SAUVAGERIE SUR PAPIER GLACE

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Naturel -Artificiel, à la croisée des mondes...

Il était une fois un pays lointain :

 

des fraises au velours goûteux, des criquets qui applaudissent, des tonnelles de Meilland au parfum puissant, des haies fleuries le long des champs, des criquets sur la menthe, le grand silence, le vent, les nuits étoilées de vers luisants, l'herbe haute.

 

Un escargot toutes cornes dehors glisse langoureusement sur le talus après la pluie.

 

Soudain dans le second virage qui mène à la vallée, un être mécanique surgit de nulle part.

Ses pas de fer résonnent sur le gravier de la route. Son armure étincelante rejette au loin les rayons du soleil. La pluie file sur ses plaques inoxydables. Ses doigts articulés ont le pouvoir d'écraser.

 

Il était une fois une fille en désordre : secrète, sauvage, les cheveux toujours décoiffés, le regard profond, curieux de la nature qui l'entoure, de l'écho du clocher qui sonne ses heures comptées. Elle tombe simplement d'amour pour un jeune maître d'école.

 

Soudain sur le papier glacé, une mannequin patinée et colorée, remonte le boulevard. Elle est féerique, mystérieuse, sans émotion, forte et seulement belle. Un artiste du monde urbain l'a parée de perles roses. Boucles d'or et sourire figés, mains soignées, déjà baguées, elle regarde dans le vague, son cou tourné vers la mer.

 

Ses lèvres dessinées suggèrent des rêves merveilleux qui n'ont pas court dans ce monde-ci, elle lui demande de la suivre quelque part ailleurs. Mais où ? C'est ce qui fascine le maître d'école cultivé, elle est faite pour lui, toute parfaite, probablement parfumée. L'autre qui n'est pas d'encre est toute laide à côté, sans la saveur des eaux du large.

 

Il était une fois une fille sans couleur sur les paupières. Elle soigne son cheval. Ses bottes sont bleues, elle a piqué une fourche sur sa brouette, naturellement elle la roule. Elle est trop occupée pour avoir remarqué la mannequin de papier qui s'avance. Elle n'a pas vu venir sur le chemin le robot mécanique. Elle n'a pas su non plus que le maître d'école s'en était retourné vers la ville pour courir ses aventures.

 

Il est Trop tard.

 

La fille sauvage coupe la branche d'un rosier qui a voulu pousser trop haut.

Le mannequin de papier dans sa si jolie main, prend une mèche de la fille en désordre.

 

—    C'est bien joli de respirer ! mais ça ne fait pas une fille. Ce ne sont que de petits battements de cœur sans grande valeur.

 

Elle tire les cheveux de la fille au regard profond qui tombe simplement par terre.

Elle prend la télécommande du robot qui n'a pas le cœur battant et elle appuie très fort sur ce qui commande ses mains.

 

Il est sept heures, le clocher sonne dans la vallée pour la fille sans couleur.

 

La menthe se balance au vent, les criquets chantent une dernière fois pour elle, les haies voudraient lui faire un lit plus doux mais ses jours ne comptent plus, l'être mécanique a serré son cou très fort et plus rien ne reste d'elle que son corps. Mais ce n'est rien le corps de la fille en désordre sans tous ses échos et tous ses secrets.

 

La fille sauvage a perdu son regard, c'est alors un nouveau jour.

 

Soudain, elle s'est dit qu'elle voulait  ressembler au mannequin patinée et la fille de papier en échange a gagné un corps.

 

Au loin, le maître d'école n'en a rien su.

 

Il n'a pas non plus trouvé la mer.

 

Il a acheté une nouvelle revue.

 

La fille glacée y a changé de coiffure mais elle est toujours là, souriante en première page, elle n'a pas d'âge. Son compagnon bionique lui donne une touche technologique, le grand pouvoir de contrôle, mais le maître d'école a lui beaucoup vieilli et maintenant il s'ennuie.

 

Il s'interroge : que ne s'est-il pas passé dans sa vie ?

 

Et la fille qui a perdu son regard, cherche aussi quelque chose, le vague à l'âme.

 

Il est trop tard ?


Le Gallicaire Fantaisiste

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