MA TERRASSE EN TECK
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MA TERRASSE EN TECK.
Une table en balau, bois exotique au rabais, une balancelle qui couine ( il faut absolument qu’elle « couine »), un parasol délavé qui a connu plusieurs étés, un cendrier ébréché ( j’ai toujours dit que je ne le changerai pas puisque je vais arrêter de fumer !), un livre neuf… toujours neuf, quitte à l’acheter en format poche , mais neuf : je veux être la première à l’ouvrir, le feuilleter, le respirer.
Tel est mon coin de paradis.
Dès les premiers beaux jours , il revit : ce sera parfois en mars, une journée par erreur qui laisse imaginer que la saison s’installe, quelquefois en avril après le changement d’heure quand les soirées s’allongent , mais la sécurité voudrait plutôt mi-mai, à l’occasion d’un « pont ».Un pont, c’est une construction qui permet de franchir une dépression ou un obstacle en passant par au-dessus. Un pont c’est un équipement informatique d’infrastructure de réseaux de type passerelle. Il y a une liste de ponts remarquables… Et puis il y a les ponts du mois de mai… Sont qualifiés de ponts les jours ouvrables non travaillés entre un jour férié et un jour de repos… et le mois de mai : c’est festival ! Et Il y a forcément un pont ensoleillé qui permet de soigner sa dépression : « statistiquement parlant » comme dit mon fils matheux, c’est imparable !
Je rejoins alors mon coin de paradis.
Totalement abandonné pendant de longs mois, il m’attend. Sans rancune, il sourit. Il se laisse attendrir : je le brosse, je le savonne, je le lustre, rien de plus, çà lui suffit. Trop, c’est trop, il me connaît, il sait qu’après, si j’en fais trop, c’est que nous ne serons plus seuls, c’est que je frime pour la galerie, c’est que je veux le partager… et çà, c’est pour plus tard.
D’abord un temps pour nous, une trêve bien méritée. Un de ces moments rares qu’on passe à rêvasser, à juste ne rien faire ou peut-être écouter : le paon du voisin qui fait sa roue en criant « Léon!», ce coq névrosé qui ne chante que l’après-midi, le premier chien qui aboie dans le hameau et qui déclenche un concert infernal, et tous ces petits bruits que j’avais oubliés.Ensuite un temps famille, famille petit clan, strict minimum : ne sont admis que ceux qui vivent encore chez leurs parents. Ils vivent… ils mangent et ils dorment chez leurs parents on va dire !! Pour le reste ils passent et repassent, enfin, quand je dis « repassent », je veux dire : ils passent une deuxième fois !! Sinon, ce sont des garçons, des vrais, ceux qui ignorent tout de ce que j’appelle le circuit de la chaussette sale : le truc qui arrive en boule serrée en bas des jambes du pantalon et réapparaît trois jours après avec le-dit pantalon, bien plié sur l’étagère de droite !! Des garçons quoi !! Des grands machins à deux pattes dont la phrase clé est « on mange quoi ce soir ? »
Et là…pas de chance, j’ai rejoint mon coin de paradis !
Mon coin de paradis est au sud, au sud de la France. Et j’adore le sud et le sud de l’Europe… donc le régime crétois arrangé à ma façon: radis-pain beurre, melon-jambon cru, tomate-mozza… au choix ! Ou sinon, tomate-mozza, jambon cru-melon et radis-pain beurre… Voilà mon menu du soir ! Si vraiment je sens pointer l’angoisse de l’affamé, des pâtes au pesto sont envisageables, mais alors demandées très gentiment !Et puis j’aime mon petit clan, j’aime les entendre se disputer, j’aime les voir tourner en rond, j’aime leur proposer des activités désopilantes telle un bon bouquin, des mots croisés, un scrabble ou une partie d’échecs. Je ne vous ai pas dit ? Google n’est pas mon meilleur ami et l’antenne télé est cassée, mais on peut tout à fait utiliser la station d’accueil et les hauts-parleurs sont de très bonne qualité. Bien souvent ceux qui vivent encore chez leurs parents survivent quelques jours au prix de gros efforts et grâce à de longues nuits de récupération.Et nous arrivons à « plus tard » : plus tard, c’est la fête ! C’est RGG-BBQ : il y a les invités permanents, les habitués, les occasionnels et les hors-département !Et tous viennent goûter mon coin de paradis.
Les invités permanents sont des fidèles : Il y a d’abord « ceux qui n’habitent plus chez leurs parents ». Eux, ils n’ont pas de date précise : ils viennent quand ils veulent, ils se jettent dans la piscine à peine arrivés, ensuite ils se servent un pastis, voire une mauresque (mais j’oublie toujours l’orgeat !) et après cette mise en bouche…on discute ! Ils ont plein de qualités : la première, on les connaît par cœur, c’est la famille, c’est le clan, c’est intouchable !. Mais surtout, ils ont un « Titou »: un titou, c’est notre prolongement, c’est une partie de nos gènes en version miniature, c’est la chair de la chair de notre chair, c’est juste exceptionnel ! Pour lui, on peut tout changer, annuler un voyage, arrêter de fumer (enfin…quelques heures !),ranger tout ce qui traîne, retrouver des nuits en pointillé et jouer aux gommettes : pour « un bisou à Mounette » on lui donnerait presque son premier bonbon ! Ces invités là, si on les oublie, ils s’incrustent, on râle… Mais on aime !
En semi-permanent, c’est-à-dire elle donne sa date et on s’arrange , il y en a une que j’aime beaucoup : elle vient, elle reste quelques jours, mais elle ne touche à rien, elle n’a pas le temps . Elle est spécialisée dans le sauvetage des animaux en détresse, du plus petit au plus gros. Les sangliers ne la dérangent pas : ils circulent en liberté, labourent le terrain, mangent le laurier rose, ils ont l’air heureux, elle poursuit donc sa lecture sans remords. Mais le pire c’est la piscine : si elle envisage de se poser sur le matelas gonflable…pfffff…..aussitôt elle doit en descendre, il y a toujours un moucheron qui se noie ou une abeille en danger qui semble nager trop profond. Cette invitée est parisienne : ceci explique peut-être cela !
Les habitués, ce sont les amis. Ils ne sont pas nombreux, mais ils viennent souvent. Quelquefois, des habitués peuvent devenir occasionnels ou inversement…selon les années, les évènements, les ressentis de chacun : pour faire partie des habitués, il faut quand même faire l’unanimité du clan, tous âges confondus : pas si simple ! Mais certains ne changent jamais de catégorie, c’est du solide. Et ce sont les meilleures soirées. Le RGG, petit nom du rosé glacé avec glaçons, ils l’amènent, et le barbecue, même si les côtelettes sont brûlées, ils le trouvent bon. Ils peuvent même perdre à la contrée et repartir avec le sourire : c’est vraiment du solide ! J’en ai connu deux, ils sont venus un soir d’invasion de moustiques ailés, il y en avait partout jusque dans l’assiette et dans nos oreilles : ils ont tout mangé, ils ont osé café, pousse-café et sont même revenus l’année suivante : çà aussi c’est du solide !
La plus grande surprise vient souvent des hors-département : en général ils sont de passage, ils restent peu, ils ont toujours un bateau à prendre ou un périple à poursuivre, mais ils font toujours une halte remarquée et promettent toujours de revenir. Il y a ceux du Nord, ils sont nombreux ; s’ils étaient moins nombreux, ils pourraient faire partie des habitués, mais ce ne sont jamais les mêmes ! Ils repartent toujours avec des figues : c’est bien pour le transit et apparemment dans le nord…çà ne fonctionne pas terrible ! Il y a ceux de Savoie : eux ils se lavent en premier le matin au cas où l’eau chaude disparaisse, et le reste fonctionne bien puisqu’ils ont tout cassé dans la petite pièce intime avant de partir…mais ils vont sûrement revenir : on les enverra faire leur besoin chez le voisin qui a le paon…Il y a eu ceux de Haute-Savoie , ceux des Pyrénées Orientales (ceux là ont changé de catégorie…problème d’unanimité), et puis encore bien d’autres.
Il y a aussi les hors-pays : là, c’est un grand bonheur. Toujours une surprise, toujours des retrouvailles. De très belles émotions et un effet « boule de neige » : une personne, puis un réseau (on dit « réseau social » il paraît !), et on se retrouve plus de trente ans après comme si c’était hier. Les prochains sont attendus cet été : ils viendront d’Italie. Le régime crétois, çà peut marcher ?
Enfin, il y a toutes ces réceptions, ces banquets, ces grandes tablées et ces souvenirs de fête. Il y a le traiteur en retard, le scorpion dans la chaussure, la piqûre de guêpe, la pronation douloureuse sauvée en urgence, l’allergie de tout le visage en grimpant aux arbres…
Mon coin de paradis est une terrasse dans le sud.
Elle est ombragée par la vigne et entourée d’oliviers.
La table est en balau : elle a dix ans : je ne la ponce pas, je ne la vernis pas.
Le sol est en ipé.Je rêve de teck, c’est un peu plus chic.
Mais ma terrasse, elle vaut déjà tout l’or du monde.