L'Oiseau Bleu

Juliet


Père, est-ce que tu as laissé les plumes blanches
se mélanger aux tableaux qui ne sont pas étanches
de ce monde multicolore qui n'est plus que le mien ?
Ils se fondent dans les décors moroses des jours anciens,
et se pleurent de voir leurs teintes affadies,
mais elles ont rejoint juste le Paradis,
pour venir t'apporter en ce monde blanc
les souvenirs gardés au creux de mon flanc.
Père, est-ce que tu as laissé ma voix n'atteindre que du vide ?
Tu disais qu'elle était une oasis en tes déserts arides,
mais c'est comme si elle ne savait plus ton nom,
et que tu l'avais déshéritée de son renom.
Car j'aurais fait bâtir des châteaux et des cathédrales pour toi ;
plutôt que de partir tu aurais pu te protéger sous ces toits.
Mais ils n'eussent pas été bleus, c'est vrai ;
et du bleu pur tu n'as été sevré.
Et jamais je n'aurais pensé
que tu aurais pu t'y lancer.
Père, as-tu laissé des vœux éparpillés dans ton absence ?
J'avais cru lire des aveux sur la tombe de ton essence,
c'est comme si derrière les gravures,
s'exposaient de tes œuvres les bavures
que je n'avais devinées alors,
car la noirceur ravivait ton or.
Chaque matin le soleil déferlait sur mon visage,
dans ma chambre les rayons chaleureux d'un doux présage.
Père, as-tu bien amené avec toi tout l'amour
que tu m'apprenais à donner à chacun de mes jours ?
Il semblerait que tu n'aies pas pris tout don dû,
car je t'aime trop encore et me sens perdu
de clamer mes déclarations ferventes au vent,
lui qui me caresse bien plus froidement qu'avant,
je ne suis pas sûr qu'il m'aime,
mais je suis certain qu'il sème
loin de moi les nuages gris qui me couvrirent,
le jour où j'eus le chagrin de te découvrir
qui profondément dormais,
lentement te transformais.
Père, est-ce que tu es devenu quelqu'un d'autre ?
Toi qui pour me guider étais mon unique apôtre,
je t'avoue que m'envahit une crainte ineffable
lorsque je pense à m'inventer une nouvelle fable.
Et une plume de l'Oiseau Bleu se mélange
à l'illusion tendre et onirique des Anges.
Mais dans son palais il est tel un oiseau en cage
qui a noyé sa liberté dans un marécage.

Et je me sens le cœur fondre
lorsque dans la nuit s'effondre
le souvenir des temps heureux,
et l'avenir que je crus bleu.

Père,
En moi l'amour que je te porte semble faire retentir tes échos.
Sous la berceuse de lointains battements d'ailes,
je veux rêver de toi ce soir encore.

(écrit le 28 août 2011)

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