Ma terrasse

Jean Pierre Squillari

MA   TERRASSE

Je descendais les escaliers de ma demeure ancienne nichée au milieu des collines en ce début des vacances d’été, les volets de la cuisine du rez de chaussée laissaient entrevoir la pâleur du jour naissant à travers ses lattes de bois couleur lavande. Sitôt mon déjeuner posé sur un plateau, je sortais sur la terrasse faite de carreaux en terre rouge, certains avaient subis les affres de l’hiver et s’effritaient comme un mille feuilles que l’on vient de rompre entre ses mains. Du travail de maçonnerie afin de réparer les menus dégâts étaient programmés pendant ces jours de congés. Une grande table en bois se trouvait face à la porte d’entrée, elle trônait au milieu de la terrasse qui occupait la façade entière de la maison. C’était une belle et grande terrasse.

L’air frais du petit matin me rappelait que, comme toujours dans le midi, lorsque le ciel est sans nuage, la température décroît pendant la nuit. La fine veste en laine posée sur mes épaules gardait encore la chaleur que j’avais conservée de la nuit. C’était l’instant où la nature se réveillait, les bruits, les odeurs, la lumière, tout se mélangeaient sur la terrasse, elle commençait à se réchauffer avec les premiers rayons de soleil qui venaient de poindre derrière les collines. Je dominais le vallon juste devant moi, cette terrasse surélevée par un mur de pierres sèches de cinq ou six mètres, ressemblait à un belvédère au dessus des restanques qui dévalaient jusqu’au fond du vallon. Le point de vue était extraordinaire, les arbres fruitiers et les vignes plantés dans la terre des « bancaous » recouvraient le versant ; les multiples couleurs changeaient au fur et à mesure que la journée avançait.  A l’extrémité de la terrasse, une balustrade faite de briques rouges ajourées sécurisait l’endroit, des piquets servaient de support aux volutes en fer forgé qui traversaient la terrasse en partie supérieure jusqu’à la façade de la maison. Une glycine qui n’avait plus d’âge s’agrippait à ses montants pour s’élargir sur sa partie horizontale. Des grappes de fleurs violines retombaient lourdement au dessus des carreaux ; les abeilles n’avaient pas encore débuté leurs navettes jusqu’à la ruche mais l’odeur des fleurs commençait à embaumer les alentours. Le feuillage faisait un rempart avec les rayons du soleil lors des heures les plus chaudes de la journée. Les jours de canicule, il était agréable de se reposer sur cette terrasse, l’ombre de la glycine et le léger courant d’air qui montait droit du vallon rehaussaient le plaisir de s’allonger sur les chiliennes aux couleurs de l’été. Après le repas, la sieste pratiquement obligatoire permettait de s’y endormir à condition de ne pas être gêné par le chant des cigales.

La maison s’éveille lentement, les habitants, les uns après les autres arrivent, ils n’osent pas interrompre l’intimité avec la nature. Pas de parole, des sourires en guise de bonjour, l’odeur du café et du pain grillé, et les confitures maison suffisent à notre bonheur. Nous profitons de l’instant présent en sachant qu’il ne dure que quelques minutes. Très rapidement la terrasse  deviendra le terrain de jeu des enfants.   

Le soleil est bien au dessus des collines, il commence à chauffer, la veste est de trop, Il est temps de laisser la place à ceux qui préfèrent le lit douillé aux matins calmes. La famille est réunie sous la tonnelle chacun propose des activités, les enfants avalent leur déjeuner puis se jettent sur leurs bicyclettes. Ils ont décidé d’effectuer plusieurs circuits sur la terrasse en évitant de mettre pied à terre. Chacun à tour de rôle décompte le temps afin de pimenter la partie qui ne dure pas des heures.

La matinée s’écoule lentement, la terrasse reprend peu à peu sont calme, telle une toile d’araignée, les chemins convergent vers elle; c’est un passage obligé pour les balades dans la nature et c’est le point d’arrivée des promeneurs qui récupèrent de leur marche en dégustant une citronnade gardée au frais dans la gargoulette sous l’ombre de la tonnelle.  

L’heure du dîner approche, auparavant, rituellement, les carreaux sont arrosés ils reprennent leurs couleurs vives, et craquent sous l’effet de l’eau fraîche semblant attendre ce délicieux breuvage afin de se désaltérer. C’est une véritable fourmilière, chacun s’affaire à dresser la table, les assiettes et plats de famille en céramique aux couleurs de Provence sortis de l’armoire, ornent la nappe brodée. Il fait chaud, les cigales, les criquets et autres sauterelles entonnent de plus belle leurs chants, c’est une véritable cacophonie, les herbes aromatiques distillent leurs parfums. Le dîner n’en finit pas mais nous sommes bien, au bon endroit, les anciens avaient le don  d’orienter les maisons et construire les terrasses, nous apprécions leur choix, en plus de la justesse de la construction ils avaient du goût comme s’ils avaient deviné que bien des années plus tard, nous ressentirions les mêmes sensations.

La journée d’été se passe au ralenti, le soir « tombe » tard en cette période, nous nous retrouvons après le souper, il fait nuit, les lanternes illuminent la partie couverte de la terrasse, l’odeur de la citronnelle provenant des photophores disposés sur le bord des fenêtres afin de chasser les moustiques, embaument ce lieu qui devient féérique. Les papillons commencent la sarabande autour de la lumière artificielle, le chant des grillons a remplacé ceux des cigales, c’est une musique qui est tout à la fois lointaine et proche comme si nous ne pouvions estimer la distance qui nous sépare d’eux. Les murs de la maison jouent parfaitement leur rôle d’albédo, ils restituent le stockage de la chaleur de la journée, à cette heure de la soirée ce n’est pas désagréable.

Il se fait tard, les uns et les autres quittent la table, certains résistent, ils préfèrent continuer des conversations entamées depuis longtemps déjà, lire un livre ou tout simplement profiter de ce début de nuit  à regarder le ciel brillant de mille feux.

Bientôt la raison va l’emporter, la terrasse va retrouver le calme de la nuit, les fenêtres des chambres s’éclairent unes à unes quelques instants, puis à tour de rôle s’éteignent, il est temps de s’endormir du sommeil du juste. Demain est un autre jour…

                                                                                  Jean-Pierre  SQUILLARI

  • belle journée passée avec toi ... j'ai connu ces moments là sur d'autres terrasses et c'était tellement bon ... !

    · Il y a presque 11 ans ·
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    woody

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