Marchmala ne reviendra pas

Pascal Mess

Marchmala souhaite quitter cet objet, celui qui lui colle à la peau depuis si longtemps. Mais pour cela il faut qu'il accepte d'en payer le prix.

Marchmala ne reviendra pas, c'est promis, juré.

Pourtant, cela fait longtemps qu'il souhaite quitter cet objet. Qu'il souhaite, oui, mais qu'il aime tant, aussi.

Trente ans déjà, qu'il l'épouse, de son dos. Et son dossier, de mousse et de tissu, s'incorpore, dans ses pores. Il est déjà trop tard, Marchmala ne reviendra pas.

Ils en ont vécus des aventures, des chiures et des pures. On ne se sépare pas facilement de soi-même, même d'une partie, bien qu'on ne soit pas le même que trente ans plus tôt, l'identique de deux jours avant ou 48 heures pendant.

Marchmala ne reviendra pas, et il pleure. Ancré comme dans une colonne, aspiré comme par un iguane, jauni par l'âge et les escarts, il ne compte plus sur l'espoir, même d'un soir.

L'homme s'agite, voudrait, ne pourrait, serait, mais n'est pas, l'ombre seule du courage , allez, un peu, non, trop tard.

Il entend les oiseaux, dans son dos, derrière le dos, du fauteuil, sous la fenêtre, il y a un nid, depuis trente ans, et tant d'oiseaux, qui crient, dans le nid, et d'enfants dans la cour, le préau de l'école.

Et la musique reprend dans sa tête, joue la fête, se trouve bête, de ne pas être, pour lui. Loupé encore, que des tords de vouloir partir, d'être resté, bouche bée, comme pour vouloir dire, et ne rien faire, ni défaire.

Il vérifie, les bras peuvent bouger et la tête tourne, chance. Et les pieds, que disent ils, une promenade, non ils ont perdus l'habitude, happés, par l'inaptitude.

C'est que si l'on bouge trop, on peut s'envoler, on le dit, mais on le fait pas, pas forcément, pas tout le temps, ah quel temps aujourd'hui, un temps à ne pas bouger.

Un dernier effort, un dernier déport, sur le côté, et zut, sans but, on a toujours tord. Et les oiseaux chantent, Marchmala déchante, une question le hante:

S'il tente, sous une toile, tendue, de se prémunir, et en même temps, cherche à vivre, ou entendra t-il les enfants s'égosiller, il a déjà reposé ses bras, il est trop las. Là depuis trente ans, que de dents perdus, de vins en fûts, entier les étés, ses préférés.

Il ne prend que peu de place, celle en face de la glace, et laisse aux autres, tout le reste, même la peste, et il sourit. Il est là, dans le coin, aussi grand qu'un poing contient, mais rien. Il ne se passe rien, et son dos pleure, de chaud, d'être dans un étau, fondu dans la mousse et le tissu.

Marchmala ne reviendra pas. Il est déjà là. Aller là-bas pour se retrouver là, çà n'a pas de sens, il pense:

"Quand même, j'aurais bien pris l'air, j'en aurai rendu un peu, juste un peu, celui du courageux, pas celui du peureux, surtout, ne pas être heureux, le temps est pluvieux, et je me sens si vieux. Trente ans déjà, et pas un bras, dehors, pas la tête tournée vers le dehors, c'est quand même un peu...fort."

Depuis quelques jours, il sent le moisit, cherche et cherche d'où çà vient, ne trouve pas. Rien d'étonnant, chez lui l'endroit a toujours été étranger de l'envers, un peu comme marcher sur la tête, mais en plus étrange.

Puis tout d'un coup, comme un déclic, d'idée, de gâchette, sa tête fait face à la face qui dit, oui, c'est sûr, Marchmala ne reviendra pas, et c'est bien comme cela.

Il le sait, dans le dicton du dira, dit et dira sont pareils.

Il sent vraiment le moisi, il faut couper la branche, le dos, la partie qui gêne la vie, précipite la mort, et fait corps avec le dossier du fauteuil, qui sépare des cris des oiseaux, des enfants, sous la fenêtre, dans la cour, le préau.

Et saute la vie, embrasse la mort, d'un lever, d'emblée, s'arrache le dos, du dossier, çà fait si mal, c'est tellement bon, cette fin début et ce début fin, enfin.

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