MAURICE
cynthia35430
MAURICE
Claire pénètre lentement dans le bureau de consultation de monsieur Simon, psychologue. Le dos courbé et la gorge étranglée par l’émotion, elle s’installe sur la chaise qui se trouve en face du professionnel. Puis, elle s’effondre presque aussitôt en larmes.
Habituellement Claire est charmante et joviale. Ses belles joues roses et rebondies encadrent son sourire souvent rayonnant. Ses cheveux bouclés lui donnent un air chérubin et bonne vivante. Ses éclats de rire à gorge déployée sont une invitation à la bonne humeur. Bref, Claire est tout à fait le genre de personne avec qui il est agréable de sympathiser. Mais aujourd’hui, Claire a totalement perdu son enthousiasme habituel. Elle a les yeux gonflés et rougis par des pleurs récents.
Monsieur Simon fronce les sourcils. Confortablement enfoncé dans son fauteuil, tapissé de velours grenat, il se redresse le regard interrogateur tendu vers la jeune femme.
- Maurice est mort sanglote-t-elle tout en sortant son mouchoir de son sac à main de toile enduite. J’ai du mal à accuser le coup. Quelle affreuse nouvelle, c’est horrible !!!
Elle sanglote pendant quelques minutes tandis que l’homme qui lui fait face compatit à la douleur de cette jeune personne qui vient de perdre un être cher.
Enfin elle se calme un peu et explique.
- Pensez donc, six années passées à travailler quotidiennement l’un à côté de l’autre ! Je le connaissais si bien et je l’appréciais tellement.
- Je comprends répond le psychologue en hochant de la tête. Un décès n’est jamais agréable à vivre. C’est toujours une rude épreuve pour tout un chacun. Le regard attentif, la paupière quasiment immobile, il fixe Claire droit dans les yeux. Le deuil est un sujet délicat mais qu’il maîtrise parfaitement.
Claire soupire, baisse ses yeux puis reprend tout en se mouchant dans son carré de coton en dentelles de calais.
- Il est mort pendant que j’étais en congé. C’est une de mes collègues qui m’a annoncé son décès. Elle ne voulait pas que je sois choquée en arrivant au travail. Elle a préférée me prévenir afin que je ne me demande pas où était Maurice.
- C’était mieux qu’elle vous prévienne en effet, la rassure le psychologue en s’enfonçant un peu dans son fauteuil comme pour prendre du recul face à cette situation. Cela a du vous préparer quelque peu psychologiquement à ce deuil.
- J’ai vraiment du mal à m’en remettre, nous étions si complices Maurice et moi. Je suis une grande sentimentale vous savez !
Grand silence. Claire renifle encore et respire profondément avant de reprendre.
- Les enfants l’adoraient. Quand l’un d’eux pleurait, je l’envoyais voir Maurice. D’ailleurs dès qu’ils le voyaient, beaucoup d’enfants n’avaient d’yeux que pour Maurice. « Et Maurice par ci et Maurice par là ». La présence de Maurice les calmait instantanément. Vous savez les enfants ne sont pas faciles à chausser, certains ne veulent pas se déchausser et d’autres boudent si le modèle de chaussures que leurs parents veulent leur acheter ne leur plait pas. Maurice savait détourner leur attention et les enfants se montraient alors très coopératifs.
- Vous travaillez dans un magasin de chaussures ? demande le psychologue.
- Oui, Maurice et moi faisions la paire si je puis me permettre monsieur Simon. Le matin, lorsque j’arrivais à la boutique et que je l’apercevais, il illuminait ma journée. Mais, au magasin ils lui ont déjà trouvé un remplaçant, Jojo. Seulement, entre nous ça ne se passe pas aussi bien qu’avec Maurice. Je suis persuadée qu’il en sera de même avec les enfants. Je trouve que Jojo est laid, n’ayons pas peur des mots, c’est un affreux Jojo ! Maurice, lui avait une certaine intelligence et un charisme très particulier que le nouveau ne possède pas.
Grand soupir, tout en évoquant cette pensée, Claire essuie une petite larme qui roule sur sa joue.
- Nous étions très proches l’un de l’autre. J’étais sa mère d’adoption…
Silence lourd et pesant.
- Tiens donc, vous l’aviez adopté ? Interroge monsieur Simon intrigué et mettant ainsi fin à ce mutisme.
- Oui, oui adopté et d’ailleurs la secrétaire de l’entreprise où je travaille était sa marraine précise Claire. C’est elle qui tenait compagnie à Maurice quand j’étais en congé. Dire qu’à la comptabilité, ils n’ont même pas voulu m’accorder un jour de congé pour son décès. Ils m’ont dit que mère d’adoption ne constituait pas un lien de parenté soupire Claire en secouant la tête tristement.
- C’est très fâcheux en effet ! Constate monsieur Simon. Surtout après toutes ces années de collaboration professionnelle et ce lien filial qui vous unissait.
Quelle pauvre femme songe l’homme à la chevelure grisonnante. Perdre un collègue avec qui on a un lien de parenté si proche et ne pas pouvoir bénéficier d’un jour pour s’en remettre ! Quel drame ! Les employeurs sont vraiment ingrats !
Mais, le professionnel qu’il est ne doit rien laisser paraître de son émotion, il doit rester humain mais neutre, tant que faire ce peut. Il doit rester simplement à l’écoute comme le veut l’étique professionnelle de la branche d’activité qu’il a choisi.
- La seule période où Maurice n’était pas à côté de moi pendant mes journées de travail, c’était la période des soldes. Maurice n’aimait pas du tout les soldes. Les enfants courent un peu partout et puis il y a moins de place à la boutique pendant les soldes. Alors, il partait à l’étage dans les bureaux, aux côtés de Françoise, poursuit Claire.
- Françoise ?
- Oui, Françoise, la secrétaire, sa marraine !
- Ah oui bien sûr ! acquiesce le psychologue en faisant mine de bien saisir toute la conversation. Je comprends et sa présence vous manquait pendant cette période ?
- Non pas trop en fait. Vous savez je retrouvais Maurice à la pause déjeuner sourit-elle en se souvenant avec nostalgie. Et puis le matin, je montais toujours lui faire un petit coucou avant de prendre mon poste. Je venais voir si tout se passait bien pour lui et s’il n’avait besoin de rien.
- Ainsi, vous n’étiez pas bien loin l’un de l’autre observe le psychologue.
- Oui et c’était mieux pour Maurice. J’avais toujours peur que quelqu’un bouscule Maurice et le blesse reprend la jeune vendeuse.
- Vous étiez vraiment très attentionnée envers Maurice remarque monsieur Simon.
- Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point se lamente Claire. J’étais très attentive à lui surtout depuis qu’il avait perdu un œil le pauvre.
- Un œil ? Il avait perdu un œil ? S’étonne l’homme avide d’en savoir plus.
- Oui, un malheureux accident murmure la jeune femme désolée. Tout cela à cause de moi…
Claire est un peu gênée. Elle baisse les yeux tout en tortillant son mouchoir entre ses doigts.
- A cause de vous ? Sonde le psychologue pressé d’en savoir plus afin de pouvoir guider sa patiente sur le chemin de la déculpabilisation. Il lui semble que celle-ci à un lourd méfait à avouer.
- Oui, je lui avais acheté une grande plante décorative en plastique. Un jour, très peu de temps après cet achat en fait, Maurice s’est cogné l’œil sur un bout de feuille très dure et très pointue ! Ca lui a crevé l’œil !
Claire gesticule sur sa chaise. Elle a du mal à garder son calme face à ce souvenir tragique.
- Quel regrettable accident en effet reconnaît monsieur Simon. Vous n’avez pas trop culpabilisé j’espère ? Il pense tenir le fil de l’histoire bien en main. Sa patiente a reconnue sa culpabilité. Il va pouvoir l’aider à apaiser ses maux et ses regrets.
- Si bien sûr, je m’en voulais mais je lui ai fais mille excuses, précise Claire en balançant nerveusement ses pieds sous sa chaise.
- Ah oui et comment a-t-il réagi ? S’enquiert le professionnel. Il devait être en colère non ?
- Maurice en colère ? Mais pas du tout monsieur Simon !!! Claire hausse les épaules et poursuit aussitôt. Il s’est retourné et je l’ai longuement caressé.
- Caressé ? s’exclame l’homme de plus en plus intrigué.
- Bien sûr, je lui caressais parfois le dos ! Une habitude qui s’était installée entre lui et moi. Un geste tendre vous savez murmure Claire.
- Oui, oui, je comprends déclare le psychologue avec un ton de réelle compassion dans la voix.
- D’ailleurs, mes caresses en disaient bien plus long que des commentaires. Pas besoin de longs discours entre nous, je savais qu’il m’avait pardonné. Ce sont des choses que je ressens très bien vous savez monsieur Simon.
L’homme se gratte nerveusement le front. Cette histoire de deuil est loin d’être dénouée. Que de rebondissements ! Il regarde rapidement sa montre et répond calmement.
- Evidemment Claire et surtout si vous l’aviez adopté en plus. Il se lève tranquillement de son large fauteuil cosy et avance sa main vers la jeune femme comme pour l’inviter à se diriger vers la sortie. Cette séance touche à sa fin, souhaitez vous un autre rendez-vous afin de parler encore de votre collègue avec moi ?
- Collègue ? Mais de quel collègue parlez vous ? réplique la jeune femme.
- Enfin… euh… et bien, je parle de Maurice, ce jeune homme que vous aviez adopté et qui est mort ! s’exclame le psychologue ahuri que sa patiente réagisse d’une manière aussi amnésique.
Claire éclate soudain de rire. Un rire gras et nerveux qui n’en fini pas ! Le psychologue interdit en a le souffle totalement coupé. Mais qu’a-t-il dit de si drôle ? Il ne comprend pas, ne comprend plus. Il est outré par ce comportement sidérant et inhabituel en cas de deuil.
- Excusez moi monsieur Simon arrive tout de même à articuler Claire entre deux fous rire, c’est nerveux ! Je crois qu’il y a eu une légère méprise sur la personne de Maurice.
- Je ne vois pas ce qu’il y a de si drôle répond l’homme vexé. Il ne veut surtout pas perdre la face. Enfin j’avais bien compris que Maurice était un enfant balance-t-il pour tenter de rattraper le coup.
- Mais non justement, Maurice n’était ni un collègue ni un enfant déclare la femme en pouffant nerveusement de rire. Maurice, c’était mon poisson rouge !
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