Noir Blanc Vert ou Les silences d'Isis

pommette

Synopsis

Isis est heureuse, elle s’accroche à cette idée, rien ne pourra la faire changer. Que ce soit à Paris, où elle aime se promener des heures durant, où à Deauville, où elle déguste des pâtisseries délicieuses dans un salon de thé de conte de fées, rien ne peut entacher sa conviction d’être heureuse. Heureuse, parce qu’amoureuse de Marc.

Mais Marc n’est pas conforme au rêve, il est englué dans le quotidien, retenu dans son passé et son premier mariage, passif, las, il aime le confort et la facilité. Isis aime croire à l’imprévu. Elle se réfugie dans sa peinture et tout ce qui l’éloigne de la création l’ennuie. Marc ne se rend compte de rien. Pour lui les choses semblent simples, et sa force d’inertie paraît inébranlable. Les essais d’Isis pour garder son admiration pour lui, pour se persuader qu’elle est heureuse avec lui, n’y feront rien, la foi d’Isis dans son bonheur avec l’homme qu’elle a suivi il y a trois ans, quittant tout de sa vie d’avant avec un autre déjà, va se fêler petit à petit.

C’est Maximilien qui, par sa ressemblance avec Isis, va lui révéler à quel point elle a besoin de partager son rêve. Maximilien est un artiste des mots, en lui, Isis se voit, elle, l’artiste des couleurs. Elle se reconnaît, s’aime et se prend à croire qu’elle pourra vivre une relation harmonieuse avec son double. D’une illusion à l’autre, elle s’éprend de son rêve de bonheur à travers Maximilien et tous les deux vont vivre dans une complicité qui exclut leurs conjoints respectifs. Pendant deux ans, Isis vivra deux vies parallèles, l’une le jour avec Maximilien l’écrivain, le créateur, l’intellectuel, et une autre la nuit, avec Marc le terre à terre qui garde à ses yeux la beauté des premiers instants, mais dont elle sait qu’il ne répondra jamais à ses aspirations d’absolu.

Mais les conjoints des deux complices vont retourner les cartes et alors que l’épouse de Maximilien décide de partir vivre très loin de Paris pour éloigner son mari d’Isis, et que Marc est ébranlé dans sa vie tranquille par la menace d’un licenciement, Isis va perdre tout appui. Comme pour précipiter la cassure, elle va utiliser sa liberté de femme pour mettre Marc au pied du mur : elle cesse toute contraception et revendique le droit au risque, à l’imprévu d’une grossesse. Evidemment, Marc ne suit pas et la rupture trouve enfin clairement sa raison.

Isis quitte Marc, espérant que Maximilien quittera son épouse pour elle, mais lui aussi hésite devant risque.

Isis se retrouve seule, les évènements s’enchaînent pour la persuader de son malheur et elle finit par regretter sa vie confortable avec Marc. Nostalgique, elle retourne à Deauville, à la Toussaint, comme elle le faisait chaque année avec lui, et là, sur la plage, l’illusion cruelle qui la perdait jusque là va devenir bienfaisante. Alors qu’elle croit reconnaître Marc, l’amour qu’elle cherchait à construire va lui être donné, comme un cadeau, préparé d’avance pour elle, là, dans ce lieu où elle venait chaque année promener son rêve d’amour. Un homme était là à rêver d’elle et à l’attendre, et elle ne le savait pas.

Début du roman

Un chat qui atterrit toujours sur ses pattes

Aux jardins du Ranelagh, les jeunes jardiniers de l’autre côté de la route, qui étaient en train de planter les fleurs, s’adressaient à elle : « Mademoiselle, bonjour, vous êtes très belle ! Mademoiselle ! » Isis se retourna. Pourquoi ? Parce que c’était le printemps ? Parce qu’il faisait beau et ça donnait envie de bouger, de respirer ? Parce que la voix qu’elle avait entendue, n’était pas envahissante, importune ou moqueuse mais juste enjouée et amusante ? « Merci ! » répondit-elle en continuant sa marche. Les jardiniers blaguaient entre eux. Puis ils recommencèrent à parler à Isis : « Moi aussi je peux mettre un collant vert mais ça sera pas la même chose ! » En fait elle était en short couleur de la jungle avec des traits abstraits et des zones jaune canari, or, bleu marine et, dans certaines parties, de délicates touches de blanc ivoire ou vanille. Elle portait également un collant vert mousse et de petites chaussures vernies à petits talons. C’était une palette de peintre en mouvement. Elle souriait en entendant les jardiniers mais ne se retourna pas. L’un d’eux, elle ne savait pas lequel, lui lança de nouveau : « Mais son sourire est encore mieux ! » Elle se retourna car elle était déjà loin d’eux, et sourit. Les jardiniers criaient encore quelque chose : « Moi, c’est Matthieu ! Mademoiselle ! ... Heureux de vous rencontrer… Revenez ! … Au plaisir ! » Les voix s’affaiblissaient, Isis continua de son pas léger, prête à s’envoler. Ses cheveux longs flottaient au gré du vent.

C’était un jour de la semaine où elle ne travaillait pas. Elle se sentait si libre… Elle avait l’assurance de la jeunesse et de la beauté en se disant : « Si un jour j’étais dans l’embarras, je pourrais sortir dans la rue et marcher, juste marcher comme maintenant, et n’importe qui de préférence jeune et beau, serait ravi de partir avec moi n’importe où… » Puis, elle ajouta : « Je joue avec tout ! » Ces pensées la réconfortaient. Elle se trouvait jeune et fraîche et ne pensait jamais à son avenir. Elle vivait juste au présent. « N’importe qui serait bien avec moi. Je suis cool, je suis canon, je suis drôle, intelligente, je suis moi-même, et ça sera toujours comme ça. C’est mon unique credo, ma foi et mon espoir. Et rien ne pourra déraciner cette confiance en moi ! » Dans son enfance, elle avait une copine, même deux copines, qui racontaient indépendamment la même chose : un chat qu’on jetterait par la fenêtre, retomberait toujours sur ses pattes et continuerait son chemin comme si de rien n’était ! Et même son cousin, plus âgé qu’elle, confirmait ça. Depuis, elle s’était construite d’elle-même une image de chat. 

« Tant que j’aurai mes deux pieds pour avancer et mes deux mains pour travailler — je survivrai ! C’est la seule chose que je peux te promettre, disait-elle souvent à sa mère.

— Tu penses et tu parles comme si tu avais quinze ans alors que tu en as déjà le double ! »


Détail d’un amour partagé

Quelques mois passèrent depuis ce jour de printemps.

Quand Isis s’est levée Marc était déjà au salon en pyjama devant la télé. Ils devaient partir à Deauville pour deux jours. Elle s’approche de lui pour l’embrasser et Marc dit :

« Je me lève à huit heures, j’ouvre la télé et je vois le Dalaï-lama… Il m’a paru long ce reportage parce que j’attendais d’être réveillé par William ! 

— Il ne te suffit pas d’être levé, t’as besoin encore d’être réveillé ! répliqua Isis en souriant.

— En fait, continua Marc, je croyais qu’on était lundi parce que j’ai pris mon lundi pour qu’on puisse aller à la mer tranquille. Dans ma tête, je plaignais tous mes collègues qui sont au travail ce matin et là je viens de réaliser qu’on est seulement dimanche et qu’il n’y aura pas de Télé-matin ! »

Isis admirait Marc pendant qu’il parlait : il était beau, il souriait. Ils riaient ensemble et s’embrassaient encore. Marc dit :

« Je crois qu’on doit mettre le turbo pour partir vite si on veut profiter de la journée.

— Je suis prête ! » répondit Isis. Tous les matins en se levant elle allait d’abord à la salle de bain pour faire sa toilette et seulement après elle allait dans la cuisine pour préparer son petit déjeuner. Marc c’était le contraire : il aimait d’abord « émerger » lentement devant la télé en prenant ses Chocapics — car, gastronomiquement, il n’avait toujours pas grandi ! — puis il tardait à faire sa toilette.

Isis disait qu’elle était prête mais ce n’était pas exact : elle n’était pas encore habillée. En prenant son petit déjeuner elle restait nue telle qu’elle était en sortant du lit. Après elle prenait du temps à choisir quoi mettre pour sortir. Parfois elle changeait d’avis, enlevait tout et mettait autre chose. Marc ne se posait pas autant de questions : il s’habillait toujours à peu près pareil l’hiver et l’été.

A dix heures trente ils étaient déjà sur l’autoroute. Marc dit :

« On commence à voir les couleurs d’automne… J’espère qu’il fera beau là-bas. 

— Avec la mer c’est imprévisible, anticipa Isis. Tu te rappelles notre séjour à Dinard ? Une matinée il faisait super beau, le soleil tapait et on crevait de chaud et brusquement le brouillard arrive. Je me souviens encore des deux femmes sur la promenade en train de bavarder : « Non, nous ne déjeunerons pas dehors, on ne verrait même pas les fourchettes ! » Le brouillard était épais, blanc comme le lait. C’était comme dans un rêve surréaliste, on avançait avec toi dans le lait sans savoir combien il nous restait jusqu’au village !... »

Marc sourit à ces heureux souvenirs d’Isis. Elle se délectait de cette histoire de brouillard et elle récitait ça comme un conte. Ca faisait partie d’elle : elle l’avait déjà raconté et elle allait la raconter encore à l’occasion. On répète infatigablement les fables qu’on aime !

Tous les deux souvent ils se rendaient compte qu’ils pensaient au même moment à la même chose ou qu’ils se rappelaient les mêmes souvenirs par rapport à ce qu’ils voyaient au présent.

« La moitié du trajet entre Paris et Cabourg c’est la statue argentée des Vikings », affirma Marc. 

« Ah, j’ai encore vu des chasseurs, remarqua-t-il quelque temps après. 

— Moi aussi, j’en vois un avec son épagneul breton, s’exclama Isis. C’est beau un épagneul. Avant je disais que je voudrais avoir un lévrier afghan, maintenant je me dis que ça pourrait aussi être un épagneul.

— Et selon ta grande théorie, le chien ressemble à son maître, enchaîna Marc.

— C’était l’observation personnelle d’un de mes professeurs des Beaux Arts… oui, comme mes chiens ont de longs poils moi aussi j’ai les cheveux longs ! 

— Ah, j’ai eu peur ! Je croyais que tu allais dire que t’avais les poils longs ! » dit Marc fier de sa blague.

Le vent qui provoquait une tempête de feuilles d’automne sur l’autoroute, les amusait.

Par les fenêtres de leur voiture ils commencèrent à voir de plus en plus de vaches.

« Qu’est-ce qu’elle boit la vache ? demanda Marc en voulant se jouer d’Isis.

— Du lait ! » répondit-elle bêtement.

« T’as vu combien de beurre ma mère a mis dans la poêle ? » s’exclama Marc d’un air étonné, après un silence. Hier ils étaient chez les parents de Marc. Bien sûr, Isis se souvenait qu’il y avait trop de beurre pour la cuisson des escalopes.

« Je me rappelle surtout ta mère disant : « C’est notre seul plaisir quand on est vieux, la gourmandise ! » sauf que c’était dit à propos du dessert », répondit Isis.

Le disque qu’ils avaient pris pour la route était trop bruyant : entre les morceaux, les applaudissements du public ajoutés au bruit de l’autoroute, explosaient dans les oreilles. C’était des improvisations du grand pianiste de jazz Erroll Garner. Marc écoutait à peine car ce n’était pas son style de musique, mais Isis adorait ce CD : les thèmes en eux-mêmes, et puis la maîtrise d’Erroll Garner, elle le trouvait hallucinant.

Ils quittèrent l’autoroute. Maintenant ils s’approchaient de Cabourg. Un pigeon essayait de se poser sur le feu tricolore.

« Que le temps est magnifique ! s’écria Isis.

— Et que de monde ! » ajouta Marc.

Ils cherchaient à se garer. Ils prirent un cake au fromage de chèvre et des fruits pour manger sur la plage.

Isis était très heureuse, elle sautait, ouvrait les bras, criait. Les chiens, nombreux ce jour-là, étaient aussi contents de se défouler sur le sable. L’espace, l’immensité, l’air, la vie… Elle dit :

« Le sable bleu de Normandie !

— C’est vrai, il paraît bleu, répliqua Marc.

— La mer quand elle se retire elle laisse des flaques, des petites rivières, et dans ces nappes d’eau on peut voir le ciel bleu… Ici j’ai tout pour être heureuse ! »

A ce moment, Marc portait sur Isis le même regard admiratif et amoureux qu’au début de leur rencontre. Ils avaient faim et Marc trancha le cake qui n’avait pas eu le temps de dégeler complètement malgré deux heures de trajet. C’était drôle de voir comment il retournait les tranches comme on retourne un steak, pour que chaque coté bénéficie la même chaleur des rayons du soleil. Il tenait la boîte avec le cake comme on présente une assiette aux invités et tout cela en marchant. Isis s’exclama :

« Le cake cuit au soleil de Normandie !

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