L’un peut-être 4 ans, l’autre guère plus de 2.

mamzellemelly

   Je les vois tous les deux, l'un peut-être 4 ans, l'autre guère plus de 2, emmitouflés dans leur manteau d'hiver, la capuche auréolant leur doux visage d'enfant.

   Comme ils sont magnifiques, avec ce sourire illuminant leur figure reflétant toute la joie connue dans leur jeux de petits garçons ; quelques glissades sur un toboggan transformé pour l'heure en une girafe magique. Elle les laisse glisser le long de son cou pour atterrir dans ce point d'eau où les autres animaux de la savane viennent s'abreuver. Tiens, maintenant c'est une autruche. Celle-ci les emmène sur son dos, traverser la steppe africaine. Ah, comme leurs éclats de rire sont merveilleux. Ils viennent rythmer leur après-midi de parfaite insouciance au cœur de ce square. Comme ils sont, tout simplement beaux dans toute l'innocence habillant leur visage enfantin, assis au bord du bac à sable, un instant, redevenus calmes.

   Comme ils sont heureux, émerveillés, le visage ébloui par toutes les lumières de Noël qui scintillent dans la vitrine d'un magasin. Le front collé à la vitre, leurs yeux étincellent autant que les étoiles qui clignotent méthodiquement. Ils sont la bouche bée d'étonnement, d'émerveillement quand un train électrique sort d'un tunnel avec à son bord de petits bonshommes de neige illuminés, Et maintenant, leurs petites mains applaudissent frénétiquement l'arrivée d'un mini Père-Noël sur son traineau au milieu de quelques sapins miniatures tout enguirlandés de lumières.

   Comme je me sens tranquille, apaisée, heureuse de les voir si enjoués, si émerveillés, si enfants.

 

   Mais je rouvre les yeux que j'avais un instant fermés pour échapper à cette violente réalité qui à nouveau me fout un uppercut digne d'un Mike Tyson, en plein ventre. Ils sont là, en cette heure tardive d'une nuit parisienne, d'une fin de novembre où le froid se partage la primeur avec quelques gouttes de pluie.

    Ils sont là, emmitouflés dans leur manteau d'hiver, la capuche auréolant leur visage d'enfant.

   Ils sont là, près de leur mère qui ne doit pas avoir 30 ans, allongés, endormis sur un matelas, à l'angle d'une rue du sixième arrondissement où le flot de voitures filant sur le boulevard Saint Germain ne vient même pas réveiller ces deux petits anges et leur maman, tous juste protégés par la couette qui les couvre à peine.

   Et là, j'ai envie de me laisser tomber à genoux de toute cette lassitude qui m'envahit de plus en plus, jour après jour.

   J'ai envie de hurler toute cette misère qui crève les yeux autant que le cœur.

   J'ai envie de vomir toute cette injustice, cette inégalité, cette indifférence, cette pauvreté qui obligent deux petits anges, l'un peut-être 4 ans, l'autre guère plus de 2, à dormir sur un matelas posé à même le trottoir, à la merci de tous les dangers.

   J'ai envie de crier ma rage envers ce système qui ne fait qu'enrichir encore et toujours, ceux qui ne savent même plus tout ce qu'ils possèdent tant ils possèdent.

   J'ai envie d'interpeller les gens qui passent, sans même un regard, pour leur demander s'il n'y en a pas un qui pourrait les faire dormir à l'abri.

   J'ai envie de pleurer toute mon impuissance face à cette scène tragique parce que dans quelques heures, je serai sur la route pour retourner chez moi à quelques 500 kilomètres, où mes enfants dorment au chaud, dans un lit.

   Je me sens désespérée de continuer mon chemin sans avoir de solution à apporter.

   Je me sens honteuse de m'être plaint du froid quelques minutes auparavant alors que je serai dans peu de temps au chaud, chez la personne qui m'accueille pour la nuit.

   Et je m'engouffre dans la voiture de mon amie, la bouche pleine de pourquoi et de comment, de colère, d'indignation.

   Mais je tais la douleur qui m'oppresse, qui me ronge, qui me saigne, qui me vide.

   Je suis lasse d'entendre la résignation, la capitulation dans les « Que veux-tu, c'est comme ça, on n'y peut rien. ».

   Je m'en veux de ne plus trouver au fond de moi, l'énergie que j'avais durant ces années où j'ai donné mon temps, où je n'étais pas assez présente auprès de mes enfants, pour me battre contre les inégalités, l'injustice, l'inacceptable.

   Je m'en veux d'avoir abandonné face à trop de murs dressés, trop de portes fermées, trop de rouages bien huilés où j'étais un grain de sable qu'il fallait balayer, trop d'hypocrites, trop de « m'as-tu vu », trop de trop. Je me suis retranchée derrière des excuses dont une seule trouve grâce à mes yeux ; la demande de mes enfants à être là, plus présente avec eux.

   Mais je me sens comme un lion en cage avec, pour l'instant, tous ses os à ronger, empêtrée dans ce sac d'os, entourée de barreaux solides.

 

   Alors que scintillent les lumières de Noël dans les vitrines avoisinantes ; alors que des fenêtres ouvertes laissent sortir la musique et les expressions de joie de ceux qui font une fête ; alors que je sors de cette soirée où l'écriture et la lecture étaient mises à l'honneur avec tout le tralala qu'une telle soirée peut impliquer ; alors que tous ces gens filent sur les trottoirs pour rejoindre leur foyer où leur quotidien est peut-être de plus en plus lourd à porter, deux enfants, l'un peut-être 4 ans, l'autre guère plus de 2, emmitouflés dans leur manteau d'hiver, la capuche auréolant leur visage d'ange, dorment, dehors, dans le froid, sous les gouttes de pluie. Cette scène tragique devient une clé qui va ouvrir cette cage.

 

A l'heure où j'écris tant de questions reviennent en boucle.

   Combien d'enfants dorment sur un trottoir ?

   Combien sommes-nous de lions en cage ?

   Comment cela va-t-il finir ?

   Quand cela va-t-il finir ?

   Combien de mesures, toutes aussi absurdes qu'injustes vont encore démunir les personnes, les familles déjà trop faibles pour vivre un tant soit peu, convenablement ?

 

A l'heure où j'écris tant de réponses « trompe l'œil », tant de réponses qui démontrent l'étendue de cette société malade, tant de réponses qui ne conviennent pas.

 

A l'heure où j'écris, une chose est sûre, il faut que je retourne sur le terrain.

 

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MamzelleMelly

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"La grande erreur de notre temps, cela a été de pencher, je dis même de courber, l'esprit des hommes vers la recherche du bien matériel. Il faut relever l'esprit de l'homme, le tourner vers la conscience, vers le beau, le juste, le vrai, le désintéressé et le grand. C'est là et seulement là, que vous trouverez la paix de l'homme avec lui-même et par conséquent avec la société."

(Victor Hugo)

Discours à l'Assemblée nationale (1848-1871)

Séance du 11 novembre 1848

 

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