Marie Amwatjé

simone-a

SYNOPSIS

Il y avait, il y a Agiluf. Avec son sourire magnifique, son comportement de petit con, ses cils de Bambi, son comportement de petit con, son intelligence, ses jolis messages, et son comportement de petit con.

Il y a, il y avait Louis. Ah, Lui… Ce ne sera jamais fini, c’est l’amour impossible, nous n’avons pas les mêmes rêves, il m’a rendue violente, et alors, c’est normal, c’est ça la passion. La police, l’hôpital, ouais c’est ça la passion, c’est quand la fonction publique est obligée d’intervenir à un moment de l’histoire, non ? Louis. Et vas-y qu’il m’invite à boire un café par-ci, une bière par là, mais non, il ne peut pas rester parce que ça lui fait mal, parce que quelque part on s’aimera toujours. Quelque part, mais où ça ?                                    

Il y a, il y avait Luc, le plan Luc, l’obsessionnel, le minet adultère, le maniaque de la métisse, celui qui aurait trop aimé être noir, celui que tu ne sais pas trop ce que tu lui trouves, mais tant que t’as pas trouvé, il fait bien l’affaire.

Il y a, il y avait Thomas. Je le piste, je le harcèle, Thomas, tant que je ne comprendrai pas pourquoi, il entendra parler de moi.

Il y aura aussi Samuel, une connaissance de comptoir, qui s’est inspiré de moi pour son premier roman. C’est flatteur, certes, mais impossible de répondre à ses messages depuis la lecture du mot « vulve » en page 38.

Les satellites.

Tous, et c’est addictif, je les fuis, ils me suivent, je les suis, et qu’est-ce qu’ils me soûlent.

 « Au suivant ! » dirait l’autre. Seulement chez moi la suite, c’est l’entrée, et le plat de résistance a déjà été mangé en dessert. Et je n’aime rien tant que l’apéro.

La Marie Amwatjé que je suis s’endort en comptant les relations à points-virgules. Mais s’endort seule.

Il y a donc aussi ces matins où je dois me mettre une telle couche d'anticernes que mes paupières inférieures ressemblent à deux tartines de Nesquik.

Chauffée-échaudée-réchauffée.                                              

Est-ce que mon emballage serait si différent du ramage, le contenant du contenu? Ne serais-je qu'un joli ticket à gratter qui n'afficherait toujours que des *ZERO*.

Suis-je "Nulle si découverte"?

Marie mouche-toi, là.

Et puis il y a ce jour où Caro, mon garde-fou, l’amie plus âgée, la voisine de Grand-mère Alzheimer, celle qu’on visite pour les vacances, se casse le bras droit. Le bras droit, celui qui la rattache à son téléphone.

Je décide de filer là-bas quelques jours, là où il n’y a pas d’ex, pas d’inconnu du bus, ni de chéri de Lavomatic, loin de tous ses baltringues. Prendre soin de mes femmes un peu, l’amie et la Mamie, Bras en compote et Mémoire en gruyère.

Et là, le recul, le déclic !

Au retour, règlement de contes général. Allez hop hop hop ! Faut que ça dégage, que ça s’éclaircisse, peloton d’exécution.

Je me fais le film dans le train du retour.  

Waouh, ça va faire du bien!

-       Agiluf ?

-       Oui ?

-       T’es un p’tit con, blablabla pourquoi tu me traites comme ça blablabla ? J’ne suis pas contente, hein !

-       Mais oui, tu as raison, j’ai beaucoup réfléchi, je ne suis qu’une merde blablabla, excuse-moi.

-       Louis, t ‘arrêtes de me relancer pour rien et de te foutre de ma gueule ?

-       Ok.

Pourquoi ça ne se passerait pas comme ça, d’abord ?

De toute façon, à la fin du bouquin, il en restera un.

Mais juste un.

CHAPITRE 1. Amwatjé moi.

Fous moi ça à la benne, elle va me dire Caro.

Armée d’une patience insoupçonnée, et à grands coups de points d’interrogation/exclamation, j’arrive même, pour une fois, à laisser des points de suspension, je cours après Agiluf depuis de longues semaines.

Tellement cette fois, j’ai envie que ça marche.

J’ai résisté à user de mes poings, à dormir devant sa porte, ah ça non, plus jamais on m’enverrait les flics… Genre les cow-boys ils débarquent, ils se mêlent de ta vie privée, les voisins sortent sur le pallier…non, non.

La patrouille de la dernière fois avait été correcte cela-dit…si, si.

Oui, moi, Marie-Simone Amwatjé, je pouvais faire peur, et au fond, je n’en étais pas peu fière.

Ca me fait penser, que quand je recroiserai Louis, il faudra que je le remercie, c’est vrai quoi, il a juste déposé une main courante, je retiens, c’est plutôt sympa de sa part.

J’ai envie que ça marche…

Mais là, en attendant, c’est moi qui marche, traversant une fois de plus mon quartier qui craint. C’est ça qui est pratique avec Agiluf, c’est que chez lui-chez moi, ça se fait rapide à pieds, c’est dire s’il est super.

Agiluf est un prénom, absolument.

J’ai claqué la porte, ai descendu l’escalier doucement au cas où l’idée géniale de me rattraper lui passerait par la tête, puis j’ai fait mine d’accélérer dans la cour au cas où il regarde par la fenêtre. Je dis bien « fais mine d’accélérer» : tu marches doucement, mais vu d’en haut, du 4ème étage par exemple, on dirait que tu vas vite, grâce à un jeu de bras savamment étudié, c’est très efficace, c’est mon Moonwalk à moi.

 

Ils ne te rattrapent jamais, ces cons là, elle va me dire Caro.

Il est trois heures. Ah oui quand même… Il a un truc Agiluf, avec le chiffre 3 ou quoi… Il n’y a pas longtemps, il a disparu pendant 33 jours. 33 jours, c’est long. Je m’étais fait à l’idée qu’il avait disparu, ça y est, c’est foutu, et puis non, je lui avais écrit. Agiluf, tu me fais penser à un film de David Lynch : j’aime mais je ne sais pas pourquoi, je ne comprends rien et manifestement je ne suis pas la seule, je me dis à chaque fois qu’à la prochaine fois tout sera plus clair. Mais mon gars, toi, je ne vais pas attendre que tu sortes en DVD. J’avais touché sa corde cinéphile, il avait donc rappelé, hein, on n’allait pas en rester là.

Le patronyme Amwatjé me sied à merveille depuis toujours.  J’ai en effet une propension naturelle à avoir le cul entre deux chaises et les pieds dans le même sabot. Il m’arrive souvent d’être à moitié amoureuse par exemple, en ce moment par exemple, oui en ce moment-même, je suis environ cinq fois à moitié amoureuse. J’ai bien conscience que ce n’est pas banal (comme elle dirait Caro).

Les exemples (véridiques) choisis par le dictionnaire, vous laissent imaginer à quel point quelqu’un qui porte ce patronyme depuis la naissance ne peut-être qu’une éternelle insatisfaite.

- Cela est à moitié pourri.

- Le tonneau est à moitié vide.

- La bouteille n’est qu’à moitié pleine.

- Il est à moitié ivre.

- Ce qu’on vous a dit n’est qu’à moitié vrai.

Mon père s’appelait Parfait Amwatjé, ça ne s’invente pas. Je ne sais pas grand chose de lui à part qu’il était noir. C’est à cause de lui, que pour me démêler les cheveux, il me faut deux jours de RTT.

Mais là, je m’en fous, je suis au chômage.

Au collège on m’a longtemps appelée Alf. Parce que à moitié = half. Ou peut-être parce que j’étais légèrement très moche aussi.

Il y avait à la même époque le beau gosse du fond de la classe qui me répétait tous les matins « Marie-Simone, vient que j’te ramone ».  Je lui répondais inlassablement « mais arrêêê-teu ! »

Si j’avais compris à l’époque, j’aurais peut-être balancé « attends, j’arrive ! », mais ça c’est une autre histoire.

Comment il s’appelait déjà…Tiens, il faudra que je le « googlise ».

Amwatjé  vient d’Afrique de l’Ouest, de la Volta Reine exactement. Oui, la Volta Reine. Volta est le fleuve qui passe par là et le pays a la forme d’un rein, d’où son nom.                                                                          

Ils se sont bien amusés ces colons en découpant l’Afrique avec une roulette à pizza.

Ils auraient pu pousser le délire un peu plus loin : un rein ça a une forme de cacahouète. Et la Volta-Cahuète, ç’eût été chouette, hein !

Marie-Simone Total, c’est comme ça que je me suis longtemps fantasmée, avant le 12 décembre 1999, et le naufrage de l’Erika.

Je dis ça en passant, faut m’appeler Marie tout court, merci d’avance : mon prénom, c’est comme tout le reste, je ne l’aime pas complétement.

Bon, je l’appelle Caro, il est tard mais il faut absolument que je lui vocifère le Neeeext ! de circonstance. Next, dans notre langage, ça veut dire (écoute moi pendant ¾ d’h, je suis encore tombée sur un connard, j’ai envie de me plaindre, faut que je passe à autre chose, et je m’en fous que tu te lèves à 7h demain matin)

- Wesh ?

Avec Caro, on a gardé nos tics de langage ado. Quand on sera vieilles toutes les deux, elle avant moi, qu’on fera de la coloc’ (c’est l’avenir, la parade aux maisons de retraite, on discute souvent de ça avec Caro, parce qu’elle s’occupe des vieux), je pense que nous continuerons à dire Wesh ?

- Neeeext ! Je lui dis, donc. (Et ça, j’espère sincèrement qu’un jour on le dira plus)

- T’as raison !

Tiens tiens, elle ne me parle de la benne cette fois-ci… Sait-elle déjà que, malgré tous ces conseils de sage, je vais encore choisir la poubelle jaune, et que le Agiluf, je n’ai pas fini de le recycler ?

- T’es en voiture, là ?

- Oui, je rentre d’une soirée. C’est la merde, y a du verglas.

Attends, je lui dis, j’ai un double appel.

Luc.

Luc, ça lui va bien, son prénom, si toutefois on le lit à l’envers. Il se manifeste à peu près une fois par mois, quand il rentre de soirée, et qu’il n’a rien trouvé de mieux à se mettre sous la dent.

Et que sa copine est en vadrouille.

Je l’ai rencontré dans mon job dans un centre d’appels, c’était mon superviseur.

Super viseur, ça lui va bien aussi…

Il a vécu aux States, c’est là qu’il a rencontré sa meuf, tu vois, elle vient des States, tu vois c’est là qu’il a appris les techniques de Management, tu m’écoutes ?

 

A mon avis, il est rentré en France parce que contrairement aux Etats-Unis, on ne te demande pas de t’engager par écrit à ne pas avoir de relations sexuelles avec tes collègues.

En France, de telles clauses sont interdites. Les entreprises n’ont pas non plus le droit d’inscrire une telle interdiction dans le règlement intérieur. J’ai appris ça dans L’amour au bureau, la très très très mauvaise idée. Que j’ai lu un peu trop tard.

Allo ? Un brunch demain midi…euh…ouais passe vers 13h. Ok, bonne nuit.

Luc, c’est le bruncheur, l’homme de l’après-midi.

Au moins demain, je penserai moins à Agiluf.

You-pi.

Mise au point : J’ai l’air, comme ça d’être une jeune femme de peu de vertu, mais moi au début, quand j’ai commencé à fréquenter Luc, je ne savais pas qu’il vivait avec quelqu’un. Et après, quoi après, que celui ou celle qui n’a jamais fait ça me jette la première pierre.

Aïe.

Caro a raccroché.

Ça sonne dans le vide.

Tant pis.

Dernière clopette et au lit.

Dernières pensées du samedi…

Ma vie sentimentale qui n’a ni queue ni tête.                                      

L’expression est bien mal choisie, pour le coup.

Premier sursaut du dimanche, le réveil. Le réveil ?!? Ah oui Luc.

Tiens, un nouveau SMS de Caro.

Me suis pété la tronche hier soir. Saloperie de verglas. M’appelle pas, j’ai plus de bras droit.

Fuck, comment j’allais faire, moi…

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