Sylvain Tesson sur les toits du monde
El Mimomandes
Ma première rencontre avec notre homme eu lieu un soir d'ennui chez mes grands parents passé devant le petit écran. Avec les paupières alourdies par la routine habituelle, je zappe jusqu'à tomber sur un documentaire de 50 minutes sur France 5 ou Arte (je ne me suis jamais fait au dédoublement de ces deux chaines de Service d'Intérêt Culturel Général).
On y voit un homme qui décide de s'isoler 6 mois de sa vie sur les bords du lac Baïkal, dans une cabane pour vivre seul puis avec deux chiens pour seule compagnie, donc seul. Cet homme c'est Sylvain Tesson. Thoreau des temps modernes, Robinson volontaire. Nous avons tous vu Into The Wild en nous disant : « Putin, c'est ça que je veux faire ! Au diable mon costard cravate et les journées passées à discuter de l'émission TV de la veille avec des collègues à l'haleine caféinée puis les émissions de TV du soir passées à raconter les histoires de la journée à sa femme à l'haleine tisanée. Je veux prendre un grand bol d'air, me retrouver seul face à moi-même et à la nature, et à ma nature. »
Puis on oublie ces envies qui pourtant pourraient nous sauver de l'ennui mortel que représente la routine dans nos vies. Sylvain Tesson, lui, franchit le cap. Géographe de formation, fils du journaliste Philipe Tesson, il fait un bras d'honneur à la routine et, comme dans un roman de Jack Kerouac, il prend la fuite, décide de faire un périple unique menant à lui-même au lieu d'emprunter les mêmes lignes de métro bondées dans lesquelles s'enterrent quelques millions de personnes aux allures de cadavres mobiles chaque jour.
Dans ce reportage, j'ai vécu par procuration le centième de ce que Sylvain a pu vivre et pourtant, qu'est ce que le centième de son expérience a été bon ! J'ai eu le sentiment de traverser les grandes plaines glacées de l'Alaska avec lui et de me retrouver à ses côtés à boire des verres de vodka pour trouver la chaleur qui permet de lutter contre le froid de la Sibérie comme on lutte contre le froid des relations humaines dans un métro bondé en allant au travail le matin. Et je suis loin d'être le seul à ne pas être sortis indemne de cette expérience par procuration retranscrite aussi dans le merveilleux livre Les Forêts de Sibérie.
Puis j'ai lu Bérézina. L'idée est toute aussi folle que le récit y est brillant. Passionné par Napoléon, dont la folie meurtrière et le charisme impérial ont amené à traverser tout le continent Europe pour aller livrer une guerre génocide pour la France contre la Russie, il décide de refaire le même parcours avec quelques amis en moto et side-car. Dans sa folie, entendez sa tendance à vivre comme il l'entend, indépendamment de ce que la bienséance encouragerait, il pousse le vice jusqu'à porter un bicorne et à mettre sur son side-car le drapeau impérial.
De beuveries en rencontres, de batailles livrées en déroutes pour l'armée française, on voyage en même temps que Sylvain Tesson et Napoléon et on reçoit comme des uppercuts dans l'estomac à chaque rêverie de ce promeneur qui n'est plus solitaire.
Et cet homme brillant dans ses livres, qui réalise des expériences qui nous inspirent à tous la volonté d'en faire de même, et nous le ferions si nous avions les tripes ou un déclic (un licenciement, une rupture, la mort d'un proche, quelque chose qui nous imposerait de nous retrouver face à nous même), il resplendit tout autant dans la réalité.
Car Sylvain Tesson est un de ces personnages qui mérite plus qu'un James Dean d'avoir cette phrase écrite sur ses photos lorsqu'on tape son nom sur google : « You've got to live fast, death comes early. » Non content de risquer sa vie pour des causes qui lui tiennent à cœur comme l'occupation du Tibet qui l'avait amené à escalader la tour Eiffel et Notre-Dame de Paris pour y suspendre une banderole lors du passage de la flamme olympique avant Pékin 2008, il grimpe et grimpe toutes ces constructions humaines qui sont autant d'architectures dérisoires pour l'homme qui a traversé l'Himalaya à pied.
Et c'est ainsi qu'on apprend de sa bouche en biais lors de ses dernières interventions médiatiques que sa gueule cassée est due à une erreur de jeunesse commise par un adolescent aux penchants suicidaires de 39 ans, lorsque ivre, en vacances avec des amis dans les Alpes, il a décidé de grimper sur le toit du chalet avant d'en glisser et de faire une chute de 10 mètres. Parce que quand on a de la hauteur sur ses semblables, qu'on sait sur soi des choses que la plupart des gens ne savent pas sur eux-mêmes, qu'on a vu des paysages que même en rêve le Français de base n'est pas capable d'imaginer, on a toujours du mal à redescendre des hauteurs qu'on a prises sur le monde, seules les expériences qui nous mettent 3g d'adrénaline et d'alcool dans le sang peuvent faire atteindre de nouveau ces hauteurs. Et parfois, la chute est rude. Après 10 jours de coma donc, le voilà qui revient avec son nouveau livre et qui arpente les plateaux télé et les radios, et qui garde sur le monde un regard comme il y en a trop peu, une intelligence originale et une poésie pleine de spleen et de fougue.
Sylvain Tesson c'est le représentant d'une génération touchée par ce mal d'un nouveau siècle. Une génération qui cherche une raison à sa vie, mais qui n'en trouve pas dans le train-train quotidien et qui sait qu'elle doit chercher ailleurs. Mais qui n'a pas le temps de chercher ailleurs car il faut consommer, donc il faut de l'argent, donc il faut un travail, donc il faut de l'immobilité géographique. Sylvain Tesson voyage, Sylvain Tesson cherche pour nous où se cache ce précieux Graal : le bonheur, s'il existe. Il n'a pas encore trouvé et c'est pourquoi il continue à chercher avec fièvre.
Continue Sylvain, sois un guide pour nous, génération neurasthénique qui consomme des antidépresseurs pour oublier cette immobilité morbide. Et peut-être qu'un jour nous nous verrons dans le métro entre deux interviews, et peut-être que nous nous croiserons dans une plaine de Sibérie, et peut-être que nous boirons ensemble de la vodka perchés sur le toit d'un chalet à risquer nos vies insensées. Et peut-être glisseras-tu mais je serai là pour te retenir dans ta chute. Car les gens comme toi sont importants et de leur vie dépendent les rêves de gens comme nous.
bien agréable à lire son bouquin "Dans les forêts de Sibérie"
· Il y a presque 10 ans ·Sophie Marchand