L'orangeade

miel

Synopsis : Caroline est une femme au caractère bien trempé, un peu lunaire parfois, mais avec une grande sensibilité. La trentaine bien passée, elle est seule, une situation non choisie. Elle a la manie (inconsciente) d’être captivée par la nuque des hommes. Elle exerce le métier de coach pour managers stressés. Lors d’une de ses missions elle se retrouve embarquée avec Jérôme, un de ces clients, dans quelques situations pittoresques.

Jérôme est envoyé par son entreprise dans un séminaire à Tarragone, en Espagne. Il est un cadre dynamique obsédé par la réussite professionnelle. Positif, rationnel, souvent égoïste, il est passé maître dans l’art de cacher ses émotions. Il se retrouve malgré lui dans les séances de coaching organisées par Caroline lors du séminaire. Il ne le sait pas mais c’est son entreprise qui l’y a délibérément inscrit afin de le préparer à des événements futurs. Caroline et Jérôme vivent ainsi des aventures pleines de quiproquos jusqu’à ce que l’amour vienne au rendez vous pour ces deux éclopés de la vie moderne.

Plusieurs caractères secondaires rythment les décors et révèlent quelques traits de notre société, entre humour et dérision.

Début :

Je voudrais du Fred Aster… Je voudrais toujours te plaire...Dans mon jardin d’hiver…La radio crachotait l’air langoureux sans couvrir le bruit de la pluie sur les feuilles des palmiers. Un doux froufrou de clapotis rythmait les va-et-vient du hamac et quelques rayons de soleil perçaient timidement les nuages gris de cette fin de matinée de décembre. Elle se laissait aller par le confortable bercement de ces éléments, songeant qu’il valait mieux ne pas penser et savourer cet instant délicieux… Ne pas penser qu’il fallait faire ses valises, prendre un taxi, prendre l’avion, retrouver ses compatriotes à triste mines entassés dans une ligne de métro bondée, retourner là où on ne peut plus entendre le bruit de la pluie. Fichues pensées, c’est dans un élan brusque qu’elle se tira de sa torpeur et du hamac, manquant de justesse de se retrouver à quatre pattes sur le parquet. Elle éteignit le poste de radio et regarda par la baie vitrée, la plage déserte balayée par la pluie. Les vagues s’amusaient d’êtres enfin libérées des touristes, et déversaient leur écume à grand fracas. Le paysage délavé ne ressemblait plus beaucoup à la photo de la plaquette touristique posée sur la petite table. Elle se demanda si elle allait l’embarquer, comme souvenir, avec les échantillons de toilettes. Cette fois ci elle laisserait les serviettes, ça ferait trop lourd dans les valises pour l’avion. La dernière fois elle avait embarqué la descente de lit et s’était vue affligée d’une taxe de surpoids dépassant le prix de son larcin… La baie lui renvoyait son reflet, elle regardait son teint légèrement hâlé par les quelques heures de soleil, son paréo mal fichu qui laissait découvrir ses genoux rocailleux, ses seins sous la chemisette de nuit, libres de tout maintien, qui chaque année subissaient une inexorable attirance pour la gravitation universelle, descendaient toujours un peu plus bas. « Vieille ». C’est la première pensée qui lui vint à l’esprit en observant son image. « Seule » fût sa deuxième pensée. « Fait chier » fût la dernière. Et elle s’affaira pour regrouper ses affaires.

Dans le taxi qui l’emmenait à l’aéroport elle ne se rendit pas compte qu’elle observait sagement la nuque du conducteur. Des cheveux noirs et lisses se cachaient sous une casquette d’un blanc douteux. La colonne vertébrale faisait une cascade de petites boules sous la peau fine et mate. Ses doigts effleuraient  inconsciemment une même ligne de ressorts sur le cuir élimé de la  banquette. Elle s’interrompit lorsqu’elle vit que le conducteur la regardait par le rétroviseur. Elle laissa alors son regard vagabonder vers le paysage grisonnant comptant mentalement le nombre d’heures qui la séparait du métro parisien. Cette pensée ne la réjouissait guère, elle avait réussi à fuir le réveillon de noël mais n’échapperait pas au repas familial de la saint Sylvestre. Elle reverrait ces mêmes visages, mangerait dans les mêmes assiettes, ne rirait toujours pas aux  blagues vaseuses, et passerait certainement la moitié de son repas, seule, sur le balcon à se geler pour quelques cigarettes exutoires. Seuls ses neveux auront changés, elle aimait bien ces petits galopins désobéissants qui finissaient toujours pas se ruer sur elle en hurlant « Câlin volant !». Personne ne dirait rien sur le fait qu’elle soit encore seule. Personne ne disait jamais rien d’ailleurs. C’est rentré dans les mœurs, c’est presque une mode. La femme seule, moderne, libre et libérée. Sans plus de contrainte que de n’avoir plus que ses yeux pour voir son reflet. Alors qu’elle crèverait  pour entendre le son d’un « tu » au petit matin. Au début sa mère lui posait quelques questions, les questions d’une mère inquiète de voir sa fille dépasser un certain âge et d’être sans compagnie, elle la regardait alors d’un air vague, éludant le sujet, mais avec une irrésistible envie d’hurler ! Sa mère avait fini par ne plus lui poser de questions, gavée de littérature la rassurant sur ce qu’elle pensait être des choix de sa fille. « Llegamos al aéroport señora » lui susurra le chauffeur, elle s’était assoupie. Elle sorti du taxi non sans un dernier regard à la nuque du conducteur, déjà absorbé dans la reconquête d’une nouvelle clientèle.

Une fois installée dans l’avion, elle se livra à son jeu favori : comment se faire un peu de place ? Début de la partie, enlever ses chaussures dans lesquelles elle avait préalablement coincé quelques morceaux de fromage bien choisis (reblochon, camembert…). Mais cette fois-ci elle n’avait ni fromage, ni chaussures, juste ses tongs. D’habitude ça marchait plutôt bien étant donné l’odeur nauséabonde qui s’en échappait. Elle gardait alors précieusement chaussettes et chaussures de rechange dans son bagage à main. Elle se rendit compte à cet instant précis qu’elle avait soigneusement oublié ses deux paires de chaussures sous le lit de l’hôtel…Ceci allait lui faciliter la seconde manche : simuler l’hystérie. Elle se mettait alors à hurler pour un oui ou pour non, les yeux révulsés, se rongeant les ongles et se grattant la tête, criant des « aaaah ! » à tout va. À ce stade là, quelques bonnes gens bien intentionnées tentaient de lui refourguer quelques cachets... Troisième étape, sortir le maximum de sacs plastiques en prévision de vous-savez-quoi. Parfois ça fonctionnait, les hôtesses soucieuses du bien être des passagers écartaient cette « puante-hystérique-vomissante » à une place libre de l’avion, souvent en première classe. Mais ces derniers temps, la technique fonctionnait moins bien, restrictions budgétaires obligent, les passagers devaient supporter l’animale… Cette fois ci encore, son petit jeu laissa les hôtesses de marbre malgré la grogne des passagers (la compassion s’arrête au troisième sac plastique). Son petit jeu s’arrêtait là, et la vraie peur s’empara d’elle à ce moment ci ; elle détestait vraiment les voyages en avion… Elle ne pourrait pas compter sur ses voisins de voyage pour papoter, à sa droite un couple de retraités américains plongés dans un film catastrophe diffusé sur leur iPad, à sa gauche un adolescent scotché à une console de jeux. Elle se cala dans son fauteuil presque résignée au long silence forcé qui s’annonçait. Son regard alla se loger sur la nuque du passager d’en face, la peau bronzée hébergeait un fin duvet blondi par le soleil aux racines des cheveux, ils se fonçaient en remontant. Les cheveux châtains étaient parsemés de quelques cheveux gris mais l’ensemble était chatoyant, captivant, la nuque à la fois fine et solide semblait porter une tête bien faite. Elle ne s’était pas rendue compte qu’elle s’était mise à observer ce cou de plus en plus près, tout son buste penché vers l’avant mettait maintenant ses lèvres à proximité du cou inconnu dont le parfum n’en était pas moins captivant. Son souffle vint jusqu’à la région cervicale postérieure et déclencha un mouvement reflexe du passager. Sans se retourner il chassa d’un violent coup de main cette gêne invisible. Elle se prit ainsi une baffe magistrale en plein nez. Le passager se retourna et marmonna vaguement une quelconque excuse, ne comprenant à vrai dire, pas trop ce qui c’était passé. Le nez rougi par la claque elle se renfrogna définitivement dans son fauteuil, fermant les yeux en rongeant seule cette peur ronronnante du bruit assourdissant des moteurs, laissant ainsi le voyage se dérouler sans d’autres turbulences.

Elle avait finalement opté pour un taxi pour rentrer chez elle, remettant à plus tard les réjouissances des retrouvailles avec les odeurs sulfurées du métropolitain. Les bouchons la laissèrent quasiment autant de temps dans le taxi que dans son trajet d’avion… Le chauffeur la laissa à quelques mètres de son immeuble en grommelant un « assez perdu de temps comme ça». Elle réprima un juron qui sorti quand même lorsqu’elle posa le pied par terre. Les doigts de pieds gelés elle se maudit une fois de plus d’avoir oublié ses chaussures à deux milles kilomètres d’ici. La neige et le froid avaient envahi Paris laissant un chaos sans nom de voitures et de piétons tous aussi peu assurés les uns que les autres sur la glace qui avait recouvert routes et trottoirs. « La neige ça tient jamais à Paris d’habitude ! » marmonna-t-elle,  en s’agrippant à tout ce qui pouvait être préhensible : lampadaire, borne… afin de parvenir à effectuer les quelques mètres qui la séparaient de l’entrée. Les tongs glissaient et ses pieds nus se meurtrissaient sur la glace-gadoue, sa valise l’entraînait d’un côté ou de l’autre, mais pas vers là où elle voulait aller. L’ « agent de propreté urbaine » du quartier, regardait non sans un certain amusement les glissades des passants pressés. Il se dirigea vers elle avec un petit sourire aux lèvres. Elle le connaissait, plusieurs fois en panne de briquet elle l’avait sollicité. Il recherchait alors méticuleusement dans le petit fourre-tout caché sur le haut du porte sac-poubelle, un paquet d’allumettes retrouvé ci ou là. Il ne fumait pas mais gardait jalousement les allumettes parmi ses petits trésors des rues parisiennes. Il lui tendit le bras et pris sa valise de l’autre en lui lançant un « vous, vous n’avez pas regardé les infos avant de partir, les tongs c’est pas très pratique pour skier ! ». Trop contente d’avoir un bras bien intentionné, elle ne répondit pas à la boutade. Elle le remercia et se dirigea vers les boîtes aux lettres. « Man’coach. Caroline Kairven, 3ème Etage, Apt.4 ». Man’coach c’était pour Manager et Coaching, elle s’occupait de redonner confiance en soi à des managers hyper stressés (dont la majorité étaient des hommes…). Cela lui valait quelque fois des coups de fils libidineux mais elle ne manquait pas de répondant pour renvoyer ces imprudents à leur turpitude (ils finissaient d’ailleurs par raccrocher, souvent choqués par ses propos). Le terme de « coach » ne la séduisait pas trop, mais c’était à la mode et il contenait tout ce qu’il fallait pour faire tourner la boutique. Une carte de son amie Anita, quelques factures et beaucoup de publicité gisaient dans sa boîte aux lettres. Elle jeta un coup d’œil dans la loge de la gardienne, elle la devinait derrière les rideaux poisseux en train de prier devant son écran d’ordinateur. La gardienne, Madame Pequosa, ne savait pas utiliser l’ordinateur mais voulait toujours s’en servir, un cadeau de son fils de Lisbonne pour « garder le contact ». Elle n’avait jamais réussi à faire fonctionner la messagerie instantanée avec la webcam et s’en était résolu à utiliser l’ordinateur pour communiquer avec Dieu. Elle venait ainsi régulièrement lui demander de l’aide pour trouver ses images pieuses… Comme Caroline travaillait souvent chez elle, c’était elle la plus accessible. Les autres locataires, elle les croisait rarement, il n’y avait que dans les films bien intentionnés pour montrer des habitants de la capitale se lancer des bonjours conviviaux entre voisins !

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