L'indétrônable machine de guerre de la RTBF

Lucie Hrmt

Le successeur de Jacques Bredael au JT de 19h30 de la RTBF s'installe au coeur de nos maisons chaque soirs de la semaine depuis bientôt dix-sept ans et n'est pas prêt de céder sa place.

Le parcours du vaillant soldat

Présentateur vedette du journal télévisé de la RTBF depuis 1997, François de Brigode refuse d'être un homme-tronc lecteur de prompteur. Il se considère avant tout comme un journaliste, tombé dans la toxicomanie de l'information quand il était petit. A l'âge de treize ans déjà, il suivait des cours supplémentaires sur l'audiovisuel, à l'Athénée de Châtelet dans la région de Charleroi. Jeune, passionné et très ambitieux, il quitte le pays noir pour conquérir la capitale où il suivra une formation de journaliste à l'ULB, tout en enchaînant les petits boulots, toujours dans le milieu de la presse. « Je n'étais pas spécialement un étudiant brillant parce que, pour moi, la vie estudiantine doit se vivre pleinement, il ne faut pas rester coincé dans ses livres ou ses syllabus. J'ai fait beaucoup de cho- ses durant cette époque. Des choses excessives parfois... J'en garde un souvenir de débrouille permanente, que ce soit pour l'argent ou dans la vie associative et culturelle. » Après un premier stage écrit à l'agence Belga, le jeune François fait ses preuves dans l'audiovisuel en 1985 pour le magazine régional « Ce soir », diffusé à l'époque sur la RTB. Coup de chance : il y remplace un jour et au pied-levé le présentateur attitré, Christian Druitte. Remarquable et re- marqué, apprécié et toujours plus gourmand de réussite, il a dès lors élu domicile sur notre chaîne publique.

Bien que peu modeste, Monsieur de Brigode ne nie pas avoir marché dans les pas d'une légende de la télévision : Jacques Bredael. D'abord son éditeur au journal télévisé, l'actuel présentateur avoue timidement avoir été pris par la main par son prédécesseur qui, fort d'une riche expérience, lui a appris les bases du métier. Mais en éternel orgueilleux, François de Brigode ne peut s'empêcher de mettre en lumière le grand âge de son mentor plutôt que sa richesse professionnelle. Jacques Bredael n'a pour autant pas quitté son rôle de tuteur et explique aujourd'hui, non sans une pointe de lassitude, que «François a toujours parlé trop vite. Je lui ai répété pendant des années et je lui dis encore qu'il pourrait dire les mêmes choses avec moins de mots. Mais il n'écoute pas ! » Deux caractères très différents qui, d'après ce qui se dit, s'entendent bien et se respectent.

En ce qui concerne la passation de siège, le visage de l'ancienne génération garde une pudique amertume quant à la manière dont il a été remplacé. « Il est venu en stage au JT et il a été sélectionné pour s'essayer à la présentation. Cela lui a plutôt bien réussi, puisqu'il a assuré ma « doublure » un temps, avant de prendre en charge parfois les éditions du Weekend, et finalement de reprendre ma place en décembre 1997 quand j'ai été prié de dé- camper ! » François de Brigode, pour sa part, présente le déroulement des évènements comme normal et inévitable. «C'est la vie. Ca s'est passé sans heur, sans brutalité. Il n'y avait pas de réelle concurrence entre lui et moi comme il peut y en avoir dans le milieu de l'audiovisuel où, parfois, les égos peuvent s'affronter de manière violente. » Ici, pas de combat de coqs, juste un jeune homme ambitieux qui prend la place d'un autre, et peu importe la manière.

Gourmand et culotté, certes, mais notre journaliste sait aussi caresser ses supérieurs dans le sens du poil. Très soucieux de la hiérarchie, il monte souvent à l'étage du service communication pour « entretenir ses relations ». Enfant gâté et mascotte affirmée, il se permet tout de même, à l'occasion, de discuter quand il n'est pas d'accord avec un choix ou une orientation prise par ses supérieurs. Jacques Bredael s'inquiète parfois de cette orgueilleuse assurance : « Professionnellement, il travaille bien, c'est sûr. J'espère cependant qu'il ne se prendra jamais trop au sérieux, et qu'il se souviendra toujours que le JT, la présentation d'un JT, c'est une fonction (passagère) et pas un état. »

Quand il ne siège pas à l'antenne ou en salle de rédaction, le visage du JT du soir ne reste pas en place. « Il faut avoir, je crois, plusieurs passions dans la vie. J'ai la chance de beaucoup aimer le cinéma, la photo, voyager, donc je n'ai pas l'impression que je serai en panne de la RTBF le jour où je me verrai raccrocher. » Parallèlement à tout cela et en fidèle disciple de son ancienne université, il est aussi professeur de journalisme à l'ULB. 


Vis ma vie de présentateur du JT

La préparation d'un journal télévisé se construit en véritable travail de fourmilière dès le matin. Lors de plusieurs réunions quotidiennes il faut analyser les sujets en prévision, ceux qui sont en chantier, les régionaux qui viendront en complément et voir les priorités de la journée. Chaque membre de l'équipe repart alors vers sa rédaction, s'en va en reportage ou en conférence de presse pour la construction des sujets. L'éditeur, l'équipe d'édition et le présentateur sont en collaboration permanente et font le point sur l'organisation du journal du soir plusieurs fois sur la journée.

Le rôle du présentateur consiste principalement à préparer les lancements de sujets et lier la sauce entre les différentes séquences, ce qui exige d'avoir une vue d'ensemble du journal et une excellente connaissance des sujets en particulier. Il doit pouvoir parler de tout et être capable d'improviser avec consistance en cas de problème technique. Catherine Poels a travaillé avec François de Brigode comme assistante d'édition au lancement de la mi-journée avec l'éditeur André Urbain. «On formait vraiment un triangle de collaboration qui faisait circuler l'info pour que le journal ait lieu. » et Catherine n'hésite pas à le dire : l'actuel titulaire du 19H30 est un requin intraitable qui ne laisse rien passer à sa rédaction. Il n'accorde aucune place pour les liens d'amitié quand il travaille ! Il exige le meilleur de chacun, à chaque instant, et peut être particulièrement autoritaire et cassant quand un sujet ne lui convient pas. « Il sait être très désagréable, il n'aime pas l'à-peu-près et n'hésite jamais à crier quand il considère que c'est nécessaire. » Quand les journalistes sont capables de mettre leur susceptibilité de côté, ils reconnaissent en lui un excellent éditeur, fiable, qui sait sentir l'information. Il maitrise parfaitement l'actualité et sait quand un sujet mérite d'être creusé. « Mon exigence est celle de tout bon journaliste : essayer de proposer LE meilleur reportage. Il ne faut pas tomber dans une espèce de paresse en se disant qu'on a assez. Il faut toujours aller plus loin ! »


Le journal télévisé, toujours de l'information ?

Au fil du temps, l'image exigeante et critique du journal parlé de la RTBF s'effrite, certains faits divers se retrouvent en titre, l'influence de la concurrence est de plus en plus difficile à cacher. François de Brigode ne l'admet pas vraiment et explique que le journal a dû s'adapter à une certaine demande du public mais refuse d'aller sur le terrain de l'adversaire. « Ici, on fait autre chose : on développe l'information, on l'analyse, on la décortique ; on n'est pas du tout dans la même logique ni dans la même division. (...) Je crois que la hiérarchisation ne dépend que d'une seule chose : l'importance de l'info. »  Monsieur le présentateur vedette fait là preuve d'une certaine mauvaise foi, car bien que la RTBF veuille à rester dans une logique critique et explicative, certains journalistes de la maison reconnaissent qu'ils ont du « évoluer ». Leur journal télévisé est en perpétuel changement et, face au succès populaire de celui de RTL TVI, ils ont dû se remettre en question et s'adapter à l'intérêt du téléspectateur en obéissant, entre autres, à la loi du « mort-kilomètre ».

Quel peut être alors l'avenir de l'information ? « Ce dont je suis certain c'est qu'il y aura de plus en plus d'infos et de plus en plus rapidement. L'important sera de savoir comment on la traite. Le tout est de le faire intelligemment et, en terme d'image, il faudra évidemment s'adapter aux nouvelles technologies. (...) Moi je crois à l'intelligence du public et qu'à un certain moment les gens se feront leur religion. »

Philippe Dutilleul, journaliste et réalisateur belge de documentaires, a claqué la porte de la RTBF en 2012, sans remords ni regrets, mais avec des arguments radicalement opposés à ceux de François de Brigode, pourtant son meilleur allié dans le cadre du docu-fiction « Bye-Bye Belgium ». Il explique qu'à la RTBF, le style a changé. « La forme a pris le pas sur le fond, je le regrette. Je trouve que la télévision n'est jamais meilleure que quand elle procure du plaisir avec intelligence. Mais cette évolution concerne l'ensemble des chaînes publiques, pas que la RTBF, qui suit le mouvement. Comme la culture, l'info est devenue un objet commercial. »

Sans tomber dans la caricature du fil rouge « sex, drugs and children » auquel répond la première chaîne privée du plat pays, d'autres membres de la RTBF admettent devoir aujourd'hui se soumettre à la recherche d'audience plutôt qu'à une logique de chasse à la véritable information. « C'est une évolution indéniable dans la façon de traiter l'information. »


Bye-Bye Belgium ?

Conduit par un intarissable appétit de l'actualité, François de Brigode s'investit énormément dans les élections. Soupçonné d'appartenir au clan rouge, il ne se prononce pas publiquement sur ses opinions politiques. « Je suis un passionné de politique, mais je n'en ferai jamais parce que je considère que c'est deux métiers différents et que je tricherais avec mon métier de journaliste en passant de l'autre côté de la barrière. (...) Un jour, un homme politique m'a dit qu'il était impossible d'être ami avec un journaliste, ben je dis tant mieux ! C'est la meilleure définition de nos relations.» Il aime l'adrénaline et le côté funambule que lui offrent les émissions électorales, et se verrait bien terminer sa carrière en médiateur de partis à l'antenne. « Sans me venter, j'ai quand même suffisamment d'expérience, ce qui fait qu'à chaque élection je peux apporter ma pierre à l'édifice pour essayer que le résultat soit le meilleur possible. »

Il explique sa passion politique par la diversité typiquement belge qu'il trouve particulièrement excitante. « Il y a tellement d'inconnues qu'on pourrait raconter une nouvelle histoire tous les jours. Ce pays est très riche sur le plan politique ! »


Ce que le prompteur ne nous dit pas

François de Brigode est décrit par ses proches comme généreux, rigoureux, fidèle et très intelligent. Il manquerait parfois de distance sur les choses, un tantinet douillet voire hypocondriaque, il peut être grossier et vulgaire quand il tombe dans l'humour. Audacieux et culotté, il a le désir de bousculer l'information qu'il trouve encore parfois un peu compassée. «Humainement, c'est un grand gamin qui s'amuse dans son métier ! », taquine Jacques Bredael.

Bien des rumeurs circulent sur l'appartenance de l'actuel présentateur à l'ordre des franc-maçons. Suite à l'aveu public de son prédécesseur d'être investi au Grand Orient, François de Brigode n'a pas voulu s'exprimer sur le sujet. « Tout ce qui a trait à une opinion philosophique ou à la vie privée ne regarde que moi. Tout ce qui compte à mes yeux, c'est la qualité du travail des journalistes. » Langue de bois ? Jacques Bredael nous a en tout cas avoué avoir avec l'intéressé « des intérêts communs, une certaine connivence sur le plan philosophique et politique, des amis proches, etc. » Sans pouvoir rien affirmer, il reste permis d'émettre la possible appartenance franc-maçonnique de Monsieur de Brigode.

Enfin, il vit depuis toujours, ou presque, avec sa compagne actuelle, Marie-Bernard Schneiders. Décrite comme drôle, bavarde, serviable et très agréable, elle tient fidèlement un poste de promotrice en partenariats à la RTBF. De dix ans son ainée, elle a une fille, Mauricette, d'un premier mariage, que le titulaire du 19H30 a toujours considérée comme sa propre fille. Particulièrement protecteur envers Marie-Bernard et leur enfant, on le dit très loyal et fidèle... en amitié.

Le journaliste a perdu sa mère lorsqu'il était enfant et a récemment vu partir son papa, dont il était extrêmement proche. Pour cet enfant unique, le décès paternel a été une grosse épreuve de vie et a certainement influencé, d'une manière ou d'une autre, sa récente décision d'adopter légalement Mauricette. Décrit par tous comme une excellente équipe, le couple prouve aux mauvaises langues que l'âge ne fait pas l'union, tout comme François de Brigode démontre que l'humilité ne fait pas nécessairement le bon journaliste. 

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