Ma terrasse

la-rose-blanche

-…Je suis fatigué de courir ! J’ai les poumons endoloris. J’ai soif…

-Tu veux boire de l’eau ?

-Oui.

-Dis-moi d’abord si ceux qui te poursuivaient sont partis. Retourne-toi.

-Il n’y a plus personne.

-C’est bien ; continue à marcher. Maintenant tu te diriges vers une plaine.

-Une plaine ?

-Oui. Dis-moi ce que tu ressens.

-Je suis soulagée. Personne ne me suit.

-C’est bien. Je veux maintenant que tu te concentres sur la plaine où tu vas. Tu la vois ?

-Oui.

-Lève les yeux. Comment est le Ciel ?

-Il…il est bleu.

-Décris-le-moi.

-Il est magnifique. Sans aucun nuage. Il s’étend jusqu’à l’infini ; je ne vois ni où il commence ni où il s’achève. Il est bleu comme les yeux de John.

-Qui est John ?

-L’homme que j’ai aimé. Le seul.

-C’est bien. Tu vois le soleil ?

-Non ; il n’est nulle part ; mais tout est clair, limpide, tendre et beau.

-Beau ?

-Oui. Je marche sur un sable de pétales multicolores, prêt à noyer mes chevilles frémissantes.

Daphné se frotte les pieds et se retourne sur son lit de soleil santorin. Le Docteur Samus plissa le front. Vivement que sa patiente oublie la peine qui lui ronge le cœur.

-Il y en a des millions ! reprit Daphné. On dirait que c’est le pays des pétales. Il y en a de toutes les couleurs : blanches, beiges, bleues, roses, jaunes, vert-citron, mauve, ocre.

-Tu ne vois que des fleurs sous tes pieds ?

-Non. Il y a aussi de grosses pierres lessivées et luisantes disséminées ici et là.

-Tu ne veux pas t’asseoir ?

-Non ; il y a tant de choses à découvrir. J’entre dans un jardin.

-Lequel ?

-Je ne sais pas. Je le baptise  jardin d’Edene.

Elle eut un léger sourire.

- Elles sont belles les grappes d’azalée que je vois dans le jardin d’Edene. Elles sont magnifiques les fleurs de Bougainvillier qui s’arcboutent autour du Lac …de Paine.

-Quel Lac ?

-C’est un Lac magnifique ; il est aussi immense et bleu que le Ciel. De l’autre côté, je vois des flamboyants par rangées et des arbres de judée agiter leurs grandes branches sous la brise légèrement humide. Je sens cette brise sur ma peau, elle forme des ondes sur la surface du Lac. Je m’approche de la rive et je plonge ma main dans l’eau. Elle est tiède, parfaitement ce qu’il faut. J’en ressens des frissons de la tête à la plante de mes pieds nus. Ma longue robe blanche traîne dans cette eau claire et pure. C’est merveilleux.

-Dis-moi maintenant ce que tu entends.

-Le vent siffler dans mes oreilles ; les branches crisser dans leurs mouvements ; les pétales  sous mes pieds remuer comme des vagues ; les oiseaux, canaris, perruches, aras macao, s’envoler et chanter les retrouvailles de leur paradis perdu. Je peux sentir l’odeur de leurs plumes, le parfum des fleurs qu’ils sont frôlées, la fraîcheur de leur journées et la pureté de leurs années.

Elle se tait soudain et reste silencieuse de longues secondes. Le Docteur Samus s’avise alors qu’il faudra bientôt la réveiller.

-Je vois une hirondelle ! reprit-elle aussitôt. J’emprunterai les ailes soyeuses de la belle libellule et je la suivrai.

-Tu n’as plus faim Daphné ?

-Non, je soupe avec Dame Nature ; un souper orné de roses et de lys ; un souper de couleurs mêlées et éparpillées ; je goûte aux délices de la terre.

-Il faut maintenant que tu t’allonges, que tu te reposes.

-Je m’allonge sur les pétales au bord du Lac de Paine.  

-Tu as sommeil, et tu vas dormir.

Elle baille.

-J’ai sommeil. C’est beau ici; reposant, magnifique.

-Tu voudrais que ce soit comme ça toute ta vie ?

-Oui.

-C’est bien. Ferme les yeux. Je vais compter jusqu’à trois, puis tu vas te réveiller.

-Laisse-moi encore un peu de temps, s’il-te-plaît. Je veux dormir.

-Un…

-J’entends un concert  de pas doux comme du miel…

-Deux…

-C’est chaux tout à coup ; je crois que je pourrais apercevoir le soleil…

-Trois…

                                                                                                                      ./.

 

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