Ma pomme

marie-roustan

Je suis née au milieu du XXe siècle, au coeur du babyboom. D’après ma mère (qui a de bonnes raisons de le savoir), je serais un bébé Ogino. Mon père doit le jour à sa propre mère, qui a réussi à voler un seul enfant à son mari, mon grand-père ; lui, sorti blessé de la Grande Guerre, ne voulait pas courir le risquer d’envoyer un fils à la prochaine boucherie. Voyez la chance que j’ai eue !

Ma première décennie de vie de petite fille timide s’est passée toute tranquille, dans une bergerie d’abeilles, hors du monde de l’école, hors du monde tout court, mais proche de la terre. L’entrée dans le collège public d’une petite préfecture provençale, fut pour moi une effrayante brutalité. Pourtant, il y avait pire, pouvais-je me dire en voyant passer les rangs des jupes plissées bleu marine d’autres filles de mon âge... Autre face des choses, la découverte des auteurs classiques m’y a montré qu’il y avait sur terre une infinité de manière de vivre, bien au delà des aventures offertes dans les Mémoires d’un âne de la Comtesse de Ségur.

Ma majorité, je ne l’ai eue qu’à vingt-et-un ans, comme tous mes copains que je salue. Cela m’a valu de vivre les épisodes les plus poignants de Mai 68, à l’écoute d’un transistor caché sous les couvertures de mon lit, à l’abri de mes parents. Croyez-vous qu’enfin parvenue à l’âge adulte, j’aie cherché à ouvrir grand mes ailes et parcourir le vaste monde ? Que nenni ! J’ai été envoûtée par le regard d’un beau ténébreux que j’ai suivi, ici et là, au gré de ses nominations, ici ou là et puis nous avons eu trois enfants, beaux et intelligents comme il se doit...

Pour assouvir ma soif de connaître, tout était consommable : nuages et étoiles, cailloux et fossiles, insectes et fleurs, livres vieux ou neufs (plus rarement) et tout le reste. C’est ainsi que j’ai tout naturellement cherché à faire parler les morts, ceux qui ont forcément regardé les paysages que je découvre depuis ma fenêtre, il y a très longtemps, mais pas trop quand même. Vous pensez au spiritisme ? Vous vous trompez, il y a bien plus efficace, l’archéologie. Je l’ai découverte à une époque où les archéologues étaient les «auxiliaires» des historiens qui pensaient tous que les « textes » ont plus d’importance que les indices matériels ; un peu comme si, pour une enquête policière, le cadavre et l’arme retrouvée à proximité étaient négligeables par rapport au courrier de la victime. Quarante ans plus tard, les archéologues utilisent pelleteuses et laboratoires performants, mais j’écris toujours afin de faire connaître la vie quotidienne de ceux qui n’ont pas pu écrire.

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