Un beau jour, et peut-être une nuit ? En Tunisie.

joanna-b

Sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés, comment fait-on pour s'aimer, quand l'amour a décampé, tout le reste de l'année ?

Le voyage devait être court. Parer au danger d'emporter le ronron écrasant de leurs jours sans éclat ; Brice et Line tombèrent d'accord. La Tunisie serait l'espoir de leurs retrouvailles. Les trois heures de vol furent assez courtes pour qu'ils épuisent la durée du voyage, à rêver aux draps imbibés de mer, et à penser au soir où leurs peaux alanguies sentiraient à nouveau.

La maison qu'ils avaient choisie parlait le merveilleux : un choc, pétrifiant sans délai toute idée malheureuse. Les sens de Brice et Line furent aussitôt frappés des couleurs d'une vue, dont la paix, d'emblée étouffa les saccades de leur union branlante.

Cette demeure dont la magie criait «toujours», quand Brice et Line pensaient...«Jusqu'à quand?», allait arbitrer une rencontre décisive. Terni par quinze ans d'affection modérée, l'accord des deux amants sonnait bien, gentiment, comme ces flonflons d'hôtels qui ne ravissent ni ne chagrinent personne.

Les hôtes avaient quitté la maison pour que les vacanciers puissent fêter avec feu et fracas leur première fois en Tunisie. Quand il poussa la porte, le couple découvrit un lieu suant de volupté, des pièces qui réclamaient licence et bambochades, partout des canapés brûlant d'être bafoués. Leur amour n'était pas à la hauteur. Ils le surent aussitôt. Mais ils essaieraient...

Dans une communion parfaite, Brice et Line, accablés par tant d'intensité, ratatinés d'embarras, montèrent décidés à l'étage déposer leurs valises. Ils s'épargnèrent tout commentaire sur le lit triomphant, qui dans la chambre ne laissait aucune place à qui voulait s'y maintenir debout.

Mais rien, en vérité, n'était dans ce charmant logis invitation à la débauche. Mais tout, pour leur regard gâté de désamour, y racontait leur désir décharné. La cheminée disait ces heures qu'ils ne passaient pas à parler, les bougies disposées sur chaque marche conduisant à la chambre, avouaient l'absence d'émoi  au moment du coucher, et le lit… Ce lit qui les fouettait de gêne, comme celle qu'éprouve un couple usé devant une scène d'amour fiévreux, un mardi soir à la télé.

Pour ne pas s'effondrer tout à fait, Line afficha soudain une mine exaltée, ramassa dans une respiration tendue les copeaux de ressources qui ne l'avaient pas quittée, et affectant la joie, proposa une baignade. En découvrant le rivage qui bordait la maison, Line fut aussitôt inspirée. Elle pouvait voir la scène se jouer sous ses yeux : leurs pieds brûlés par le sable cuisant, ils courront jusqu'à l'eau. Line éclaboussera Brice d'une gentille giclée, qu'il lui rendra avec douceur. Elle fera mine de craindre son offensive et d'esquiver ses attaques. S'engagera alors une folle bataille d'eau. A bout de forces, leurs corps haletants s'approcheront. Fragile, elle entourera ses épaules. Fort, il la soutiendra de ses bras protecteurs. Leur souffle retrouvé, elle dégagera sa tête du creux de son épaule, reculera son visage pour lentement lui faire face. Ses yeux, hésitants, rouleront mollement jusque aux siens, puis agiles, zoomeront sur sa bouche. Ils ne cesseront alors d'aller et venir de ses lèvres et à ses yeux. "C'est très sensuel...", pensait Line. Puis enfin, dans l'élément originel, leurs corps tourmentés s'étreindront avec fièvre.

Brice et Line enfilèrent leurs maillots. Le sable était humide et froid. Brice ne comprendrait pas qu'elle se mette à courir. Ils n'avaient pas vu la mer depuis deux ans. Elle pouvait bien patienter quelques secondes encore. Line renonça à la course. Les pieds enfin dans l'eau, elle déroula son scénario. Mais très vite, déconfite, Line comprit qu'il manquait à sa scène quelques indispensables bases: un fond sonore, un coucher de soleil, un contre-jour, et un ralenti soigné pour que les gouttes puissent escorter leurs rires et leurs bousculades.

Quelques jeux de main plus tard, Brice et Line sortirent de l'eau et restèrent sur la plage jusqu'au soir. La journée avait été agréable.

Ils décidèrent d'inviter les propriétaires du lieu à dîner. Brice et Line voulaient se sentir couple. Tous deux face à ces inconnus, ils seraient Un, liés par l'effort à fournir pour qu'un repas soit gai. Par chance, leurs invités seraient laids, bêtes ou malodorants. Ainsi pourraient-ils éprouver, par ce doux sentiment de puissance que l'on peut ressentir face à d'autres, la force de leur lien? Mais les convives étaient charmants et leur union hurla sur Brice et Line.

L'heure de gagner la chambre pointa son nez bourru. Brice et Line savaient qu'ils n'avaient pas envie de faire l'amour. Tous deux avaient longuement pensé à ce moment où se joueraient leurs retrouvailles. Ils avaient espéré que la magie du bord de mer agirait à leur place et leur permette, pour une nuit au moins, de rentabiliser la poésie du lieu. Mais ils savaient les récitants bien trop en-dessous des vers qu'ils auraient dû chanter.

Ils rentrèrent à Paris, heureux de retrouver le cadre blême qui s'accordait si bien au couple qu'ils formaient. L'harmonie était retrouvée.

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