Maison de la presse

petisaintleu

Lorsque je faisais du spiritisme, je m'essayais également à l'out of body, la sortie astrale. J'avais lu dans les ouvrages de Lobsang Rampa que pour y parvenir, le corps devait être exsangue de toute impureté. J'étais donc dubitatif quant au fait que je puisse y parvenir. Des pollutions nocturnes venaient souvent perturber cet objectif. Il est toutefois étrange qu'une image revienne sans arrêt. Celle d'un petit garçon assis devant une fenêtre regardant la pluie tomber.

Quelques années plus-tôt, la réalité n'en était pas très éloignée.

Nous habitions juste en face de la Maison de la Presse. En plus  des journaux et des périodiques, elle vendait également des jouets. Bien avant qu'apparaissent les Toyrus et autres rouleaux compresseurs, il n'y avait guère d'autres choix pour y acheter ses Playmobil ou son G.I. Joe favori.

Quand j'en avais marre de mourir d'ennui devant Jacques Trémolin, je m'installais derrière un rideau du premier étage et j'observais les va-et-vient. Mon plaisir était de catégoriser les clients à leur entrée et de parier sur ce qu'ils allaient acheter.

J'avais pu en définir trois types. J'avais lu dans le Quid ce qu'était la sociologie et, sans en comprendre réellement les rouages, je m'évertuais à déterminer un classement à la manière d'un entomologiste.

L'habitué entrait l'air assuré. En général, il ne restait guère plus de deux minutes et quand l'attente en caisse s'éternisait, je le voyais piaffer d'impatience au rythme du galop des canassons dont il venait de valider le pari dans la 3e à Vichy. Episodiquement, j'en reconnaissais quelques-uns qui se montraient plus discrets et sortaient, je ne savais pourquoi, le magazine planqué sous leur manteau.

Le flâneur était une espèce difficile à cerner. Je le traçais par défaut car une fois rentré et s'il s'éternisait au fond de la boutique, il n'était pas certain que je le vois en ressortir. Souvent, je surprenais le gérant en train de faire des moulinets, énervé par ces cafards qui se refusaient d'alimenter son tiroir-caisse.

Le client occasionnel avait le pas traînant. Il prenait le temps de lécher la vitrine que je connaissais sur le bout des doigts. Mais c'était sans compter sur les talents de vendeuse de la femme du patron. Assurément, ils quittait la boutique les bras chargés de paquets délicatement enveloppés d'un papier criard, scotché au-dessus d'un ruban en bolduc et frisé avec la minutie des ciseaux d'un Jacques Dessanges.

Quand j'intégrais Nature et des Crevettes, pour passer d'un commerce en libre-service à celui de la vente assistée, j'ai, à chaque fois que j'étais en vis-à-vis avec un client, retrouvé le petit garçon qui s'ennuyait ferme les mercredis après-midi. Il était à mes côté pour me chuchoter à coup sûr ses préférences et pour satisfaire un peu aussi les envies de jouets dont il avait été privé.

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