L'Orage

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                            Il s'y rendit vers dix huit heures. Pour tous bagages un sachet en plastique et son Laguillole. Il n'en aurait pas pour longtemps. Il lui fallait ramener à son épouse ce pour quoi il était sorti. Ses amis ne tarderaient plus, mais il avait le temps. Marlène préparait le repas.

                             Jean-Pierre s'était déjà bien engagé dans le petit cheminement séparant les plantations et s'apprêtait à poursuivre sa route quand la tempête déjà menaçante éclata. Il la prit comme une gifle. L'obscurité l'enveloppa d'un coup, d'une façon si soudaine et si inattendue qu'il en frissonna. Le vent sorti de ses gonds avec une violence peu ordinaire. Il voulu rebrousser chemin, tenta de se retourner, mais les lumières de sa bâtisse qui aurait pu le guider, avaient disparu, avalées par une encre épaisse, palpable. Il fit quelques pas dans ce noir intense et prit conscience qu'il tournait en rond. Il n'avait plus aucun repère, ni les bornes de la montagne à l'est, ni les crêtes ondulantes de celle à l'ouest. Malgré qu'il avait déjà souvent arpenté ces lieux, il senti qu'il pénétrait sur un territoire inconnu, angoissant, effrayant. Il était sur d'avoir un excellent sens de l'orientation et s'en était souvent vanté, mais là il s'était égaré  et cela instaura dans son esprit une peur panique.

                             Le ciel était griffé par une terrible colère d'orage sans éclaire. Des voiles de deuil assombrissaient sa vue. Les nuages descendus à sa hauteur dansaient une sarabande autour de lui. L'ire de l'ouragan était sans précédent. De quoi le punissait-on ? Dieu avait perdu le sens de la mesure. Les yeux de Jean-Pierre n'accrochaient plus rien, le village habituellement visible avait reculé derrière les lourds rideaux opaques. Les ombres des plantes qu'il devinait, plus qu'il ne voyait, étaient bousculées en tous sens lui barrant des issues espérées. Il n'apercevait que des chemins sans fond. Les membres des arbres secoués le malmenaient lui agrippant les cheveux. Il sentait le diable lui tendre les bras. Ses bottes butaient sur des obstacles insoupçonnés. Il cria. Sa voix se fondit dans le tintamarre du vent. Un court éclaire lui confirma un décor inhospitalier, suivi d'un fracas émergeant des portes de l'enfer. Il se sentit minuscule, ballotté dans un épouvantable bruit. L'impénétrable étang de la nuit restait collé à lui, fixé par la pluie qui maintenant s'écrasait sur le sol gémissant.

                             Bizarrement, il eu le temps de penser que même son couteau ne pourrait pas déchirer les tentures noires qui pendaient devant lui. Il trébucha sur une pierre invisible, tomba face contre terre et senti son visage englué par des sortes d'algues. Il eut pu reconnaître l'odeur d'une plante aromatique si ses terreurs n'occultaient pas ses sens. La foudre éclaira encore une fois la scène de façon sporadique, il voyait dans un paysage déformé, de grandes tiges cylindriques pliées par les éléments. Des feuilles luisantes de pluie reflétant la flamme vive des flash du ciel. Il se releva péniblement, trempé, hagard, les os douloureux. Quand il cru ses derniers instants arrivés, la grande danse du vent se calma. Il respira profondément, terrassé par la crainte. Les bras de l'ondée se refermèrent et une dernière zébrure viola l'obscurité. Il reconnu l'endroit. La marée sombre des nuages se retira laissant une robe rouge éclairer le ciel. Il sorti son couteau. Le grondement du tonnerre penchait maintenant vers le nord et menaçait d'autres lieux. Les pétards de la foudre allumaient de lointaines forêts. Il fléchit les genoux. La terre se calmait, mais son esprit gardait de terribles visions.

                             Dans le carré de légumes où il était arrivé, il trancha enfin les pieds de la salade qu'il était venu chercher au fond du jardin.

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