Loi gaïenne
laera
Dimanche 16 décembre 2012, 6h00
Laure est assise sur son canapé et se tient la tête entre les mains. Elle tente de comprendre ce qui s'est passé hier matin. Elle a été témoin d'un abominable accident : un bus a raté son virage et a défoncé la vitrine d'un café bondé. Les hurlements, les traces de sang et le bras arraché qui gisait au milieu des débris, dansent encore devant ses yeux. Certains cadavres étaient si amochés qu'ils ne ressemblaient plus à des humains. Les blessés imploraient de l'aide tandis que les rescapés affolés tentaient de fuir le carnage.
Elle se rappelle s'être approchée pour porter secours lorsqu'une sensation de froid l'avait envahie, la glaçant jusqu'aux os et la faisant vaciller. S'ajoutant à son malaise, une atroce douleur vrillait son crâne. Elle resta immobile quelques secondes, puis comme elle gênait les secours, elle finit par rentrer chez elle, dans un état second. Elle s'était écroulée sur son canapé, souffrante et fiévreuse. Elle avait eu d'atroces cauchemars où elle revoyait l'accident encore et encore. Au milieu des blessés un spectre avançait dans sa direction puis semblait se fondre en elle. Soudain elle se transformait en prêtresse dans un temple ancien et participait à une cérémonie avec un sacrifice humain, un rite païen une sorte d'ode sanglant à la terre. Elle s'était réveillée brutalement, le visage inondé de larmes.
Bien réveillée à présent, elle se sent mieux physiquement, bien qu'elle soit bouleversée par l'horrible accident. Elle est lasse de chercher à comprendre. Elle aurait besoin de prendre un bon bol d'air, de se changer les idées, elle rêve d'une balade à la campagne.
Malgré l'heure très matinale, Laure décide d'aller s'oxygéner et se rend dans le parc Gesendorf, îlot de verdure au cœur de la ville. Là-bas, un homme saoul titube dans sa direction et la heurte accidentellement en la croisant. Incapable de maîtriser sa fureur, elle se retourne et le pousse violemment le faisant tomber. Il essaye de se redresser tout en protestant d'une voix geignarde. Elle s'approche de lui et lui expédie son pied en pleine face, puis elle le roue de coups. L'homme, le visage en bouillie, ne bouge plus. Elle part le laissant pour mort.
Chez elle, Laure jette négligemment ses bottes maculées de sang puis se lave le visage et les mains. Elle allume la télévision et regarde les nouvelles. Une atroce tuerie dans une école primaire des Etats-Unis défraye la chronique, elle regarde captivée oubliant momentanément sa crise de violence.
* * *
Lundi, Laure se rend à son bureau dans une faculté. Elle arpente les couloirs de l'université, où un étudiant placarde des affiches qui clament « Newtown, plus jamais ça ! ». Le travail ne l'intéresse plus, elle cherche dans les quotidiens des nouvelles de l'homme qu'elle a abandonné au parc. Elle découvre, avec horreur, dans les faits divers qu'un homme agressé dans un parc est actuellement dans le coma. Elle commence à réaliser ce qu'elle a fait. Elle reste prostrée un long moment les yeux dans le vague.
A midi, ses collègues viennent la chercher pour aller manger, elle tente de se ressaisir.
Au milieu du repas, Saïd demande :
- T'es bien silencieuse Laure, ça ne va pas ?
- Je repense à l'accident de bus de samedi... Ca me hante !
Eric pousse un petit sifflement :
- C'était moche d'après ce que j'ai lu, le chauffeur n'a même pas freiné.
- Comment tu le sais ?
- Un ami qui connaissait le chauffeur de bus, m'a raconté qu'il était étrange depuis quelque temps. Il se demande si l'accident a été dû à un malaise.
Laure remonte à son bureau, à peine son plateau terminé. Le chauffeur était-il malade ? Pourrait-elle avoir été contaminée ? Elle se remémore la sensation de froid ainsi que son violent mal de tête sur les lieux de l'accident. Pensant qu'il est le point de départ de tous ses malheurs, elle recherche plus d'informations sur internet :
«Horrible accident à Genève : un bus fou dévaste un café.
Bilan : six morts et douze blessés.
Samedi matin, un chauffeur de bus a, pour des raisons inconnues, perdu la maîtrise de son véhicule, renversant deux piétons puis a fini sa course meurtrière dans un café bondé.
Le porte-parole de la compagnie des transports déclare que c'est la plus grave tragédie impliquant un bus qui soit arrivée en Suisse. Les experts tentent de déterminer les causes de l'accident... »
* * *
Mardi Laure est encore plus troublée, sa nuit a été peuplée de cauchemars dans lesquels elle maniait des armes, tuait sans pitié des victimes innocentes et frappait sans fin cet homme dans le parc. Heureusement il y avait ce rêve mystérieux où elle était agenouillée devant une statue. Elle attendait d'être intronisée au cours d'un rituel complexe mené par un homme d'une beauté à couper le souffle. Dans ce rêve, son cœur était rempli de fierté et elle jurait solennellement de toujours veiller sur la Déesse Gaïa.
Lorsqu'elle arrive au travail, elle revoit les affiches de solidarité à Newtown, et à son plus grand désarroi, ses seules pensées sont la griserie qu'ont dû ressentir les auteurs des tueries comme celles de Newtown, Virginia Tech ou encore de l'emblématique Columbine. Elle ressent une morbide fascination pour ces drames et leur déroulement.
Elle se renseigne davantage sur ces tragédies et étudie attentivement les articles leur étant consacrés. Laure a rêvé de ces massacres la nuit dernière et elle se trouvait dans la peau des assassins.
Au fil des heures, ses pulsions meurtrières grandissent. Peu à peu ses visions se transposent ici, à Genève, au sein de l'université. Elle tente de lutter mais sans succès.
Laure commence malgré elle à élaborer un plan et à faire des recherches plus poussées sur les différentes stratégies, leurs auteurs et leurs techniques. Elle a un sursaut de conscience, et tente de se ressaisir. Elle repousse violemment son clavier, elle a le sentiment de devenir quelqu'un d'autre. Son regard d'animal traqué se pose sur son étoile de Noël, la vue de la plante lui apporte un bref réconfort. Elle rentre chez elle.
* * *
Mercredi, Laure est de plus en plus au bout du rouleau. Ses cauchemars empirent et transforment ses nuits en véritable enfer, elle revit des meurtres qu'elle commet, ou qu'elle va commettre. Ses nuits sont maculées de sang, de violence et de sacrifices humains pour une déesse mystérieuse nommée « Gaïa ».
Au travail, elle peaufine son plan, à savoir, organiser une tuerie ici, l'université où elle travaille. Elle n'a plus la force de lutter contre cette idée dévastatrice qui s'impose à son esprit. Elle ôte distraitement les feuilles fanées de sa plante et peu à peu, elle sent des tréfonds de son âme une résolution monter. Son plan est prêt, elle doit s'exécuter.
Laure contacte un journaliste pour lequel elle avait travaillé. Il avait écrit un article sur la contrebande d'armes. Elle lui extorque le numéro de téléphone d'un homme infiltré dans le milieu, un certain Manès. Elle prend rendez-vous avec lui pour le soir-même.
Elle se rend à l'adresse indiquée dans une banlieue sordide. Manès, un homme grand, basané et très séduisant apparaît. Il lui fait signe de le suivre, Laure sous le charme le suit sans se faire prier. Il l'entraîne dans les caves où deux autres individus les attendent. Le premier est un grand blond prénommé Sven qui ouvre la porte d'un local, et, à l'intérieur, bien planqué dans un coffre, se trouve un véritable arsenal que présente Lucas le deuxième homme au crâne rasé. Laure regarde la matiériel puis passe sa commande.
- Donc, tu veux deux grenades à main, deux pistolets Beretta, dix chargeurs et deux cent cartouches. Ca fait cinq-mille francs.
- Dis-moi qu'on peut négocier, demande Laure d'un ton enjôleur.
Manès sourit puis dit : « Quatre mille. ». Il fait un petit signe en direction de Sven qui s'en va discrètement.
- Deux mille
- Trois mille cinq cent
- Trois mille…aaahhh !
Laure vient de se faire agresser par Sven qui est revenu subrepticement dans son dos et l'a saisie par la gorge tout en l'étranglant à moitié. Lucas s'approche et frappe Laure au ventre.
Immédiatement, Laure feint de se laisser tomber, surprenant son agresseur qui relâche son étreinte. Elle en profite pour lui écraser violemment les orteils, puis elle se retourne et lui assène un coup de poing dans la figure, il s'écroule. Laure se retourne vers Lucas, esquive le coup qu'il tente de lui porter et lui expédie son genou dans les parties, l'homme s'effondre en poussant un cri aigu. Elle se retourne et voit Sven debout mais encore un peu sonné, ses yeux larmoient et son arcade saigne. Laure prend son élan et envoie son poing de toute ses forces dans son plexus, Sven s'effondre sur le dos, K.-O.
Manès regarde la scène, nonchalamment appuyé contre la porte. Laure sourit car elle sent qu'elle a réussi le test. Il ajoute :
- On les planque pour la nuit. Ce soir tu viens avec moi.
Une fois les complices de Manès ligotés, bâillonnés et enfermés dans le local. Laure suit Manès à son appartement. Celui-ci est rempli de nombreuses plantes exotiques et sur le mur, au-dessus du lit, il y a une gravure qui représente un temple, qui ressemble étrangement à celui des rêves de Laure. Mais Manès ne lui laisse pas le temps d'observer davantage. Il se jette sur elle et l'embrasse avidement. Il passe ses mains sous son pull et caresse sa poitrine. Laure gémit et se cambre. Il la porte sur le lit et lui fait l'amour sauvagement. Laure prend plaisir à cette étreinte ardente.
***
Une fois leur désir rassasié, l'heure est aux confidences. Laure demande ce que représente le temple au mur. Manès lui répond qu'il s'agit d'un lieu dédié à Gaïa, déesse de la terre. Selon la légende, des prêtres-soldats avaient étés formés afin de pouvoir un jour défendre la planète contre les hommes et leurs exactions. Les soldats Gaïens devenaient ainsi des esprits qui se matérialisaient en cas de danger afin de posséder des humains pour semer la destruction parmi leurs rangs et rétablir ainsi l'équilibre. Il ajoute que son surnom « Manès » est tiré de cette légende et qu'il appartenait au gardien du temple et chef des soldats. Laure se confie à son tour, elle raconte l'accident de bus, sa violence dans le parc. Elle parle même de son projet de massacre. Manès sourit, et lui propose de l'aider à concrétiser son plan qui devra se dérouler le jour du solstice d'hiver, vendredi. Il se chargera de son entraînement et de son équipement. Sur ses entrefaites, il la raccompagne chez elle, puis l'abandonne pour s'occuper de ses anciens comparses.
Toute la nuit, Laure fait d'étranges rêves qui la transportent loin dans le passé. Elle voit un homme brun, ressemblant à Manès, vêtu d'une tunique de lin et portant une cuirasse dorée. Elle aperçoit toujours le même temple niché dans un paysage luxuriant. Elle est maintenant à l'intérieur debout sur une estrade à l'intérieur du temple, ils sont cinq, trois hommes et deux femmes, qui font face aux nombreux fidèles, Manès, au milieu arbore un sceptre magnifiquement décoré, qu'il utilise pour battre la mesure en frappant le sol. Les fidèles se prosternent. Sur le côté un chœur composé d'enfants, entonne une mélodie pure et cristalline. Les adeptes se lèvent et scandent en mesure « Gaïa...Gaïa...Gaïa ». Dans son rêve Laure est Ouréa, une soldate. Elle ressent sa dévotion pour Gaïa, la déesse mère.
Vendredi 21 décembre, 11h45, Université de Genève
Laure entre dans la cafétéria, elle a un long caban qui dissimule ses pistolets et ses grenades, elle s'installe à une table dans un coin un peu à l'écart. Elle attend patiemment que la cafétéria soit pleine. Au moment propice, elle sort discrètement une grenade, la dégoupille en comptant les secondes. A trois, elle se lève brusquement, se retourne et lance la grenade le plus loin possible au milieu de la foule.
L'explosion dévastatrice projette les d'étudiants comme des pantins désarticulés, tout est sens dessus dessous. La panique est totale, les cris des blessés se mêlent aux hurlements de ceux qui tentent de fuir. Laure, très concentrée, sort son flingue, exterminant les survivants. Les sorties sont impraticable. Les étudiants qui tentent de se cacher sont débusqués par Laure qui les abat froidement. Elle manie son arme avec dextérité remplaçant les chargeurs vides en un temps record. Son visage figé n'affiche aucune émotion, elle traque et tue sans relâche les survivants.
Soudain, elle sent une vive douleur dans son flanc droit, on lui a tiré dessus. Elle se retourne et voit plusieurs policiers qui sont entrés par les cuisines. Une seconde balle l'atteint à l'épaule, ce qui lui fait lâcher son arme et s'écrouler. Une étrange sensation l'envahit, comme un vide. Elle perçoit une silhouette éthérée quitter son corps. Elle réalise qu'elle a réellement été possédée par Ouréa, qui, sa mission terminée, part à la recherche d'une autre victime pour continuer son combat contre l'espèce humaine. Elle la voit s'introduire dans le corps du policier qui a tiré sur elle.
Il chancelle. Elle décède.