Madeleine et vous

Guillaume Couty

Au début vous lui trouvez une beauté classique mais efficace : les yeux gris, les boucles blondes, les hanches bien tournées, l'œil exercé lui devinant des seins fermes. De taille optimale, sa bouche est élégante, ses lèvres rebondies, humides à différentes heures du jour. Agiles et souples, ses mains, leurs doigts en particulier semblent appartenir au règne végétal ; corallien même dans certaines postures. La question n'est pas là. Très rapidement, dès les premiers jours vous ne la regardez plus d'un point de vue plastique. La promiscuité quotidienne, des heures durant, dans un même bureau, évacue cet effet de beauté que Madeleine produit en abondance et qui fouette encore au visage nombre de vos collègues. Votre présence simultanée dans la même pièce, l'agacement qui en résulte inexorablement dans la durée parfois, le laisser-aller qui finit par venir : on ne reste pas de marbre ou de papier glacé dix heures durant sans faire de pause. L'humanité en somme, dans ses besoins prosaïques martelés jour après jour attendri, comme le ferait le boucher pour une escalope en tapant dessus, toute forme d'enjeu d'ordre sexuel entre vous. Vous n'envisagez pas Madeleine autrement que comme celle qui partage votre bureau. Celle que vous voyez les yeux gonflés le lundi matin, reprendre son maquillage en fin de matinée, parfois embarrassée gastriquement, digérant après le repas, ayant de temps à autre à se gratter ici ou là, comme tout le monde. En somme votre relation est, pour l'heure et à peu de chose près, domestique et asexuée s'il n'y avait sa voix. Un filet simpliste à la première écoute, se révélant lentement d'une dentelle raffinée, anglaise dans le fond, agrémentée d'une rocaille fine de gravillons luisant jusque dans les silences, de la rondeur dans le souffle et des pauses attendrissantes. Quelque chose de sensuel mais enfantin, chaud, sourd, intense. Bandant même, mais la question n'est pas là. Pendant un long moment, vous ne comprenez pas qu'elle vous plait. Le naturel va pourtant bientôt reprendre le dessus.

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