Maman

sshaia

J'ai écris ce texte lors de mon épreuve de français au baccalauréat. Nous devions inventer un texte mettant en avant le caractère extraordinaire d'une maman vu par l’œil d'un enfant.

 A Patricia,

 

Soixante années plus tard, le souvenir est toujours intact.

 

Papa allait partir, je ne savais pas réellement s'il reviendrait un jour. Ce soir-là, ce fut notre dernier repas à quatre. Il faisait froid, très froid. Nous ne pouvions plus manger dans le jardin. Le brouillard avait envahi le Havre ; il était, de plus, impossible de voir les maisons des alentours. Nous entendions le vent souffler contre nos fragiles fenêtres, c'était d'ailleurs la seule chose que nous entendions. Un silence absolu régnait autour de notre table à manger. Papa fixait son verre comme-ci ce dernier finirait par bouger sous la pression de son regard. Ma sœur l'observait, le regarde vide.

Je ne voulais pas être là. Je ne voulais pas être là. Je fermais les yeux en priant Dieu de me faire disparaître. Quand je les ouvris, elle était là. Était-ce une réponse du créateur ?

Une marmite de soupe à la main, elle était face à la table. Marchant vers moi. J'étais visiblement le seul à avoir remarqué sa douce présence.

Maman n'était pas la plus belle femme du Havre, mais elle n'avait rien à envier aux autres. J'étais toujours fasciné par sa façon gracieuse de se déplacer. Ses pas formaient, naturellement, une sorte de danse légère. Ses gestes, souples, vifs et précis captivaient souvent mes petits yeux bleus. Il m'arrivait de me demander s'il lui arrivait de répéter le soir, en cachette, avant l'heure du souper. Même une soupe aux choux entre ses mains ne pouvait enclaver sa grâce. Je repensais aux fins d'après-midi où elle venait me chercher aux grilles de la petite école du village. J'aimais aller à l'école pour la seule et unique raison que j'attendais avec impatience le moment où je pourrais la retrouver près de l'arbre sous lequel elle se plaçait dans l'espoir que je la remarque dès ma sortie du préau. Elle portait toujours une robe verte ; il y avait la robe verte avec des pois blancs et la verte à fermeture éclair. Elle disait que le vert était la couleur de l'espoir et de la nature. Elle n'avait que deux robes, nous n'avions que très peu de moyens. Mais cela n'avait, en réalité, aucune importance quand maman était près de moi.

Après ma sortie de l'école, nous allions nous allonger sur les herbes hautes d'un champ dont seule maman connaissait le chemin. Pourtant, j'avais à de nombreuses reprises emprunté ce chemin, mais je n'avais jamais pris le temps de m'y intéresser. Elle aimait me lire son livre préféré, je me souviens encore du nom, Pierre et Jean de Maupassant. L'histoire se passait également au Havre. Elle était pleine de compassion pour Mme Roland, qui selon elle, était une femme unique et délicieusement forte. J'aimais entendre le son de sa voix, aussi douce que puissante. Lorsque maman lisait, vous ne pouviez que l'écouter tant c'était beau. Elle prenait plaisir à changer sa voix selon les personnages, et lorsqu'elle imitait le père Roland, elle prenait une grosse voix grave qui me faisait beaucoup rire.

Maman avait une drôle de coutume qui surprenait souvent les gens. Elle se promenait toujours avec un appareil photo soutenu autour de son cou par un large cordon. A chaque fois qu'elle surprenait quelqu'un en train de rire, elle attrapait rapidement et furtivement son appareil pour immortaliser la joie qui émanait de cette personne. C'était un petit appareil qui ne voulait pas un sou, et pourtant, c'était l'un de ses plus beaux joyaux disait-elle. J'étais toujours surpris de la vitesse avec laquelle elle prenait la photographie. C'était magique. Maman était peut-être une magicienne après tout.

Ce dont j'étais sûr, c'est qu'elle était l'une des plus grandes exploratrices de sa génération. Maman avait beaucoup voyagé, et elle me ramenait souvent de précieux trésors de ses longues aventures. Lorsqu'elle est partie à Paris, elle m'a ramené une grande carte de la ville. J'étais très fier de la montrer à mes petits camarades de classe, et ils étaient très jaloux. Quand elle est allée à Venise, elle est rentrée, sourire aux lèvres, avec un vrai bandana de pirate que je porte encore aujourd'hui. Des années après.

 

Ma mère a marqué mon enfance. Chaque jour passé avec elle est gravé dans ma mémoire. Je me souviens de tout. De ses longs cheveux marron qui devenaient dorés sous les rayons chauds du soleil. Ils ressemblaient à de l'or. Je me souviens de ses yeux bleus, Papa disait qu'elle les avait volés à l'océan. Je me souviens encore de ses lèvres rouges qui laissaient, à mon grand désespoir, une trace rougeâtre sur mon visage, ce qui la faisait rire contrairement à moi. Je me souviens toujours de la tâche de naissance qu'elle avait dans la nuque, elle ressemblait à un petit cœur. C'était extraordinaire. Je me souviens aussi de son rire magique ; quand elle riait, tout le monde riait avec elle. C'était magique.

Je savais que maman était magicienne, je le savais.

 

La sonnerie de mon portable vint mettre un terme à ces doux souvenirs de mon enfance. Regardant une fois encore le portrait de maman le jour de ses 43 ans, je fus surpris de sentir une larme chaude venir caresser ma joue. Me levant, portable à la main, je sortis de mon bureau pour rejoindre mes collaborateurs qui m'attendaient depuis une bonne demi-heure.

Soixante années plus tard, le souvenir est encore intact.

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