Ma bonne étoile, mon ange gardien

regissae

Ma bonne étoile, mon ange gardien

 

Voilà, ça y est ! La gentille dame est à nouveau là, assise sur le fauteuil de la chambre. Elle a ramené un bouquet de fleurs, des roses roses avec du gypsophile blanc, elles n’étaient pas là ce matin. Elle dit que je suis sa mère. Mais moi, j’ai beau fouiller au plus profond de ma mémoire, et de toutes mes forces, je ne me rappelle pas d’elle, ni d’avoir eu un enfant, encore moins une fille. Je lui ai demandé son nom, c’est le même que le mien, SELTZER, je m’appelle SELTZER Nadia et cette femme assise devant moi qui me regarde, les larmes aux yeux, dit s’appeler SELTZER Sarah. Si elle est ma fille, c’est que j’ai dû aimer un homme, son père, mais j’ai beau me tournebouler la tête dans tous les sens, je ne me rappelle rien. Elle me fait tellement de la peine, que même moi j’ai envie de pleurer, de rage de ne plus rien me souvenir !

Elle m’a expliquée, avec l’aide de l’infirmière, que c’était à cause de ma maladie, appelée maladie d’ALZHEIMER, que je ne me rappelai plus de tout. La mémoire immédiate ne fonctionne plus, ni la mémoire à moyen terme, ne subsiste que les faits très anciens, parce qu’ eux seuls restent présents en  nous. Du coup, je ne sais plus où j’en suis, parce que moi, j’ai un peu de mal à m’y retrouver dans leurs explications, car il y a des évènements dont je me rappelle très bien, et cela comme si c’était hier !

Par exemple, je me rappelle parfaitement la guerre ! C’était la deuxième guerre mondiale, on était en juillet 1943, j’avais 7 ans, et tout ce que je voulais moi c’était jouer et m’amuser, même si l’époque ne s’y prêtait pas !

C’était l’été, donc nous n’avions plus besoin d’aller à l’ école. Un peu de liberté en plus, mais à utiliser avec modération, car les environs étaient dangereux, certains endroits étaient minés, nous vivions au rythme des alertes aux bombardements, et il fallait se tenir prêt à tout moment pour regagner l’abri anti-bombes.

Ce matin là, c’était jour de marché et ma mère souhaitait s’y rendre, plus pour la ballade, par ce beau matin ensoleillé, que pour acheter quelque chose de  particulier, car nous ne pouvions acheter qu’avec les bons de rationnement, et à part les produits de base, il n’y avait de place pour aucune frivolité ! Donc, je vois maman qui se prépare, même avec trois fois rien, elle restait à mes yeux de petite fille la plus belle maman du monde ! Et je cours me réfugier dans ses jambes pour qu’elle m’emmène avec elle. Nous évitions de partir en groupe, car en cas d’alerte cela risquerait d’être la fin pour la famille entière, d’un seul coup, décimée ! Or mes parents, s’ils étaient prêts à se sacrifier pour nous, désiraient plus que tout que l’on vive, car au fond de leur cœur, ils avaient l’espoir que ce monde, enfin, se lèverait un matin, dans la paix. Mon père m’avait déjà attribuée une tâche, bien peu motivante, d’aller nettoyer la mangeoire des poules, il fallait qu’on les chouchoute, car elles donnaient des œufs, bien appréciés par ses temps difficiles, même par les soldats allemands, qui venaient parfois nous en acheter. Et comme il faut bien manger, avec une famille de trois enfants, ces quelques pièces supplémentaires étaient les bienvenues, pour la soupe !

Je suppliait maman de m’emmener au village avec elle, comme autrefois, entre filles, rien qu’elle et moi, on se raconterait nos secrets, comme avant la guerre. Maman interroge papa du regard, qui a déjà compris et s’en retourne à son travail en haussant les épaules, l’air de dire faites ce que vous voulez !

Et hop, un petit coup de torchon mouillé sur le visage, et sur les mains, et nous voici partis.

Pour nous rendre à la place du marché, nous devons traverser un petit pont. Avant la guerre, il s’y trouvait toujours un pêcheur ou deux, mais maintenant c’était trop risqué.

La place du marché, bien que jusqu’à présent, préservée par les bombardements semblait bien vide, car les vendeurs ambulants ne se déplaçaient plus et à part un stand du boucher et du boulanger, les étalages étaient plutôt fantômes… Mais il y avait un magnifique soleil, le ciel était bleu, sans un seul nuage à l’horizon, alors maman et moi décidâmes de voir les choses avec philosophie !

Nous nous dirigeâmes vers le boulanger pour échanger l’un de nos ticket de ravitaillement contre une grosse miche de pain noir, qui devait durer au moins la moitié de la semaine. Faut dire que depuis la guerre, le pain était devenu un met essentiel, et s’il n’y en avait pas à table, il y avait alors de forte chance pour qu’il n’y ait rien d’autre à manger !

Maman rencontra une connaissance à elle, qui se trouvait aussi avec sa fille, du même âge que moi. Alors, que les deux mamans se mirent à bavarder gaiement, avec Martha, nous demandâmes la permission d’aller voir les canards au bord du canal, à trois pas de la place du marché. Nos mères, trop contentes d’avoir un peu de temps pour elles, nous y autorisèrent en nous faisant promettre de ne pas nous éloigner, et que d’ici un quart d’heure au plus tard, elles viendraient nous chercher, d’autant qu’elles furent rejointes par de nouvelles ménagères, en mal de bavardages.

Martha et moi nous dirigeâmes vers le bord de la Sarre, espérant y apercevoir un canard et ses petits ou un cygne, mais avec la guerre, même les volatiles avaient disparu, trop heureux de se mettre à l’abri ailleurs, loin de la folie des hommes.

Evidemment, il n’y avait pas le moindre canard ou le moindre cygne, mais nous trouvâmes quelque chose de bien plus excitant pour nous alors !

Il faut remettre les choses dans leur contexte, bien sûr, car l’on était à cent mille lieu de la technologie que connaissent les jeunes actuellement et nous à notre époque on jouait avec trois fois rien ! Ainsi, nous voilà avec chacune une patate en main. La mode de l’époque voulait que l’on y plante une plume, et puis il fallait la lancer en l’air, cela représentait un jouet formidable pour deux petites gamines ! Nous voici donc toutes les deux à la recherche d’une plume : cet endroit était très prisé par les volatiles, il devait y avoir une plume pour Martha et moi, c’était obligé ! Nous voilà donc Martha et moi, le nez dans les buissons, soulevant chaque feuille, chaque fleur, avec à chaque fois l’espoir d’apercevoir cette plume tant recherchée, tant espérée et qui enfin apparu ! Oui, là sous un caillou, deux plumes noires, certainement d’un corbeau, pour notre plus grand bonheur à Martha et moi !

Nous nous empressâmes de planter les plumes dans les patates et voilà notre jouet fin prêt à être lancé dans les airs, pour avoir le plaisir de le voir virevoleter dans l’air, l’espace d’un instant d’insouciance enfantine.

Nous en étions là, lorsque soudainement retentit la sirène d’alerte des bombes. Le temps se figea, jusqu’à ce que nous réalisions Martha et moi que nous devions nous mettre à l’abri ! Heureusement, nos mères n’étaient pas loin, on courru jusqu’à la place du marché où tantôt y régnait une douce quiètude, et maintenant le chaos, avec les cris et les bousculades dans tous les sens. Je cherchais maman des yeux, elle ne se trouvait plus devant la boulangerie. Que faire ? Je suivis Martha, qui couru rejoindre son abri, sous la boucherie, dans la cave. Alors que j’atteignis enfin la porte, la mère de Martha me dit :

-         Non, Nadia, il n’y a pas de place pour toi ici, il faut que tu rejoingnes ton abri, plus

loin, cours, tu as le temps d’y arriver !

Je la regardais dans les yeux, comme si je ne comprenais pas son langage, mais si il y avait encore de la place…

Comme elle me poussa sur la chaussée, je me mis à courir, mon abri se trouvait de l’autre côté du pont et j’entendais les bombes qui explosaient, une dans la Sarre, une sur la place du marché, … Je tenais mon jouet entre mes petites mains de toutes mes forces, et je me dirigeait vers le pont. Il y a avait du monde, c’était la panique partout, nous n’étions pas encore à l’abri. Une bombe tomba juste à côté du pont, dans l’eau et quelqu’un cria :

-         Couchez-vous tous !

Alors que je m’apprétai à m’allonger, ma mère arriva droit sur moi :

- Nadia ! j’ai cru t’avoir perdue ! Merci mon Dieu, viens, dépêches toi, on va traverser le pont !

- Couchez-vous madame, à cause des bombes !

- Non, ma fille et moi on va traverser !

Nous voilà donc, bras dessus, bras dessous, courant à toute vitesse, avec le sifflement des bombes dans nos oreilles, les cris, les pleurs, la peur au ventre, à traverser ce maudit pont !

Ouf, ça y est nous voilà de l’autre côté, encore quelques pas et nous voilà dans l’abri avec papa, Pierre et Mathieu, mes frères aînés. Réunis, pour cette fois, sains et saufs.

Plus tard, lorsque l’alerte a cessé, nous sommes sortis pour constater l’étendue des dégâts : effectivement le pont n’existait plus, il n’y avait plus d’accès à l’autre rive, du moins pour le moment, mais les hommes trouveraientt bien un moyen. Mais pire que tout, Martha était morte. Une bombe avait été lancée sur leur abri et on avait retrouvé la petite fille, morte, tenant son jouet, la pomme de terre avec sa plume, serrée très fort dans ses petites mains.

La vie m’avait épargnée deux fois, je ne savais pas encore pourquoi.

Nadia ouvrit les yeux :

-         Ah ! tu es là Sarah ! M’as-tu apportée des fleurs ? Ah ! oui je les vois là dans le vase.

Sarah se leva, embrassa tendrement sa mère, qu’elle serra dans ses bras pour profiter de ce moment merveilleux où sa conscience était revenue, mais elle savait que ce bref moment de bonheur ne durerait pas.

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