Marie ou la vie (essai n°3)
les funérailles d'un tonton dans les années 1960
Il y a une échelle dans le vestibule, des hommes en costumes gris déploient des draperies.
Ils suspendent les tentures noires et mauves sur la façade et devant la porte d'entrée principale.
Ils transforment la maison en cirque macabre.
Des rideaux cachent la porte du grand salon.
Marie écarte un pan et se faufile dans la pièce.
Il lui faut un moment pour habituer ses yeux à la pénombre.
Sur les murs tapissés de voiles noires, les lueurs des bougies font danser des ombres inquiétantes.
Un oncle veille le mort, il retourne et pose un doigt sur ses lèvres.
L’enfant doit se taire…
Il lui prend la main et la mène au cercueil.
Il est déposé sur une grande table, drapée de noir.
C’est une longue caisse en bois clair avec des poignées dorées.
Marie se hausse sur la pointe des pieds et aperçoit d'abord, un bout de nez.
L’oncle soulève Marie, il la serre trop fort.
-Tu peux l’embrasser. Il t'aimait beaucoup. Lui dit-il à l'oreille.
Marie n’a pas du tout envie d’embrasser un homme dans cet état.
Même s'il l'aimait beaucoup… Il est mort!
Un mort n'aime plus personne…
Son oncle attend.
Marie a de plus en plus mal aux côtes.
Elle se dit que pour être libérée, elle devrait embrasser le tonton mort.
Elle s’appuie sur le bord du cercueil et en s'aidant des mots: "Courage, Courage"…
Son visage est si pâle! Beurk!
Elle dépose un baiser sur le front du macchabée.
C’est froid, dur et lisse.
L’oncle la lâche enfin !
C'est une première! Quelle horreur! Pense Marie.
Le mort porte une chemise blanche, une cravate noire et une veste bleu foncé.
Ses mains reposent sur un drap blanc couvrant son corps jusqu'à la poitrine.
On a placé un chapelet entre ses doigts croisés et des roses blanches autour de son corps.
Il semble dormir.
Il paraît plus grand.
Marie se demande, si la mort allonge les jambes?
Est-ce qu'il a un pantalon, des chaussettes et des chaussures?
L’enfant en a assez vu.
Elle se réfugie dans l'ombre, derrière la grand-mère.
Les cheveux recouverts d'une mantille noire, le dos droit, les mains sur les genoux, la mère du défunt salue les visiteurs d’un mouvement de tête.
Son fils était riche d’amis.
Ils pénètrent dans la salle avec l’air affecté d’une mère qui ne veut pas éveiller son enfant malade.
Ils se recueillent quelques instants, certains expriment à voix basse, leur tristesse, récitent des condoléances.
Ils prennent un bâton doré dans un seau en cuivre et font un signe de croix en jetant de l’eau bénite par petits à-coups sur le défunt.
Il va être trempé pense Marie.
Ils déposent une carte dans une corbeille. Puis ils s'en vont, l'air affligé.
Au pied du catafalque, il y a des gerbes de fleurs, des œillets, des iris, des roses, des lys.
Leurs parfums écœurants, incommodent la petite.
Elle a besoin d’air pur.
Elle n’ose bouger. Elle sent qu'elle va se faire réprimander.
On entend sonner l’horloge du salon et la tante fait remarquer que l’on a oublié de l’arrêter.
L’oncle dit qu’il va s’en occuper.
Marie en profite, elle le suit, en catimini.
L’oncle arrête l’horloge et sort pour griller une cigarette.
Dehors, sur le trottoir.
Alignés comme devant la caisse du cinéma, les gens attendent le curé pour la levée du corps.
Une dame, le visage caché par un voile noir, caresse la joue de Marie et signe son front d’une croix.
Une autre, l’embrasse. Elle s'est trop parfumée!
Marie se frotte le front et la joue.
Le corbillard arrive.
Des hommes, tout de noir vêtus, en sortent et ouvrent les portières arrières.
Un garçon aux cheveux blonds et une cousine aux jolis souliers vernis, regardent à l’intérieur.
- C’est là-dedans, qu’ils vont mettre la bière pour l’emmener au cimetière, dit le garçon fier, de son savoir.
Marie éclate de rire.
-De la bière! Pourquoi? Tonton n'en a plus besoin!
Le garçon n’a pas le temps d'expliquer à Marie, son erreur.
La cousine, hautaine regarde Marie et brutalement lui dit:
-Tu n’as pas honte de rigoler à un enterrement.
Tu n’as pas de cœur!
Devant tous ces regards réprobateurs tournés vers elle.
Marie a peur.
Elle est fautive, elle ne comprend pas pourquoi.
Pas de cœur ?
Elle le sent pourtant battre très fort.
Tout le monde doit l’entendre.
Marie déteste cette fille.
Il est court le chemin qui va de la peur à la haine...
L’oncle, qui a assisté à la scène, ordonne à la cousine de se taire.
Les regards changent de coupable.
Rouge comme une pivoine, la cousine se réfugie dans les jupes de sa mère.
Marie respire très fort. Et s'enfuit.
Elle rentre dans la maison et grimpe à l’étage.
Elle file dans la chambre de sa grand-mère
Elle est trop fâchée. Elle enrage!
Elle se regarde dans le miroir de la penderie.
Elle y voit une petite-fille triste blessée.
Elle voudrait pleurer, hurler!
Il lui semble qu'elle a perdu la parole et ses yeux restent secs.
Les larmes qui jaillissent sont amères, mais plus amères encore celles qui ne coulent pas.
Elle s’allonge sur le lit et s'enroule dans le couvre-lit.
L’odeur de l’oreiller, la réconforte.
Des envies de châtiments envahissent ses pensées.
Elle s'endort, elle rêve et torture avec délices l'ignoble cousine.
Elle se réveille au bruit que font les personnes qui reviennent du cimetière.
Tout comme l’eau qui ne reste pas sur la montagne, ses idées de vengeance ont quitté son cœur.
Marie est une bonne nature.
Elle se dit qu’elle doit apprendre à se faire aux injures et à l’injustice, si elle ne veut pas avoir une vie insupportable.
En descendant par l'escalier principal, elle remarque que les draperies noires sont enlevées.
La lumière est revenue.
Dans la salle à manger, la grande table déborde de victuailles, des pains garnis, des gâteaux, des tartes salées et sucrées.
Du champagne est servi, du vin, des liqueurs et...de la bière.
Grand-maman n'est plus là. Elle s'est retirée au salon.
Plus le temps passe, plus les gens parlent haut et fort, mangent, boivent, rient et chantent!
Marie est époustouflée par leur façon de se comporter.
Le matin, ils pleurent, et l'après-midi, ils chantent et boivent à la santé d'un mort!
Aura-t-il droit à la santé et au bonheur, au paradis ?
Se demande Marie…
Quelle expérience!
· Il y a presque 11 ans ·nyckie-alause
Il y a pire... Amitiés. Merci de me lire
· Il y a presque 11 ans ·vividecateri
Un CDC pour moi.
· Il y a environ 11 ans ·Ça raconte des choses graves simplement...
En même temps, n'a-t-on pas perdu quelque chose en perdant ce rapport avec la mort?
ahqepha
Je ne peux pas le dire mais la Vie c'est mieux!!!! Merci de votre coup de cœur. amicalement vôtre et carpe diem!
· Il y a environ 11 ans ·vividecateri