Maminette

Camille Agard

D'autres dimanches, on allait chez elle pour la galette. Je n'allais jamais sous la table, mais j'imagine que le sol était aussi moelleux que les genoux de Maminette.


Quand j'étais petite, Maminette était la grand-mère des petits chevaux. La grand-mère en cachemire qui sent le parfum. La grand-mère qui ronronne et qui vous offre des choses sans anniversaire.


Elle arrivait doucement les dimanche midis, deux paniers débordants au bout des bras. On avait eu le temps de faire le poulet rôti et les patates du marché. De mettre le couvert, de donner à manger à Zazou, de jouer du piano et de se disputer. En plein trafic, elle se pointait comme une feuille d'automne qui tombe en Décembre.

Je crois qu'on ne parlait plus avant d'avoir découvert les trésors qu'elle portait dans ses sacs. Je rêvais d'avoir une Barbie, ma sœur un lapin, mon frère, des petits soldats.

On fixait les cabbas pendant que les adultes s'embrassaient et conventionnaient.

Je crois que dans ces sacs il n'y a jamais eu ce que l'on expectait, mais on y croyait encore, tous les dimanches. Elle sortait tranquillement des boîtes de gateaux qui seraient terminées le soir-même, et des chaussettes chaudes, et des gilets doux, et des savons.


D'autres dimanches, on allait chez elle pour la galette. Je n'allais jamais sous la table, mais j'imagine que le sol était aussi moelleux que les genoux de Maminette. L'enfermement chez elle, nous rendait surexcités. On finissait par se taper dessus, par hurler, par rire nerveusement. Les adultes décrétaient soudain : « On sort ». J'ai toujours cru qu'une fois, on se retrouverait dans les tribunes de l'hyppodrome qu'on voyait depuis le balcon. En fait, on allait glisser sur le tobbogan chat, immense et rouge. Ca me donnait envie de vivre en appartement. J'ai eu le malheur une fois de le dire aux parents qui avaient l'air surpris et déçus. Je trouvais ça vieux de vivre dans une ferme, et tellement plus moderne de vivre en ville. Un jour j'ai changé d'avis mais je continue à apprécier les fauteuils confortables des arènes, et la nouvelle cuisine, et les aimants du frigo.


Je me souviens être tombée amoureuse d'une petite brosse à ongles en forme de crocodile, chez Maminette. Ca a tout à coup été mon rêve de pouvoir m'en servir. De pouvoir l'avoir. Je suis allée dire « Maminette, j'aime ta brosse crocodile ». Elle me l'a donné : j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Et ça n'était pas des larmes de crocodiles. C'étaient des larmes de regret et de honte. Je pensais « je suis en train de lui voler sa brosse crocodile, elle ne pourra plus se brosser avec son crocodile ». J'imaginais la tristesse que ça pouvait être de ne plus utiliser sa brosse crocodile personelle. Je trouvais Maminette si généreuse, et je me trouvais si culotée. Je n'ai plus jamais dit à quiconque que j'aimais sa brosse crocodile.

Les années suivantes, les adultes me parlaient de ma crise du crocodile avec un détachement d'adulte, mais ils ne savaient pas que je pleurais toujours en me brossant les ongles. Pour me consoler, Maminette s'était racheté une brosse à ongles chien, mais je n'étais pas dupe et j'avais compris qu'elle était bien plus moche que la croco.


Les bisous qu'on donne à Maminette sont cotonneux. Petite, je me méfiais pourtant de cette douceur à cause de son araignée. Elle m'a expliqué plus tard que cette araignée vivait sur son menton depuis longtemps, qu'elles s'entendaient bien et qu'il ne fallait pas que je craigne une potentielle transmission d'araignée sur mon menton à moi. Depuis, je lui fais des bisous normalement.


Maminette cuisine la coca et les cakes. Elle aime Julien Lepers et les autres célébrités de télé 7 jours. Elle connait Question pour un champion par cœur et elle sort les répliques avant qu'elles arrivent. Elle pose toujours un ours en peluche sur ses coussins après avoir fait son lit le matin. Elle a de l'or dans le cou et sur ses doigts. Elle raccomode les bêtises en tissus de mon père. Elle utilise cet aspirateur manuel de table qui n'existe que chez elle. Elle s'endort devant les films en ronflant très fort, et se réveille d'un coup. Là, elle vous rassure en disant « Je ne dormais pas ! ». Ca nous rassure. Elle confectionne des boules de Noël moelleuses et joue parfois du piano. Elle gâte les enfants avec définitivement le même entrain que l'enfant concerné.


Enfin il paraît maintenant que je suis grande, et qu'elle aussi est encore plus grande. Elle reste ma grand-mère en cachemire qui sent le parfum. La grand-mère qui ronronne et qui vous offre des choses sans anniversaire. La grand-mère des petits chevaux. Je dois dire que la seule chose qui a changé avec Maminette depuis ces années, c'est que je ne pleure plus si elle m'offre des crocodiles.

  • Le thème me parle beaucoup. Comme toi, les grand-mère, éternelle source de tendresse...
    Merci pour ce texte
    Si ca t'intéresse j'ai moi-même écrit beaucoup sur le sujet (je te conseille le poème "Mamie tristesse")
    Je crois que nos mamies se ressemblent toutes un peu ;-)

    · Il y a presque 10 ans ·
    Jardin des plantes 037 195

    lilaa

  • J'avais juste envie de dire... merci.

    · Il y a presque 10 ans ·
    248407193 78b215b423

    ellis

Signaler ce texte