Mademoiselle.

Myo'

Elle n'a jamais aimé l'école. Le fait d'apprendre ne la dérangeait pas, mais peut-être que cela aurait été plus agréable avec des cahiers secs. Les jeux dans la cour de récréation étaient drôles, quand ils n'étaient pas contre elle. La nourriture de la cantine lui plaisaient lorsqu'elle n'en avait pas dans les cheveux. Seuls les instituteurs étaient gentils, malgré leur manie de toujours fermer les yeux.

L'école était calvaire, tout comme la vie finalement. On faisait mieux que l'orphelinat pour s'épanouir.

Elle ne voulait pas du semblant de futur que les éducateurs lui promettaient. Elle ne voulait pas devenir comme les grands, avec des traits trop durcis pour leur âge. Elle ne voulait pas finir abîmée par la vie.

Elle voulait devenir oiseau.

L'idée avait germé dans son esprit lorsqu'elle avait aidé un vieux monsieur à traverser la route, il y a déjà quelques temps. C'était pendant une journée ensoleillée, qui éblouissait, une de celle qu'on ne voit qu'en plissant les yeux. Il lui avait dit « Merci, Mademoiselle. ». Elle avait compris « Damoiselle » et avait rougi de plaisir. Ce mot possédait, pour elle, un fragment de paradis.

Dans sa chambre, elle s'était contemplée durant des heures. Elle détestait habituellement l'image renvoyée par le miroir. Cette fois-là, elle la comblait de bonheur. Elle inspectait le moindre détail de son visage, de son corps. Ses yeux étaient trop grands pour son visage. Elle avait le regard étonné qu'on associe aux chouettes et des iris perçantes, virant vers le jaune à la manière des rapaces. Son cou pouvait être semblable à celui des échassiers, sa voix fluette était le chant des oiseaux les plus petits. Pour la première fois, son nez lui sembla étonnamment long. Elle regardait ses doigts aussi, fins et redoutables comme des serres. Son corps maigre lui permettait de sentir chacun de ses os et chacun semblait être fait pour voler. Tous ces éléments la rendaient ivre de joie. Elle ne descendit pas manger. De toute manière, elle aurait été incapable de marcher.

À partir de ce jour-là, elle ne se considérait plus comme humaine. C'était une dame-oiselle, rien d'autre.

La dame-oiselle dévorait les documentaires sur les oiseaux, lassait les adultes de ses questions incessantes. La dame-oiselle s'émerveillait face au moindre pigeon et ses cahiers étaient recouverts de colombes.

La dame-oiselle habitait près des montagnes. Ces massifs avaient souvent vu des hommes assassiner leurs somptueux rapaces. Ainsi, un refuge fut créé où on les soignait et les nourrissait. Les meurtres diminuèrent et la dame-oiselle passait son temps libre là-bas. La dame-oiselle regardait les oisillons venant de naître, s'approchait des aigles blessés, nourrissait les vautours. Leurs discussions commençaient toujours de la même façon.

« Bonjour mon beau monsieur, bonjour ma petite dame.
- Bonjour ma dame-oiselle. »

Ils parlaient ensuite de tout et de rien, s'interrompant lorsque l'heure devenait trop tardive.

La dame-oiselle était heureuse et tout était merveilleux.

Et puis, la dame-oiselle apprit la mort de sa mère biologique. Personne ne lui annonça, elle avait été abandonnée trop jeune pour qu'on lui procure ces informations-là. C'était dans le journal, quelques lignes et une photo. Même nom de famille, même yeux trop grands. Le lien de parenté était indéniable. Suicide. Même ce mot ne l'étonnait pas, comme si elle avait toujours su que ça finirait ainsi. La dame-oiselle ne pleura pas, mais dès lors, tout avait un goût de javel et de sang.

La nouvelle mit peu de temps à faire le tour de la ville. La fille-de-la-lâche était montrée du doigt et sa joie d'oiseau ne revint pas. Mais l'enfant-de-l'instable allait la provoquer, la gamine-de-la-morte ne voulait pas perdre cette douce euphorie. Il fallait mettre un terme à ce malheur.

La môme-de-l'orphelinat remonta au refuge, une boîte de couture sous le bras. Les oiseaux l'accueillirent avec joie, s'étant longuement inquiétés de son absence. Mais la fillette-sans-personne se dirigea directement vers le plus grand des aigles, celui qui l'avait toujours impressionnée et il accepta sa requête sans même hésiter. Il lui donna ses plumes et la petite-abandonnée s'attela directement à la tâche qu'elle s'était confiée, sans même être émue par cette royauté ayant perdu toute sa beauté. Il y avait assez de plumes pour recouvrir ses bras et ses jambes, alors la gamine-aussi-folle-que-sa-pauvre-mère se mit à coudre. Cela se fit avec simplicité, c'était un jeu d'enfant. Personne ne semblait voir le sang qui s'écoulait.

L'oiselle se leva, un sourire lui mangeant le visage. Dieu que cette créature était belle ! La Terre n'avait jamais créé telle merveille, conçu telle beauté. Elle venait de l'enfanter et s'en vantera pendant des millénaires.

L'oiselle ne remercia personne, ni ne dit adieu.

L'oiselle sauta de la montagne et le bonheur ne fut jamais aussi pur.

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