Lou Reed VS Frank Zappa
Sandra Cillo
La vie après la mort.
Le néant total, la résurrection, le Paradis, l'Enfer... Toutes les hypothèses sont possibles. Personne n'en saura jamais rien, et nous emporterons tous le secret dans nos tombes, en prenant soin de ne rien révéler à qui que ce soit. À moins que nous nous manifestions auprès de ceux que nous aimons sous la forme d'un esprit (d'une hallucination?) ou d'une apparition onirique.
Paul McCartney a avoué toujours discuter régulièrement avec John Lennon, notamment sur ses choix artistiques. Et en parlant de figures importantes du Rock, imaginez une seule seconde si celles-ci se retrouvaient toutes dans un monde parallèle à la fin de leur vie. Un autre univers nommé Cross Road, situé quelque part entre l'Escalier du Paradis et l'Autoroute de l'Enfer, univers dans lequel les artistes sont happés, après avoir dignement accompli leur mission sur Terre.
Imaginez tous ces Guitar Heroes se prosterner aux pieds de Robert Johnson. Janis Joplin se jeter dans les bras de Bessie Smith en pleurant de joie, lui faisant part de toute son admiration. Buddy Holly boire les paroles d'Elvis Presley qui raconte sa vie à qui veut bien l'entendre, sous le regard consterné de Frank Sinatra. Personnellement, je donnerais n'importe quoi pour assister à l'une de ces scènes, et je ne peux m'empêcher de penser à l'accueil que certains d'entre eux pourraient recevoir de la part des autres "habitants". Je visualise ce qui aurait pu se dérouler le 27 Octobre 2013, après l'arrivée triomphante de Lou Reed...
Comme pour chaque nouvelle arrivée, tout le monde s'est instinctivement dirigé vers la porte de téléportation. Et lorsque l'animal Rock'N'Roll a franchi cette porte, beaucoup se sont précipités pour l'embrasser, Andy Warhol et Nico en tête, bien évidemment. Imperturbable et nonchalant comme à son habitude, les deux symboles de la Factory accrochés à chaque bras, il avance en saluant ceux qui l'acclament, et envoie des baisers à ceux qui l'insultent. Conscient de l'endroit où il se trouve, il cherche désespérément Delmore Schwartz, son mentor. Mais sa quête est disons quelque peu perturbée par certaines rencontres.
Il sent une main sur son épaule. Il se retourne, et voit Kurt Cobain. La clope au bec, il porte de grosses lunettes de soleil, un vieux gilet en laine, et une chemise de nuit volée dans la chambre de Marilyn Monroe. Il semble avoir beaucoup de mal à s'exprimer, mais finit quand même, après de grands efforts, à lancer sa phrase.
"Écoutes Lou, avec tout le respect que je te dois, j'aimerais juste savoir un truc. Je veux bien que t'ailles faire n'importe quoi avec Metallica, mais c'était quoi cette reprise d'Aneurysm?"
Lou Reed explose de rire.
"C'était une version que l'originale n'aurait jamais surpassé, espèce d'ingrat. Est-ce que tu sais au moins à qui tu t'adresses? C'est quoi cette question de journaliste? Et, au passage, en parlant de faire n'importe quoi, tu ne pourrais pas aller voir tes petits copains de Nirvana et leur dire que leur collaboration avec Mc Cartney, c'était vraiment une idée de merde?
-Je peux pas dire le contraire, interrompt John Lennon, face à son piano. Je lui ai pardonné beaucoup de choses, même ses chansons de mamie, mais ça, j'ai toujours pas compris.
-Hey Lou! L'écoute pas! Quand on considère que Sandinista! n'est pas un album Punk, on ÉCRASE!"
Cette voix, c'était celle de Joe Strummer, lui aussi témoin de la scène, assis à l'endroit où il a l'habitude de refaire le monde avec Woodie Guthrie. Lou le remercie, et en profite pour lui dire que sa reprise de Walk on the Wild Side avec The Mescaleros était loin d'être dégueulasse.
"Ha ben d'accord, c'est le clan des lèches-cul à ce que je vois", reprend Kurt avant de partir comme un prince.
William Burroughs, ayant tout observé depuis le début, ne peux s'empêcher de prendre la parole à son tour:
"Je te reconnais bien là, Cobain, toujours à geindre et à froncer les sourcils sans raison. Quant à vous autres, taisez-vous. Vous me perturbez dans mon trip, bon sang!"
Cette intervention provoque un silence immédiat. Les musiciens baissent même les yeux. On est à deux doigts d'entendre "Pardon Monsieur".
Mais ce silence sera de courte durée.
"Le Junky intelligent a raison, fermez-là! Et poussez-vous aussi, j'aimerais saluer mon ami de toujours!"
Lou savait très bien de qui il s'agissait. Cette voix qu'il avait tant critiqué, ce sarcasme qu'il considérait comme de la compensation. Il s'agissait de Frank Vincent Zappa. Se sentant normalement toujours intouchable, il était comme un petit garçon à ce moment précis. Il savait qu'il allait passer un sale quart d'heure, mais d'un autre coté, c'était surement le moment inespéré de crever l'abcès une bonne fois pour toutes.
"J'étais tranquillement en train de boire un verre avec Don, Jimmy Hendrix et Bill Hicks, quand j'ai entendu l'annonce de ta venue. Trop beau pour être vrai. J'ai pensé qu'en plus de tous les Brown Lipsticks que tu croiseras sur ton chemin, ça te ferait plaisir de revoir ma gueule de loser."
Il fait un petit clin d'oeil à Nico au passage. Elle le fixe avec des yeux remplis de haine. Elle se souvient de ce concert au Garrick Theatre à New York en 1967, durant lequel Zappa avait parodié sa performance en jouant derrière son propre clavier. Il faut dire que Frank Zappa n'est pas apprécié de tous les résidents de Cross Road. Son franc-parler et son humour cynique n'avaient pas épargné grand monde de son vivant. Et cela le convenait plutôt bien. Comme le disait Kurt, désormais parti s'allonger à même le sol aux cotés de Mr Burroughs, Il vaut mieux être détesté pour ce que l'on est qu'être aimé pour ce que l'on n'est pas. Lou lâche les bras d'Andy et Nico et s'avance vers Frank:
"Tu ne crois tout de même pas que je vais continuer à rentrer dans ton jeu surtout après...
-...Après avoir retourné ta veste lors de mon introduction au "Rock 'N' Roll Hall of Fame" en 1995? Tu as cru que ça te donnerait bonne conscience?
-Je vois qu'en plus de ton incapacité à travailler avec d'autres musiciens sans utiliser la terreur, tu as aussi du mal à accepter qu'ils fassent des erreurs en dehors de la scène.
-Ben voyons. l'icône prétentieuse qui méprisait tout le monde à la sortie de Metal Machine Music, alors qu'elle aurait plutôt dû se cacher, me fait la morale sur l'amour de l'autre et sur les sentiments humains. Putain, Lou, la seule chose qu'on a toujours eu en commun, c'est la haine des hippies. Le temps qui passe t'aurait fait devenir un des leurs? J'y crois pas une seconde. Quand je pense que tu as approché Moon Unit, ça me donne la gerbe."
Lou s'était quelque peu assagi avec le temps, mais Frank était toujours cet enfant terrible redouté de tous.
"J'aurais aimé te connaitre plus, mais notre fierté et nos réputations respectives ne nous ont jamais donné cette opportunité. Crois ce que tu veux, Frank, je suis fatigué. Ton manque de spiritualité te perdra. Si Cross Road doit nous séparer pour de bon alors laissons le devenir notre Berlin. Si tu penses que j'en ai quoi que ce soit à foutre.
-Comme tu es touchant Lou. Ça compenserait presque ton absence d'humour. Nous ne sommes pas faits pour nous entendre. Je crois que c'était suffisamment clair comme ça sur Terre. Je ne vois pas pourquoi ça changerait ici. Ça a déjà été choquant pour nous tous de nous retrouver là. Il ne faudrait tout de même pas tout chambouler non plus..."
Quand The Velvet Underground ont commencé à se faire connaitre, ils n'étaient que charlatanisme aux yeux de ce savant fou de la musique. Alors que la formation new yorkaise considérait Zappa et les Mothers Of Invention comme des clowns dépourvus de talent. Ce dialogue qui aurait pu être la fin d'une rivalité en est finalement devenu la continuité. Lou avait mis son égo de côté mais celui de Frank était resté intact. Il avait même décuplé. Cet éternel sceptique n'aurait déjà jamais imaginé une option semblable à Cross Road. Il n'a toujours cru que ce qu'il voyait, et ne se permettait des fantaisies qu'artistiquement parlant. Son immense méfiance des autres et sa quête de vérité absolue sur tout ont donné naissance aux pires aspects de sa personnalité, tout comme l'intelligence et le courage de Lou Reed ont contribué au développement de son côté obscur. Tous les génies ont leurs faiblesses. Ça fait partie du jeu.
Il est ici question d'un conflit comme beaucoup d'autres ont existé dans le monde de la musique. D'une confrontation ne dissimulant rien d'autre au final qu'une puissante admiration mutuelle.
Cette guerre était donc vouée à continuer encore longtemps. Très rapidement, des "Battles", "Tournois" et compétitions en tous genres s'organisaient au sein du macrocosme invisible.
Loin de la médiocrité ambiante dans laquelle baigne notre société, je ferme les yeux, et m'isole dans la peau d'un Lester Bangs euphorique, ou encore d'Edgar Varèse et de Delmore Schwartz remplis de fierté face à leurs disciples respectifs, au premier rang lors d'un clash "crossroadien".
Un moyen pour moi d'imaginer l'existence post-mortem de tous mes héros, en attendant de connaître la mienne...
Zappa sans conteste pour son originalité. Lou Reed, ouais, suis pas fan de ce gars, musique triste, trois accords lancinants et des paroles à peine chantées et une rébellion de pacotille. Zappa, sans conteste. Lou reed et tous les snobinards branchés de la Factory, au trou!
· Il y a plus de 10 ans ·arthur-roubignolle
Haha Arthur, certes, la musique de Reed n'était pas aussi complexe et déjantée que celle du grand Zappa. Mais j'aime beaucoup son univers aussi. Ceci dit je peux comprendre le fait que beaucoup ne supportent pas l'attitude du VU et leur aspect arty prétentieux.
· Il y a plus de 10 ans ·Amitiés littéraires, merci d'avoir pris le temps de me lire (ceci est valable pour les autres lecteurs également).
Sandra Cillo