un peu en lui expliquant qu'il devait adopter un comportement un peu plus adulte et prendre ses responsabilités.

Oui, je t'ai négligée. Un rapide calcul m'a amené au triste constant que j'ai passé les trois-quarts de notre vie commune à te tourner le dos. Malheureusement, ne faut-il pas admettre que l'auberge du cul tourné est le lot quotidien de tout un chacun ? Je me croyais progressiste, pourfendeur des comportements masculins d'un autre âge. Il n'en était rien. Je continuais à trôner et à te négliger. Comment ai-je pu à ce point me montrer aussi arrogant qu'un de ces petits trous du cul qui croit que tout lui est dû ?

Il n'est jamais trop tard pour rattraper le temps perdu. Laisse-moi le temps du confinement pour y réfléchir. Non, je ne cherche pas une nouvelle fois à me défausser. Mais avec les magasins qui sont fermés, comment pourrais-je trouver le commerce qui me permettra de mettre un terme à ton supplice ?

Oui, il est temps de tourner la page. N'oublions pas que nous sommes tous issus de la même soupe originelle, que tout être et que toute chose a le droit au même respect, quelle que soit sa place dans l'univers. Je me refuse désormais à te traiter comme une merde, à te négliger et à te torcher comme un vulgaire morceau de PQ.

Finalement, que serais-je sans toi, ma brosse WC ?

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