"Made in Chania". /concours Word-Trip Air BNB/
personne76
J'étais attendue en fin de journée, mais j'arrivai tard dans la soirée, pour avoir trop admiré le bonheur de ces gens. La nuit tombée n'était pas moins accueillante. Mon hôte sourit à l'ombre que j'étais, et avança dans l'obscurité pour me rejoindre. J'avais pu voir la douceur de son visage, l'amabilité dans ses traits. Elle s'adressa à moi dans un langage universel, en des gestes nonchalants que je compris naturellement. Elle ne me reprocha pas mon retard, je ne pense pas qu'elle le considérait comme tel. Elle prit le soin de me faire visiter la maison, sans empressement, comme si ce devait être ma maison. La blancheur de cet endroit me saisit, elle représentait l'évidence d'une vie sans tracas, elle était la garantie d'une tranquillité émouvante. Et après m'avoir tout montré, elle me présenta ma chambre, dont le lit immaculé était recouvert d'une branche de fleurs rouges. C'était la seule couleur qui tranchait avec le reste de l'atmosphère paisible de cette maison. J'étais touchée par tant de poésie. Elle referma la porte sur son sourire, pour me laisser dans cet alcôve qu'elle avait créé pour moi. Quand je suis descendue pour la remercier de ses attentions, Myrto avait disparue. Mais elle est réapparue le lendemain après le levé du jour pour m'expliquer certains détails qu'elle pensait avoir omis la veille. En réalité, je sentis une once de curiosité dans sa démarche. Sans en avoir l'air, elle me questionna sur mon existence, et parla de la sienne sans retenue. Mais dans nos conversations, un silence persistait, qui me permettait de ne pas les considérer comme des interrogatoires. Parfois, elle servait dans nos verres une liqueur citronnée, entre nos aveux respectifs. Au loin, la vision de la colline où nous siégions se terminait sur un bleu indicible, union du ciel et de la mer. Et puis, je distinguais les bateaux dont les voiles me cachaient le labeur des pêcheurs. Il y avait des enfants qui courraient sur la plage, cherchant à attraper des crabes qui couraient bien plus vite qu'eux. J'ai rejoint le sable chaud de l'après-midi, et j'ai fait la rencontre des récifs. J'ai d'abord nagé seule, pour mon propre plaisir, dans la plénitude de la solitude. Puis j'ai ouvert les yeux, et malgré la démangeaison engendrée par le sel, j'ai découvert des taches de toutes les couleurs. Ces couleurs virevoltaient continuellement autour de moi, puis s'écartaient avec rapidité quand j'essayais de les toucher du doigt. En sortant la tête de l'eau, j'identifiais mieux les poissons, mais ils m'apparaissaient moins chimériques. Je préférais l'aspect qu'ils prenaient quand mes yeux souffraient au contact de l'eau salée. J'ai donc passé la fin de journée dans cet univers, et j'y suis retourné chaque fois que cela m'était possible. Il m'est arrivé d'aller pêcher, de courir à mon tour après les crabes, de nager loin après les poissons. J'en oubliais la réalité de mon existence. J'en oubliais d'être femme, et je devenais sirène.
La curiosité de chaque chose m'envahissait. Je voulais connaître cet endroit comme s'il m'avait façonné, et lui rendre en joie ce qu'il continuait de me procurer. Le sable était plus fin que celui auquel j'étais familière. Il était plus chaud aussi. Mes yeux n'étaient pas non plus habitués à une mer si bleue, si transparente. Rien ne mentait; chaque chose assumait parfaitement la part de beauté qui lui était accordée, et semblait revendiquer une sincérité inédite. Et chacun trouvait sa place dans cette ronde; personne ne cachait son bonheur mais semblait mu d'une volonté de le partager. J'entends encore les rires qui m'avaient appris à rire de nouveau. Devant ce tableau, je suis restée attentive au moindre détail pour tout emmener avec moi, où que j'irai à l'avenir. J'ai emmené la brise, le souffle de chaque chose. J'ai emmené la chaleur pour l'offrir en retour. J'ai emmené jusqu'aux graines des fleurs qui arborent maintenant mes souvenirs. Les jardins fleuris attiraient ma curiosité, et me donnaient l'impression d'avoir participé à leur floraison. L'herbe scintillait encore de la rosée matinale, et pourtant, le soleil brûlait ma peau. C'était une révolution de découvrir autant de pureté, pour moi qui sortait d'un mauvais rêve. Et la réminiscence de mes épreuves passées m'apparaissaient comme une vague plaisanterie. Je riais d'avoir autant souffert, compatissais avec cette personne que j'oubliais avoir été. C'était pourtant moi, qui, hier encore subissais le déchirement d'une rupture, je crois. Mais ce me semblait être lointain, couvert d'un voile blanc comme l'était l'embrasure des fenêtres.
Je me rendis au coeur de la ville pour y découvrir l'architecture sans âge de bâtiments qui disaient leur histoire dans la générosité d'un langage sans mot, instantanément. Ils donnaient l'impression d'une fierté drôle, faite d'une connaissance universelle de l'humanité. Et ils semblaient rire entre eux, se rappelant les tempêtes d'autrefois, et les bourrasques qu'ils avaient essuyées avec peine. Elles se lisaient aussi, ces déchirures passées, dans la pierre maltraitée par la pluie et le vent. Et leur monumentale présence se faisait rassurante, simplement parce qu'ils continuaient d'être là, inaltérables. Je grandis. Au contact de leur poids, je m'épaissis à mon tour. A la lumière de leur sagesse, je compris. Je pris conscience qu'il était bon d'exister plus que d'être, et qu'exister était plus facile que ce qu'il m'avait semblé jusqu'alors. La ville prenait des aspects de cité, tant elle était un lieu de rassemblement et de vie en communauté. Elle permettait à chacun de mettre un terme à ses angoisses intimes dans une dimension de partage et de communion. A l'unisson, les hommes et les femmes, dans une fébrile timidité, s'approchaient les uns des autres pour mieux se comprendre, et se sentir. Les corps me semblaient décomplexés et capables d'une maturité chaleureuse. Les souffrances d'un étaient le lot de tous. Et leur accessibilité seule m'a permis de les envisager de cette façon, sans hésiter quant à leur nature profonde; car ils ne cachaient pas leurs intentions. Il était aisé de les comprendre, et de pouvoir affirmer les connaître, dans un discours si assuré et généraliste. Cette ville m'émerveillait par les multiples influences qui avaient sculpté ses courbes. On trouvait en elle le caractère farouche de l'empire Byzantin, les élégances de la culture vénitienne, et la culture occidentale qui s'insinuait dans les lieux de cultes. Les temples se mêlaient aux monastères et aux chapelles dans une hétérogénéité admise. Le seul Minos régnait sur cette ville comme sur le reste de l'île; le mystère de ses légendes emplissait chacun d'un sentiment de doute salutaire, et la fatalité liée à sa lignée inspirait une probité commune. Je regardais la mer du haut des palais érigés en souvenir du Roi, et je devenais Phèdre l'espace d'un instant. J'intégrai son corps pour revivre son enlèvement, loin de ses terres natales. J'imaginais son dernier regard sur ses collines fauves, alors que le soleil se couchait sur son enfance. Puis, je croyais marcher dans les empreintes d'Hélène qui s'était rendue en Crète au sortir de la guerre de Troie; sa beauté mystique avait due attiser les curiosités les plus éperdues, les plus extrêmes ferveurs.
J'écoutais les gens parler une langue que je ne comprenais pas, et qui pourtant me semblait limpide. J'allais manger seule, mais il se trouvait toujours quelqu'un pour finir le repas avec moi. Après avoir conforté l'hésitation première, nous acceptions des liens éphémères, une discussion intime, puis nous rentrions chez nous. Et si d'aventure, nous nous retrouvions quelques jours plus tard, au hasard des rencontres, c'est avec amitié que nous nous enlacions. Je ne me souviens pas de tous ces noms, mais les visages me sont restés, et je repense à eux comme à des liens magiques. Je passais aussi beaucoup de temps dans cette maison de pierre, à lire ou à dessiner. Elle me fit du bien; sa lourde charpente et ses blocs de pierre m'inspiraient confiance. Dans cette solitude, il ne m'est pas arrivé d'avoir peur, car je me sentais protégé par sa présence. Dans le séjour, la pierre du plafond s'amalgamait pour ne permettre l'accès qu'à une petite table et deux chaises qui se faisaient face pour un résultat tout à fait romanesque. Je m'asseyais dans un fauteuil, et j'imaginais le séjour romantique d'amoureux. Après cette vision, je les voyais partout; cette maison était bâtie pour l'amour, en fonction de lui et pour lui permettre de se déployer dans toutes ses dimensions. Et la vision de ce couple me suivait jusque dans mon lit, finissait par m'en évincer, prise d'insomnie. Peu à peu, la femme prit mes traits, et je me perdais dans la contemplation de leur vie à deux. Plus par curiosité que par envie, j'immergeai dans leur quotidien affectueux. Dans mes promenades solitaires, dans mes rêveries intimes, je croyais les apercevoir au loin, unis l'un à l'autre dans une éternelle fusion. L'idée de cet amour me rendit confiance en mes sentiments, et je pus constater que cette idylle qui ne m'appartenait pas vraiment permit la guérison de mon affect. J'acceptai de reprendre possession de mes émotions.
La veille de mon retour, Myrto vint à ma rencontre sur la plage, un panier à la main. Elle marcha silencieusement à mes côtés, et je ne compris pas immédiatement qu'il s'agissait de ses adieux. Enfin, elle prit ma main, et la posa sur son coeur, c'est à ce moment seulement que je pris conscience du rituel qui était en cours. Elle parla du soleil, me souhaitant d'en emporter dans ma valise, et me priant de ne pas l'oublier. Je souris. Non, je n'allais pas l'oublier, et j'y étais si peu encline que ce que j'avais omis, en réalité, c'était mon départ du lendemain. Je ne pensais plus à partir, et cette idée s'imposa à moi sans que j'ai pu l'intégrer préalablement. Il fallait donc faire ma valise, et quitter la Crète. Mais les préparatifs ne furent pas douloureux, car Myrto apaisait toute anxiété. Nous retournâmes sur nos pas en direction de la maison, toutes deux émues de la séparation à venir. Elle m'aida à parfaire ma valise, et nous nous installâmes sur la terrasse, le soleil couchant, pour terminer ce séjour comme il avait commencé : face à la mer. Nous parlâmes des évènements des dernières semaines comme si nous nous rappelions les souvenirs de temps immémoriaux, avec nostalgie. Myrto me fit cadeau d'un flacon qui contenait la liqueur citronnée que nous avions partagée le jour de notre rencontre. Cette énergie positive me permit de ne pas sombrer dans l'amertume d'un retour à la réalité. Je m'étais défaite des appréhensions qui m'empêchaient de distinguer les différentes perspectives qui s'offraient à moi; la solitude ne me faisait plus peur. Et l'envie de retourner sur le lieu de mes défaites et de mes regrets me saisit; j'étais prête à me transcender.