Manifesto

rosam

La première danse de Salomé


Tu es terne au milieu de cette argenterie.

Es-tu perdue ? Seule, effacée dans tes chimères. Encore ailleurs, on oublie ta présence.

Que diable fait cette fille ici ?

Lasse, tu n'écoutes plus les blâmes des juges.

La coincée s'incruste à une fête…

Ces voix font échos.

Prouve leurs que c'est faux. Révèle la prédatrice qui sommeille en toi.

Dans tes mains gît un verre de champagne. Les bulles invoquent les astres.

Tu envies les princesses et leurs bijoux qui se dandinent.  

Et si tu changeais les rôles ?

Brime les illusions.

Montre que tu existes. Que tu n'es pas une statue.

Approprie-toi de ce monde inconnu. Reflète ta lumière sur la boule à facettes. Éblouis la lune et les projecteurs.

 

Le son résonne.

Lestement, ton cœur bat. De plus en plus fort, il tape ta cage thoracique. Pas à pas, la musique t'entraîne. Tu réponds à l'alarme.

Tu sollicites les séraphins.

Tu t'engages sur la piste de danse.

Tu t'articules évasivement, anime faiblement tes membres. Un échauffement. Personne ne te remarque.

Elle n'a aucun intérêt…

Tu te laisses imprégner du tempo. Tu adoptes la cadence, ancres le rythme dans tes veines. Ton sang s'agite. L'alcool s'impatiente.

Il est temps de te manifester.

Tes talons cinglent.

Tu te déchaines et enchaînes les pas.

La volupté et la sensualité s'éveillent avec véhémence.

Trop sage. Aucune personnalité. Aucune envie.

Ton corps tance tes tangibles caprices.

Toupie, tu tournes et tourbillonnes.

Indolent, ton jupon se soulève et dévoile de longues jambes d'une aveuglante blancheur.

Tu fléchis fougueusement tes cuisses. Ton bassin ondule et gondole. Ton déhanché enchante.

Ta mascarade parade ton innocence.

Ta robe rouge s'embrase, et, de ses plis, disperse la pénitence.

Elle ne s'exprime jamais. Obéit sottement.

Tu claques des doigts, orchestres la mesure.

Tu t'armes de charmes. Tu chasses les chairs qui t'entourent.

Ta poitrine s'affole sauvagement. Ton encolure se trémousse.

A chaque souffle, tu abolis les interdictions. Tu transgresses les règles d'Eden. Ce soir, tu jouies d'une liberté inassouvie.

Ton ombre ne suit plus tes courbes folles. 

Tellement prude, si ringarde.

Ivre de vengeance, tu regrettes le temps perdu.

Tu serpentes et suscites la tentation.

Tu voiles les sept pêchés.

Tu renverses ta nuque, exhales ton parfum.

Suavement, ta langue répand le venin le long de tes lèvres charnues.

Eclate ce cri.

Aucun charme…

De tes taches de rousseurs jaillissent des étincelles.

Tes profonds yeux noirs dévorent d'ardeur. Tu consumes le regard des courtisans.

Médusés, tu les attires et les envoûtes dans ta sorcellerie.

Crescendo, tu blesses et montes la fièvre.

D'un geste lascif tu détaches ta toison flamboyante. Ta crinière rugit dans cette jungle. Tu domptes les fauves.

Tu attises la fatale flamme du désir. Ta réputation n'est que cendre.

Tu célèbres la nouvelle nuit.

Ta danse est sacrée. De marbre tu es devenue nymphe. Tu exécutes un spectacle dans cet amphithéâtre de satyres prosternés.

Tu détrônes Terpsichore et honores l'or.

Ton nom est Salomé !

Qui voudrait d'elle ?

Tu achèves ton rite. C'est l'heure du sacrifice.

Sultane, tu élis la tête que tu désires.

Signaler ce texte